une pluie diluvienne s’abat sur la Suisse romande et c’est précisément le jour que j’ai choisi pour visiter les 5 ha de vignes de Jacques Tatasciore, un idéaliste neuchâtelois, tombé en amour du pinot noir. Je retrouve sur place un ami sommelier de Bâle. On s’équipe de chaussures tout-terrain et du matériel de survie et en route pour Cressier où nous le sieur Tatasciore nous montre avec une certaine fierté ses vignes, conduites en cordon Royat sauf les vieux pinots sur le lieu-dit « Les Chanets », la partie la plus escarpée de Cressier, qui sont eux conduits en gobelets. Nous nous rendons ensuite à St-Blaise pour voir une des vignes de pinot les plus incroyables de Suisse, une sorte de laboratoire expérimental du pinot avec de très vieilles sélections massales dont certaines – ne le répétez pas – proviennent d’un célébrissime domaine de Bourgogne. L’ami Tatasciore virevolte d’un cep à l’autre, expliquant les caractéristiques de chaque pied, l’équilibre de la vigueur, les rendements minuscules régulés naturellement, pendant que, stoïques, nous attendons sous la pluie et que nos estomacs commencent à crier famine. Le temps passe et l’on se passera de déjeuner. Nous dégustons ensuite les derniers millésimes de sa cuvée de prestige « Les Rissieux » – cuvée à l’élaboration de laquelle j’ai le plaisir de participer depuis sa « création » en 2000. On passe en revue le 2003, rond, sphérique, richement texturé, d’un abord évident mais, comme la plupart des vins de ce millésime, un peu marqué par le côté solaire du millésime. J. Tatasciore en profite pour expliquer son credo de vigneron (un peu atypique parfois dans la région) : des rendements microscopiques, des raisins parfaits, une vinification la moins interventioniste possible et un élevage d’un grand raffinement. Nous passons ensuite au 2004, dynamique et séveux, superbe d’expressivité avec un côté très Côte de Nuits, très Chambolle, précise notre invité bâlois. Puis vient le 2005, encore en cours d’élevage, sorte de synthèse parfaite entre l’opulence du 2003 et l’énergie minérale du 2004. Ce vin ira loin et il sera intéressant de le déguster à l’aveugle auprès de grands bourgognes. Le temps ne s’est pas arrangé. Le ciel est vraiment chargé et, même s’il n’est que 15.00 au moment où nous rallions le bourg pittoresque d’Auvernier, on a l’impression d’être entré dans la nuit. Visite à la Maison Carrée où nous reçoit Jean-Denis Perrochet, sympathique géant roux, un peu anguleux de prime abord mais qui maintient avec foi et passion une vision du vin qui, dans un monde (je parle ici de celui du vin) privé de repères, fait plaisir et rassure. J’admire au passage l’antique pressoir vertical en bois, toujours en usage. Pourquoi s’en priver, même si c’est plus de travail qu’un pressoir dernier cri nanti d’une multitude de programmes informatiques : »Les jus coulent si clair qu’il n’est quasiment jamais nécessaire de débourber ». Dégustation de l’Auvernier blanc 2006 sur lies, légèrement perlant et tellement désaltérant. Je craque pour une Perdrix blanche 2004 (un blanc de Pinot noir) aux notes légèrement miellées que la famille Perrochet vend avec un peu de décalage pour permettre au vin de s’épanouir. Sur le modèle d’ailleurs de la politique courageuse pratiquée depuis longtemps au domaine avec le Pinot noir. La vente du 2002 est en passe d’être terminée et je déguste avec intérêt ce vin dont les deux vertus principales paraissent presque antithétiques, sapidité et – je parle par expérience – aptitude au vieillissement comme je l’ai expérimenté à plusieurs reprises. La dernière fois c’était avec un 1986 « oublié dans un recoin de ma cave » et qui s’avéré de fort belle tenue…
Sur le seuil de la Maison Carrée, nous quittons le sieur Perrochet ; le ciel est fuligineux et la pluie redouble d’intensité. Auvernier ressemble à ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être, un bourg médiéval, assez cossu, rassurant, pas trop coupe-gorge. Pour un peu on se perdrait dans ses ruelles étroites. Je claudique un peu sur ses pavés inégaux et répète, comme un mantra, le dicton que nous a servi tout à l’heure M. Perrochet : » Quand il pleut à la St-Médard, il pleut quarante jours plus tard. »
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