Mais courir, s’échapper, déborder, n’est-ce pas ce que Tintin fait depuis toujours ? Sous les traits lisses de ce jeune homme se cache un héros contemporain, intrépide, pressé, imperméable au danger, aux perfidies, au temps qui passe – à l’image de la gabardine qui l’accompagne. Engagé dans une quête sans fin, d’un continent à l’autre, sur terre et dans le ciel, Tintin n’est ni le héraut de la vérité ni celui de la justice. Certes, il s’attaque aux méchants, aux Rastapopoulos, Sponsz, Mitsuhirato and co, mais l’objet de la quête semble être ailleurs. Où ?
La réponse se trouve peut-être chez Haddock, son double inversé. Depuis la rencontre avec le Capitaine dans le Crabe aux Pinces d’Or, la saga du petit reporter prend une dimension nouvelle. La présence de Haddock introduit un souffle nouveau, infléchit l’histoire en direction de l’épopée rabelaisienne. Le château de Moulinsart est un rappel lointain de l’abbaye de Thélème, et l’oracle de la dive bouteille est consulté en permanence par celui qu’Abdallah surnomme « Mille sabords ».
Le Secret de la Licorne est à cet égard emblématique ; il n’est pas étonnant que Spielberg ait commencé par là. Par cette charnière qui donne une trame supplémentaire à l’histoire en inscrivant Haddock dans une généalogie.
La boisson devient ici une métaphore de l’inspiration. Le récit ventriloque que fait Haddock des aventures du chevalier de Hadoque son ancêtre, puise toute sa force de conviction dans le rhum dont le capitaine se sert en généreuses rasades.
La boisson devient ici une métaphore de l’inspiration. Le récit ventriloque que fait Haddock des aventures du chevalier de Hadoque son ancêtre, puise toute sa force de conviction dans le rhum dont le capitaine se sert en généreuses rasades.
Dans L'Affaire Tournesol, le vieux loup de mer avoue même une dilection particulière pour le vin blanc suisse ( ?) : un vin né sous de bonnes étoiles – celles de 1947 – est l'objet de toutes ses convoitises tandis que, imperturbable, le professeur Topolino poursuit son récit haletant. Jusqu’à l’explosion qui rase la petite maison de la route de St-Cergue. Heureusement, les miracles existent : le trio est sain et sauf et, surtout, la bouteille est intacte !
Etrangement, Haddock semble parfois proche de renoncer à la boisson. Dans l’Etoile mystérieuse, il devient président d’une ligue anti-alcoolique et trouve que l’eau minérale a bon goût coupée d’un doigt de whisky. Catastrophe ! Dans Tintin et les Picaros, le Loch Lomond ne trouve plus grâce à son palais. Ce diable de Tryphon a trouvé le moyen de sevrer Archibald Haddock. Heureusement, rien ne dure, hormis la soif !
« Bois ! » L’oracle cher à Rabelais a raison : la soif est inextinguible. Elle est avant tout soif d’aventures, et celle-ci pour être préservée ne doit jamais être étanchée. C’est aussi l’un des jurons préférés de Haddock : il n’y a rien de pire qu’un boit-sans-soif !
Article paru dans 24 Heures du samedi-dimanche 23 octobre 2011
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