Le voyage avait pourtant bien commencé. Par une forme d’ataraxie à la lecture de L’été grec de Jacques Lacarrière. Souvenir de ce vigneron de Némée qui « parle une langue plus vieille – et en un sens mieux conservée – que le temple de Zeus que l’on apercevait de sa treille… » Et puis, les avions d’Alitalia étaient à l’heure.
A Catane, je regarde les passagers agglutinés devant le tapis roulant où défilent les bagages. La fatigue creuse certains visages. Et dire que les vacances n’ont pas même encore commencé… On dirait des orques qui attendent de voir passer le bon morceau.
A la fin, nous demeurons, une bonne vingtaine, scrutant, le regard méchant, le tapis vide. Seule une valise à moitié éventrée tourne en boucle. Visiblement, son propriétaire a pris la fuite. On ne le retrouvera jamais mais on tient son bagage. Tandis que nous, c’est le contraire !
Il doit exister quelque part un dieu des bagages. Le nôtre devait être égyptien ce jour-là : une heure plus tard, nos valises, imperturbables, défilaient sur le tapis roulant du vol en provenance de Le Caire !
J’appelle mon premier rendez-vous à Castiglione di Sicilia pourl’informer de mon retard. Ça tombe bien : il avait oublié de noterla date !
Une heure trente plus tard, à la nuit tombante, ma petite Fiat ahanne dans les ruelles pavées d’une ville au nom délicieux, Linguaglossa. Devant nous, l’Etna est paré de fumerolles pour la nuit. L’accès au sommet par le versant nord (où je me trouve) est paraît-il interdit. Dommage !
On aperçoit dans la pénombre les premères vignes, les murets aux allures de récifs coralliens, les coulées de lave pétrifiées. Comment ne pas être sensible à cette beauté noire, 100 % convulsive ? Non loin de Randazzo, voici enfin mon hôtel où j’ai réservé pour quatre nuits depuis belle lurette. Le parking est plein. Des groupes s’y pressent en tenue de soirée. Un général d’opérette, le plastron constellé de décorations et de crachats arrive avec sa suite, au milieu de laquelle trône une imposante Vénus noire callipyge. My god ! dans quel monde ai-je débarqué ?
Planté devant la réception désertée, je regarde le flot ininterrompu des invités que déversent voitures et autocars. C’est bien ma chance : Il s’agit du rassemblement annuel d’une puissante confrérie vineuse. Je l’apprends de la bouche même de l’un de ses grands manitous qui, remarquant mon désarroi, est venu me proposer son aide. La confrérie s’appelle l’Ordine del Cavialari Templari et mon interlocuteur en est l’un des Gran Priore.
Je croise également un capitaine au long cours à la retraite qui fut, m’assure-t-il avec fierté, responsable de la sécurité anti-terroriste du port de Piombino… Tout ce conclave holly-vaudou Berlusconi’s child continue d’affluer ici comme sur les lieux d’un miracle. Et toujours pas de chambre pour moi. La réception demeure obstinément fermée. Mais où donc est le personnel ? Voici le Padre, avec son calice et son étole : sûr qu’il est venu bénir les vins servis.
Une heure après mon arrivée, sur l’intervention du Gran Priore, un employé de l'hôtel daigne enfin jeter un coup d’œil sur ma réservation. Il est visiblement mal à l’aise et s’en va chercher la responsable car, dit-il, il ne travaille qu’épisodiquement ici.
Mais alors, tout ce monde, ce cirque : ces généraux, ces aréopages, ces chevaliers du vins, tous ceux qui sont ici ce soir, sont-ils aussi épisodiques. Ne me dites pas qu’il a fallu que je fasse tous ces km pour apprendre que la vie est un songe ?
Mon ami Marc de Grazia, Florentin installé sur les pentes de l’Etna pour produire un des plus grands vins de Sicile, m’avait pourant prévenu : » en Sicile, tout est différent, tout est très compliqué. J’ai eu de tels moments de doute à mes débuts ici que je me suis demandé si je n’allais pas devoir entamer une longue psychanalyse… »
Arrive enfin la responsable. Je lui montre ma réservation, faite directement par internet sur le site de l’hôtel et dûment payée par carte de crédit. Elle regarde avec une mine chafouine le document. « Cette réservation n’est pas valide ! déclare-t-elle. Elle a été faite sur l’ancien site de l’hôtel qui aurait dû fermé depuis belle lurette.
– Mais alors, dites-moi, qui gère ce site et qui a débité la carte ? C'est le propriétaire précédent de l’hôtel, répond-elle.
Voilà ce qu’on appelle une rente de situation. J’ai payé, sur un site apparemment très officiel, pour une chambre qui n’existe pas…
Mon ange-gardien, le Gran Priore met tout son poids dans la balance et fait pression sur la nouvelle propriétaire (qui précise n’être que la gestionnaire de l’établissement) pour qu’elle trouve une solution. Celle-ci accepte finalement de me loger dans un autre hôtel qu’elle possède à Randazzo…
Dites, vous en connaissez beaucoup des histoires comme ça, aussi surréalistes, de voyageurs perdus au milieu des laves, égarés dans des fêtes secrètes, des histoires tordues qui finissent aussi bien ? Moi pas.
Demain : les îles sous le vent et tous les clichés que j'ai pu trouver sur la vie ici.
9 Comments
Oh, que oui Grand Jacques qu’on en a connu des histoires pareilles ! Avec le temps, tout arrive à chacun de nous. C’est ta première expérience en la matière ? Retiens la leçon.
Dès que quelque chose ne tourne pas rond au départ, rentre chez toi, fais autre chose, reporte à plus tard. Rien n’est plus urgent que la sagesse et la tranquilité.
Les TGV bloqués des heures, la neige sur autoroute qui stoppe tout, les hôtels qui ont perdu ta résa : c’est hélas monnaie courante pour les voyageurs impénitents !
"beauté noire, 100 % convulsive"
3 mots, quelques signes: une description qui fait voyager. Fabuleux…
Cela commence bien en tout cas votre périple…
It’s only rock’n’roll but (we) like it
La neige sur l’autoroute… Mais où vas-tu chercher ça ? Et quand on est bloqué en montagne et qu’il faut bivouaquer dans une crevasse… Non, François, ce n’est pas ma "première expérience en la matière". On a connu bien pire. Même bloqué quatre mois sans bouger. Sois à ce qu’on te dit !
V’là qu’il a plus sa tête !
Je me pends tout de suite ou vous me permettez encore qq gueletons ?
Calmos,tant que tu ne vois pas les longs manteaux…
On autorise Sieur Mauss,mais c’est bien parce que c’est vous ! (les gueuletons,pas la corde,c’est qu’on ne plaisante pas avec ces choses là !)
Pas avant ta venue sur Lyon François, on va t’y redonner goût à la vie au cas où …
Dégoté un nouveau Bistrot (du Potager) taillé pour toi, sur mesure, au poil, avec des pâtés croûtes "maman les vélos®" , un chef en forme(s) et tout et tout …
😉
Concernant l’Italie et son désordre légendaire, lors de ma dernière visite en belle-famillie (des longs manteaux du sud, attention hein !), lu dans "La Repubblica" l’anecdote suivante.
Un réseau de fours à pizzas, de Campanie il me semble, s’est fait pincer à chauffer les fours avec du bois de cercueils récupérés gratis par une entreprise de pompes funèbres mafieuse (pour le moins) indélicate …
Ce pays est une île … mais on l’aime qd même fort !