Sise à Serralunga d’Alba, au sud-est du Barolo, depuis plus d’un siècle, la famille Rosso est propriétaire de vignes sur quelques-uns des plus grands terroirs de la commune : Cerretta, Serra, Broglio, Meriame, Sorano, Costa bella, Lirano et Damiano. Au début des années 1980, Giovanni Rosso, l’avant dernière génération du domaine, restructure la plupart de ses vignobles avec des aménagements modernes pour l’époque, en vue de produire des raisins de haute qualité. En 2001 à l’âge de 27 ans, son fils Davide, œnologue déjà très expérimenté décide de s’occuper personnellement de la vinification et de l’élevage des vins du domaine, avec un seul objectif : que le vin soit la copie parfaite de son terroir. Il faut dire que le village de Serralunga s’y prête bien, car le découpage des crus a été ici fait de façon bien plus rigoureuse et fine que dans d’autres villages du Barolo. Et les terroirs sont immenses !
Serralunga d’Alba
À vrai dire, les grands négociants de la région savent depuis toujours que Serralunga est incontournable dans l’univers des grands crus du Barolo. Mais peu de domaines « têtes de pont » dans le village ont émergé au fil du temps : Massolino, Cappellano, Conterno, même si ce dernier est situé à Monforte. Les premiers millésimes de mise en bouteilles au domaine seront 1996 et 1997, grâce à Giovanni, le papa de Davide. Depuis, la propriété a grandi, faisant l’acquisition de nouvelles vignes. Aujourd’hui, elle compte 19 ha. L’idée de départ de Davide était de faire un Barolo traditionnel, mais avec l’aide de la science moderne. Pour cela, il pratique des macérations de 25-30 jours, avec un ou deux remontages par jour. L’élevage a lieu uniquement en grands foudres de bois français pour la majorité des barolos du domaine, et en bois de Slavonia pour la mythique vigne de Vigna Rionda, dont on reparlera plus loin.
Le reste il en fut question verre en mai, le 30 mars dernier, au CAVE, sous l’égide de Gianni Fabrizio, directeur du guide Gambero Rosso, et Andrea Delpiano, l’œnologue brillant du domaine, en place depuis 2014. Voici le détail de mes impressions, selon les séries goûtées.
Davide Rosso et sa maman, Ester Canale Rosso
Langhe nebbiolo 2019 : Vignes en altitude, terroir calcaire. Macération de 10 jours, élevage cuve béton. Grande clarté d’expression et finesse, avec du fruit, des notes épicées, il y a quelque chose de fragile et ténu dans ce vin, c’est long, raffiné, en place, très bon.
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Barolo di Serralunga d’Alba 2016 : Assemblage de terroirs, vinification dans le béton. Grand millésime d’équilibre, assemblage après fermentation ; puis élevage en foudres de 24 à 30 mois, soutirage tous les 6 mois. Les terroirs sont toujours élevés dans les mêmes foudres. Très beau nez fin et fumé. Attaque ample et délicate, comme suspendue, le vin est ample, avec un milieu de bouche de très belle élasticité, allonge souveraine, raffinée, sur l’arrête, grand style.
Barolo di Serralunga d’Alba 2017 : Millésime très chaud, juste un peu de pluie au printemps puis sécheresse. Couleur plus légère que le 2016, étonnement. Gourmandise du nez avec une note confite, attaque ronde avec une sucrosité de l’alcool présente, le vin regarde presque l’Etna dans le style, c’est rond, puissant, corsé et ramassé en finale, mais on devine un très bon potentiel de garde.
Barolo di Serralunga d’Alba 2018 : Millésime pluvieux, plus léger. Nez relativement ouvert, qui pinote, sans végétal, attaque fine et ravissante, pour un style bourguignon, c’est très frais et rectiligne sur l’allonge, à la fois fragile et accessible, extra à boire dès maintenant.
Andrea Delpiano, l’oenologue du domaine
Barolo Cerretta 2015 : Mixe de deux formations géologiques, on a toujours un peu plus de rondeur dans ce vin. Très beau nez sur l’encens, floral, épanoui et sexy. Attaque un peu en dedans, qui flotte un peu, de l’amertume, puis le vin se reprend et se resserre, on est sur une forme large et évasée. Vin plutôt de demi-corps, un peu évolué, prêt à boire, je ne l’attendrais pas plus que 5 ans encore. Mais c’est bon.
Barolo Cerretta 2016 : Nez supérieur au 2015 avec plus de tout, écorces d’agrumes comme un grand pinot, notes maltées, gousse de vanille. Attaque à la hauteur du cru avec une prise plus évidente, un velouté, une jutosité supérieure, c’est un grand 2016, à la fois accessible et structuré. A la hauteur du millésime. Grand vin de garde.
Barolo Cerretta 2017 : Plus réducteur, sanguin, solaire, des notes de laurier qui font très Rhône sud, on est sur une nature plus sèche et lumineuse, notes de terre. Attaque suave avec une extraction millimétrique, pour un vin fondant et fondu, solaire mais extrait de façon millimétrique, accessible et racé, très bon pour l’année
Gianni Fabrizio, au premier plan
Barolo Serra 2014 : terroir fort en expression du calcaire. Millésime froid et pluvieux l’été, chaud sur le final, été tardif. On retrouve l’aromatique du millésime avec ce côté amadou, déjà une évolution vers quelque chose de secondaire, ce qui est finalement assez normal pour un vin de 10 ans, attaque de demi-corps avec une évolution, on a moins de fruit que d’autres millésimes, mais néanmoins le vint tient debout, c’est un bon 2014 mais pas un grand. Les limites du millésime sont dans la finale.
Barolo Serra 2016 : Nez encore peu disert mais profond et épicé, qui s’ouvre lentement, sur des notes de terre mouillée qui ressemblent au millésime tel qu’il se livre en ce moment. Attaque vive et aigüe pour un vin vertical, pointu, incisif, qui enfonce le clou du millésime. Il est à la fois carré, corsé, ultra classique, très bon.
Barolo Serra 2017 : Nez solaire, sexy, sur la cerise confite, encore mono registre mais assez brillant, avec du fruit, attaque massive et carrée, avec des tanins qui serrent rapidement sur une matière riche, ce n’est pas prêt mais le potentiel de garde parait très bon. L’alcool en final devra juste s’équilibrer avec le temps.
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Langhe nebbiolo, Ester Canale Rosso 2019 : ce terroir est issu d’un héritage, lorsque Tomasso Canale est décédé, sans héritier direct, ce sont Sergio Germano (0.5 ha), Guido Porro (0.5 ha) et Davide Rosso (1 ha) qui ont hérité de sa vigne de Vigna Rionda. Sa vigne historique a été replantée par les trois propriétaires, sauf Davide, qui en a gardé une partie pour son Barolo éponyme. Mais il a replanté le solde arraché en 2011, qui donne le vin ici dégusté. Elevage 12 mois dans un seul foudre. Fruit brillant, exotique, très distinct des autres vins du soir. Il y a quelque chose d’expressif, exubérant, l’attaque est gourmande, ample, pour un vin fait de sucrosité, de grâce et de gourmandise. On n’est pas dans la profondeur, mais il y a du fruit et de l’accessibilité.
Barolo Vigna Rionda, Ester Canale Rosso 2016 : Nez magique, caractéristique du cru, avec cette fragilité couplée à une sensualité, des notes de poivre apparaissent, très délicates. Le vin est souverain, il s’ouvre très lentement, ce qui est bon signe. Attaque fine pour un vin tout en délicatesse, sinueux, frais, pointilliste, qui s’allonge par petite touche, comme une Romanée. Allonge sur le zeste d’orange, touchante.
Barolo Vigna Rionda, Ester Canale Rosso 2017 : Nez plus ouvert, plus évident, plus sensuel et sexy que 2016, comme la bouche d’ailleurs, qui procure un immense plaisir de glisse, de finesse et de profondeur sereine. Ce vin se compare à un grand bourgogne, l’allonge est spectaculaire, l’intégration du grain est celle des plus grands nebbioli du monde.
Barolo Vigna Rionda, Ester Canale Rosso 2018 : Il n’y a pas plus de couleur qu’un grand pinot en vendange entière, le nez est magique, on tombe littéralement dans le verre, touche lactée qui précède des notes de liqueur d’agrumes, c’est le nez le plus piémontais des trois. On perçoit encore un peu de gaz carbonique sur l’attaque, mais derrière le jus est d’une grande justesse, l’intégration du bois est magistrale pour un vin aussi jeune, c’est tout grand. Coup de cœur. C’est la plus belle finale des trois, le domaine ne cessant de progresser !
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