Une guérite, bien sûr… Une de ces constructions, en bois, en pierres sèches ou en maçonnerie, qui émaille notamment le vignoble valaisan. Sous l’égide du Musée de la Vigne et du Vin, vient de paraître un livre Guérites, ces cabanes dans les vignes, à elles consacré (Infolio). Ouvrage passionnant qui met en exergue cette architecture viticole originale à travers des

 

photos signées Etienne Roux. Les textes qui les accompagnent, délivrent quelques clés d’interprétation de ces lieux de vie ; générés par la plume de Charles-André Meyer et de Anne-Dominique Zufferey-Périsset, directrice du Musée de la Vigne et du Vin. A cette dernière, j’ai demandé comment était née l’idée de consacrer un ouvrage à ces guérites aux typologies et aux affectations multiples. Parfois de simples grottes, telles d'antiques survivances, où s'abriter des intempéries ; des guérites en bois ou en pierres sèches et les systèmes sophistiqués pour récupérer l'eau de pluie ; guérites des vignerons nomades, toujours en route, jamais immobiles, d'une steppe à l'autre – rêve d'une autarcie ; guérites animées des vignolages dans l'air strié des fifres et le roulement des tambours – ralliement du dieu Pan et des invocations belliqueuses ;

 

 

 

guérites contemplatives – on voudrait s'y arrêter accroché au-dessus d'un ciel qui ressemble à un fleuve, y planter un chevalet imaginaire, peindre avec des mots – on y devine encore l'ombre de Rainer Maria Rilke, cette énigme dont il nous a fait don :                                   

                                              Nul de nous ne s'avance
                                              que vers un dieu silencieux.
 

Tant d'autres guérites encore… Celles qui, dans le harassement du jour, quand vient l'heure du répit, bruissent des conversations et libations qui se glissent entre la nuit et les hommes, comme une frontière invisible… Nous sommes entrés dans cette scène. La fatigue se lit sur les traits des visages, bientôt effacée par la joie d'être là, l'ivresse légère que procure le vin à ses premières gorgées. Le personnage central paraît un peu décalé, comme en avance, il boit à même la barille ; sans doute déjà gagné par l'ivresse, il laisse affleurer dans son regard l'après de la fête. Sur la droite, un vigneron a pris la pose, le bras droit armé d'un fossoir : son bras ne tremble pas. Droit, il se tient droit. Presque impérieux. Pourtant, brille pourtant dans son regard clair une lueur, comme un air de malice. A ses côtés, un autre homme, un peu voûté, le torse ceint d'un tablier, le visage buriné, noirci par le soleil et le vent. Il tient un verre qu'on devine vide. Comme s'il manquait de conviction. Les femmes sont là et cela paraît presque incongru. Nous sommes entre 1920 et 1940… Elles aussi, elle doivent se reposer. Elles ont pris part à ce labeur. Ce n'est pas un droit qu'elles revendiquent. Ce qu'elles espèrent, c'est la fête qui viendra après, le moment qui les arrachera à cette condition. Du moins deux d'entre elles, au centre. Celle de droite, pulpeuse, presque sensuelle, traîne pourtant un air las… Les trois autres, sur la gauche du tableau, hiératiques, figées dans la pénombre, comme absentes, à distance, semblent se conformer à leur rôle, jouent les vestales… Puis le regard vient se poser sur les deux personnages du fond, cet homme en gilet noir, à droite : il fait le faraud, toisant de loin les spectateurs. Ne serait-ce pas lui le maître du jeu, l'ordonnateur de la cérémonie ? Deux autres hommes encore dont les regards dessinent des lignes de fuite, sur la droite de la composition. Puis, enfin, cette évidence, ce contrepoint aux vestales, un instrument aratoire, dressé au centre de la photographie, qu'on interprètera comme on voudra, eu égard aux indices mis en scène par le photographe.

Tout ceci est en page 12 du livre, s'intitule Guérite à Plantzettes (1920-1940) et pourrait ressembler à une photo de Charles Krebser… 

 

• Anne-Dominique Zufferey, peux-tu me préciser comment t'est venue cette idée d'un livre sur les guérites ?

 

Cette idée m’a probablement été soufflée par les recherches des historiens qui se sont intéressés au vignoble valaisan, notamment Amélie Farde lui mentionnait que, au XVème siècle déjà, il était fait mention de cabanes dans les vignes. Il s’est avéré qu’on trouvait beaucoup de préjugés à ce sujet (par exemple que ces cabanes n’existaient que dans la région de Sierre ou de Sion) mais, au fond, on ne connaissait pas grand chose. On a découvert ainsi que ces cabanes avaient des fonctions diverses. Elles étaient liées à des questions d’approvisionnement en eau dans la région de Martigny, à la notion de métral du côté de Sion et de Sierre.

• Qui a collaboré à ce projet ?

Nous étions un groupe de quatre personnes. Augustin Schmid, docteur en biologie ; c’est lui qui a introduit la production intégrée en Valais. Il voyait des choses autour de ces guérites et leur donnait un sens qu’on ne voyait pas. Taddé (Charles-André Meyer), c’est l’ancien architecte de la ville de Sion. Il représentait la dimension architecturale, l’inscription de celle-ci dans le paysage viticole. Etienne Roux, le photographe, et moi-même.

• Comment avez-vous procédé ?

C’est un sujet « page blanche ; on est partis avec une ouverture, une disponibilité d’esprit totales. Ce livre s’est construit au fur et à mesure de nos entretiens et l’on s’est beaucoup remis en question. Nous sommes allés tous ensemble sur le terrain, nous avons exploré les moindres recoins du vignoble, interrogé pas mal de monde, recueilli des témoignages. En tout cela nous a pris trois ans !

• Qu’est-ce qui a changé dans ta vision du vignoble après ce livre ?

Ce qui m’a le plus frappé, c’est le changement de perspective du vignoble. On se rend compte qu’il y a une richesse, un patrimoine incroyable. Il y a sans doute un nouvel usage à inventer pour ces guérites, sur le plan de l’agro-tourisme notamment.