Depuis les débuts du Waldhaus, il y a un siècle, cette salle n’a pas changé.
La Lesesaal doit être chargée d’une façon particulière en ions favorables. Est-ce sa situation à flanc de rocher ? La nuit l’éclairage extérieur a tendance à dramatiser l’ensemble Comme si toutes les petites tables de lecture et l’immense bibliothèque venaient d’être arrachées au chaos originel…
La Lesesaal doit être chargée d’une façon particulière en ions favorables. Est-ce sa situation à flanc de rocher ? La nuit l’éclairage extérieur a tendance à dramatiser l’ensemble Comme si toutes les petites tables de lecture et l’immense bibliothèque venaient d’être arrachées au chaos originel…
La Lesesaal.
Est-ce dû également au portrait du docteur Nietzsche, étrangement situé juste à gauche de l’entrée ? De profil, comme dans presque toutes ses représentations, le philosophe nomade laisse filer le regard, mi-rêveur, mi-scrutateur de l’invisible, la main droite appuyée sur la tempe.
Placé ainsi, il semble se désintéresser des livres, nombreux, qui peuplent l’endroit.
Placé ainsi, il semble se désintéresser des livres, nombreux, qui peuplent l’endroit.
Peut-être est-ce à cet endroit que, un soir d’août 1928, le grand Otto Klemperer faillit se casser le nez contre son « collègue » Wilhelm Furtwängler. Les deux hommes, déjà célèbres, se connaissaient à peine – Berlin est une si grande ville et ils ne gravitaient pas dans les mêmes cercles – et voilà qu’ils se retrouvaient, par hasard, dans le même hôtel :
– Klemperer, me dit-elle, était un homme impressionnant à voir. Il en imposait. Il venait d’accéder, à la direction du Kroll-Oper de Berlin. Musicalement, il était déjà en train de s’éloigner de la direction fougueuse de ses débuts, vers quelque chose de plus léger. Il tournait le dos en quelque sorte au romantisme. Mais ce n’est que bien plus tard qu’il ralentira ses tempos, les étirant à l’infini, d’une façon solennelle. Quant à Furtwängler, sa renommée était déjà immense. Cette année-là, il est à la tête du Philarmonique de Berlin. Il vient s’accorder quelques jours de repos à Sils-Maria avant de repartir pour Görlitz. Au programme Haendel, Concerto Grosso no 10 et Bruckner Psaume 150.
Je la regarde pendant qu’elle me parle. A l’évocation de la rencontre des deux chefs d’orchestre légendaire», elle s’anime. Ses yeux me transpercent littéralement comme si elle s’adressait à une personne caché derrière moi. Où est-elle allée chercher ce visage ?
Quel âge pouvait-elle avoir en 1928 ? Difficile de le dire….
Elle appartient à ces êtres sans âge, qui flottent en permanence entre différents moments de leur vie, passent de l’un à l’autre avec une aisance stupéfiante, les rassemblent, ne cessent des les transvaser en un tourbillon fascinant. Dans ce mouvement, le passé est comme recréé, intégré dans une coulée profonde, unitaire, qui vous emporte loin de vous-même, de ce que vous considériez comme votre horizon.
De quoi ont parlé Klemperer et Furtwängler dans la salle aux sombres boiseries ? "C’est surtout Otto qui a nourri la conversation parce que Furtwängler, vous savez, ne disait jamais un mot de trop, il parlait en musique : c’était sa langue maternelle ! Je sais qu’il a été question de Bruckner, de la Quatrième symphonie, la Romantique, que tous deux, selon la prédiction de Klemperer, allaient diriger lors de la prochaine saison. Piqué au vif, Furtwängler a demandé à Klemperer quand il comptait diriger la Quatrième car, personnellement, il souhaitait être le premier… Inutile de rappeler à quel point Furtwängler était envoûté par l’œuvre de Bruckner qu’il considérait un peu comme sa chasse gardée."
– Bruno Walter est également venu à Sils, quelques années plus tard. C'était le plus secret, le plus mahlérien des grands chefs d’orchestre. D’une intelligence rare. Et qui savait écouter. Nous avons fait de longues promenades ensemble. Dans le val Fez qu’il aimait beaucoup et au bord du lac de Silvaplana.
Durant son séjour ici, Bruno Walter travaillait Le chant de la Terre de son maître Mahler qu’il allait enregistrer avec l’incomparable Kathleen Ferrier. Je me souviens de Walter fredonnant les premiers vers de La chanson à boire de la misère du monde (das Trinklied vom Jammer der Erde) :
Jetzt nehmt den Wein! Jetz ist es Zeit, Genossen!
Leert eure goldnen Becher zu Grund!
Dunkel ist das Leben, ist der Tod.
Le "rocher de l'éternel retour" à Surlej au bord du lac de Silvaplana.
Tout à coup Bruno Walter s’interrompait et souriait, avec une sorte de désenchantement dans le regard : "Allons, Alma, ne restons pas enfermés par une si belle journée, allons regarder le paysage pour faire enrager, là où il se trouve désormais, ce vieil ami Gustav qui croyait avoir tout écrit dans ses symphonies ! Si nous allions voir la pierre nietzschéenne ?"
C’est ainsi qu’il nommait le rocher au pied duquel Herr Professor Nietszche avait été frappé par la foudre inconnue."
La maison de Sils-Baseglia où vécut A.M. Schwarzenbach de 1935 à 1942.
Plus tard, elle évoque encore la maison de Sils-Baseglia où vécut Anne-Marie Schwarzenbach, météore des années trente, ange erratique qui trouva dans son Engadine natale un port d’attache. "Anne-Marie est morte dans sa maison de Sils-Baseglia, à 34 ans seulement. Elle a emporté sa jeunesse dans l’éternité et sa famille, sa mère surtout, a tout fait pour effacer sa trace littéraire, brûlant manuscrits et lettres. C’est un miracle que certains nous soient tout de même parvenus..".
Anne-Marie Schwarzenbach.
Je connais enfin l'identité de ma mystérieuse lectrice. Elle s'appelle Alma von Arnim – j’ai appris son nom hier en interrogeant le portier. Elle a été une grande pianiste (surtout Schumann et Brahms) dont les concerts ont attiré les foules dans le monde entier. "Aujourd’hui, dit-elle, je vis dans la distance respectueuse, l’abri précaire que me confère une gloire déclinante."
Elle vient à Sils-Maria depuis de nombreuses années. Elle y a vécu une histoire d’amour irradiante. "Au lieu de cendres, cette histoire a laissé à l’intérieur de moi une source vive, la brûlure d’un feu inconnu…"
S’approcher de ce feu doit comporter sa part de risque.
Alma s’est tue. Maintenant elle regarde le soir descendre.
Après ces quelques jours de mauvais temps où la neige a fait sa réapparition, le paysage se détache dans la lumière du soir avec une extraordinaire précision.
L'immense paquebot de l’hôtel semble s'être réveilllé ; les clients se dirigent en flots réguliers vers la grande salle à manger où a lieu le repas de gala « avec orchestre et chandelles ». Nous nous apprêtons à les imiter.
Avant de se quitter, Alma ajoute ceci :
– C’est Nietzsche qui a raison, une fois de plus : "sans la musique, la vie serait une erreur…"
Avant de se quitter, Alma ajoute ceci :
– C’est Nietzsche qui a raison, une fois de plus : "sans la musique, la vie serait une erreur…"
L'endroit où ça se passe Waldhaus Sils, Haute Engadine T. 041 838 51 00.
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Merci Jacques pour cette évocation d’AnneMarie Schwarzenbach, qui parlait du "regard sombre et humide qu’ont les gazelles", fit un bout de chemin avec Ella Maillard et vécu avec les enfants de Thomas Mann pendant les années noires.
Du tout grand, Jacques.
Texte à relire régulièrement.
Lieu où poser son sac quelques jours.
Décidement, cette Suisse profonde contient tant de notre Europe culturelle.
Waldhaus Sils : c’est la commune ou le nom de l’hôtel ?
Le Waldhaus, c’est le nom de l’hôtel. Il est situé à Sils-Maria, au bord du lac de Sils. Carte des vins fabuleuse dans cet établissement : Martin Müller, le responsable de la sélection est un vrai passionné. François, je te signale que M. Müller serait partant pour une session du GJE !
Ca c’est des vacances, de la culture, bravo jacques, rien a voir avec 15 jours aux maldives avec des voisins sur la plage qu’ils vient de ta meme ville….. et des restaurant international avec cuisine plastique!!!
Merci Jacques de nous faire partager ces petits morceaux de Paradis accessibles a quelques simples homosapiens comme nous.
c’est exactement ce dont j’ai besoin apres une semaine familliale en Galicie a manger des fruits de mer frais du matin en abondance que j’ai meme pu avoir eu la chance de pecher une nuit de pleine lune.
bref je retiens l’adresse pour apres les vendanges, salutations et profite de ces moments aeriens et uniques.