Je m’approche de lui :
• Armand Gatti, pourquoi aimez-vous tant les arbres ? Autour de votre maison du Piémont, à Pianceretto, vous en avez, paraît-il, planté des centaines et vous les avez nommés…
• Je plante des arbres parce que les Allemands, pour construire leurs camps de concentration, en ont arraché beaucoup. C'est ma réponse. Les arbres, c’est la verticalité, l’insurrection, ils montent au ciel.
• Armand Gatti, pourquoi aimez-vous tant les arbres ? Autour de votre maison du Piémont, à Pianceretto, vous en avez, paraît-il, planté des centaines et vous les avez nommés…
• Je plante des arbres parce que les Allemands, pour construire leurs camps de concentration, en ont arraché beaucoup. C'est ma réponse. Les arbres, c’est la verticalité, l’insurrection, ils montent au ciel.
Plaintes du manuscrit à l’encontre de l’auteur.
Et ça commence comme ça, nulle part
Et ça commence comme ça, nulle part
Comment décrire un tel homme ? Tenter de le caractériser ? Un météore, un homme debout, présence irradiante, une légende.
On peut dire d’Armand Gatti (né Dante Sauveur Gatti), qu’il est un Christ des temps modernes, un poète hanté, un dramaturge, un très grand écrivain, méconnu, magicien des mots, gardien du langage, un homme parmi les hommes, foncièrement libre, qui se bat pour que les autres puissent également accéder à leur propre liberté, pour que le père assassiné continue de vivre en lui. Car « vous tiendrez votre liberté de ce que vous aurez libéré… » (Joë Bousquet).
Et je n’aurai dit qu’une part infime de Gatti. Il faudrait parler du jeune homme qui, sous le pseudonyme de Donqui (Don Qui ?) a pris le maquis, vivant dans des trous de verdure au milieu des forêts de Corrèze. De celui qui fut finalement gracié. Letizia – Ton nom était joie – la mère, avait dans le même temps gravi à genoux le Mont Sacré de Crea pour sauver son fils.
Envoyé en camp de concentration, Gatti y découvre… le théâtre ! Après plusieurs tentatives, il s’en évade et rallie Londres où il devient parachutiste dans les forces spéciales. L’unité de la pensée et l’action. La mort à ses côtés. Qu'il frôle à chaque largage.
On ne peut s’empêcher d’établir ici un parallèle avec l’intraitable Capitaine Alexandre (René Char au civil), chef de la résistance dans le Luberon.
Gatti déclare au cours d'un entretien : » Il y a eu une expérience qui a été formidable, une vraie expérience mystique… Je ne sais pas si je dois le dire… J’ai été parachutiste. Il y a eu surtout un parachutage qui a été terrible et qui a tout changé, sur le Rhin. On a été vendu et lorsqu’on est arrivé, il y avait les mitrailleuses de la DCA qui nous attendaient : cordes coupées, chutes libres, balles… Tatata Tatata… On ne pouvait rien faire, on était au bout du parachute. Un carnage. De tout mon groupe, il en restait deux : le caporal et moi. Voilà. »
Est-ce de l’humour notre descente à ski, entre pictogrammes et idéogrammes, d’une montagne qui n’existe pas, et sur laquelle ne tombe pas la neige ?
Ce drame, ou un autre, similaire, est repris dans l’ouvrage phare d’Armand Gatti, La Parole Errante :
"Trois cents mètres de chute libre pour un SAS sérieux qui, par réflexe conditionné, n’a rien oublié de ce qu’on lui a appris à l’entraînement. Il s’est planté droit dans la terre. Il demeure droit, même le corps anéanti. J’ai essayé de dire quelque chose. J’ai commencé :
"Trois cents mètres de chute libre pour un SAS sérieux qui, par réflexe conditionné, n’a rien oublié de ce qu’on lui a appris à l’entraînement. Il s’est planté droit dans la terre. Il demeure droit, même le corps anéanti. J’ai essayé de dire quelque chose. J’ai commencé :
– Je…
et je me suis arrêté.
Il y avait quelqu’un d’autre dans ce Je, qui avait sauté à ma place…"
Un soir de février dernier, à Montigny les Arsures dans le Jura, par le truchement d'un autre Armand, passeur de mots, j'ai découvert pour la première fois cette oeuvre.
Un soir de février dernier, à Montigny les Arsures dans le Jura, par le truchement d'un autre Armand, passeur de mots, j'ai découvert pour la première fois cette oeuvre.
Sans savoir qu'un mois plus tard le destin me ferait rencontrer son auteur. Sans doute me faudra-t-il davantage qu’une vie pour le parcourir ses méandres, ses infinies disgressions, son foisonnement, son énergie brûlante.
Quoi d’étonnant ? Gatti lui-même décrit La parole errante comme un livre à venir. Un livre qui vous rêve autant que vous aviez rêvé de lui, qui lit en vous à cœur ouvert autant que vous le lirez, un de ces livres dont parlait Bataille, essentiel, écrit sous la contrainte. Pour que survive la liberté. Un livre d’amour des mots et du langage.
Parce, nommant le monde, les mots l’inventent. Parce que si le mot chien aboie, essaie de vous représenter ce que ça peut signifier…
"L’itération, qui mène au chaos, sape la prévisibilité. Joie : effondrement des économistes, la Bourse a failli se dédoubler en un ordre violent (qui est devenu un désordre) et un grand désordre (qui est devenu un ordre). En fait, c’était la même chose."
L'amour des mots toujours :
"Mots où le futur brûle sans laisser de traces.
Mots pour résister aux enquêtes, aux rondes, dont l’enfance des pauvres est morte.
Mots pour résister au salut d’où qu’il vienne et qui n’est qu’une mâchoire à broyer ce que nous ne sommes pas."
Et Gatti, le visionnaire, l’intempestif, l’alchimiste, évoque ce moment où l’Argonaute que l’on trouve dans chaque mot commence sa navigation sur la mer du langage :
"Nous sommes tous nés de l’agonie d’une étoile. Tant que l’idée de temps existera entre nous, nous serons un moment de cette agonie. Lorsque nous l’aurons perdue, une autre lecture du ciel sera nécessaire (peut-être) dans d’autres feux. L’écriture n’a jamais été autre chose."
Faut-il préciser ici que Armand Gatti est un des grands écrivains de notre temps ? Complètement méconnu. Mais c'est normal : il a quelques années-lumières d'avance !
Quelques œuvres d'Armand Gatti (pièces de théâtre, livres, films)
La vie imaginaire de l’éboueur Auguste G.
Ton nom était joie
La part en trop
Notre tranchée de chaque jour
La parole errante
La vie imaginaire de l’éboueur Auguste G.
Ton nom était joie
La part en trop
Notre tranchée de chaque jour
La parole errante
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Thumb up
Quelle émotion, Jacques! Mon regard devient humide. Il faudrait entendre parler Gatti, car la parole (errante) de Gatti est faite pour être entendue.
Si les arbres ont des racines, les hommes, ont des jambes, ce qui est un énorme progrès car ils peuvent voyager dans le monde.
Et merci Armand http://www.last.fm/music/Tom+Wai...
Armand, je l’ai entendu ! Quelle présence. Et quand tu sauras tout… Merci d’avoir été le passeur.
Tu as dit, Jacques, quelque chose d’important. Alors que tu crois lire un livre, c’est lui qui te lit, probablement ce que Goethe appelait les "affinités électives".
Armand, je me suis posé cette question : est-ce que, dès que l’on évoque la figure d’Armand Gatti, il y a quelque chose qui intimide ? Je constate que ce "post", même s’il est en rupture avec ceux qui précèdent, tient à distance… Intempestif Gatti, vraiment ? Ou serait-ce ma façon d’en parler ? Et pourtant, je vous le jure : c’est un grand, un très grand !
Jacques,
Je vous lis en découvrant un personnage …
Maintenant, le silence est trop nombreux…
Puisque certains passerons par Montpellier au bon moment http://www.tierslivre.net/spip/s...
…
Merci pour ce très beau et juste billet.
La rencontre d’Armand Gatti a aussi été un moment fondateur dans ma vie, une ouverture sur quelques belles rencontres aussi
Hugues