Le synopsis est amusant. Le jeune Rémy, moitié rat des champs, moitié rat des égouts, découvre avec ravissement le monde de la grande gastronomie via les émissions de vulgarisation et les livres du grand maître Gusteau. dont la pensée profonde « n’importe qui peut cuisiner » est aussi superficielle que démagogique. Sans doute la version hédoniste du « n’importe qui peut devenir riche ! » Arraché à son milieu d’origine par un maelström à vocation initiatique, Rémy atterrit dans les cuisines du grand restaurant Chez Gusteau où sévit désormais l’ombrageux et stérile Skinner, chef acariâtre qui a pris la succession du bon Gusteau, récemment disparu. Notre rat surdoué devient le protégé de Linguini, commis bêta et ébouriffé – c’est curieux il a un peu la tête de Pierre Gagnaire jeune – dont la seule gloire est d’être (par le hasard le plus étrange) le fils de feu Gusteau. Sous l’emprise de ce rat inspiré, qui pratique volontiers l’incantation au-dessus des marmites, Linguini se transcende, se métamorphose en grand cuisinier créateur. Désormais, sans que personne ne le sache, notre grand escogriffe est devenu la marionnette du rat Rémy qui lui transmettre ses ordres. Et le succès arrive. Avec ce dernier, l’amour de la belle Colette parce que qui a du succès est nécessairement aimé…
Mais des ombres planent sur ce tableau : le pauvre Rémy est l’instigateur d’un triomphe culinaire dont il est exclu à jamais : même humanisé à l’extrême par la grâce des studios Pixar, il garde une apparence de rat, un personnage peu fréquentable, flottant entre deux mondes : celui des hommes qui le rejette «Vous vous rendez compte de ce qui se passerait si quelqu’un apprenait qu’il y a un rat dans notre cuisine ?». Celui des rats avec ses règles, sa lucidité supérieure : «Ne t’approche pas des humains, ils sont dangereux ; maintenant, tais-toi et finis ton croûton !» On nage dans l’anthropomorphisme, en pleine confusion parfois ; pour les besoins de la démonstration, on agite de grands stéréotypes au premier rang desquels, la menace suprême, celle qui risque de tout faire capoter : attiré par la rumeur du succès, le critique gastronomique le plus redouté, le plus important, débarque un jour, tête de nécrophage et de solipsiste anorexique. Son nom ? Anton Ego. Un nom
Anton Ego : d'aucuns y voient un avatar de François Simon… L'intéressé n'a pas démenti !
qui sonne comme un pauvre rébus dont on devine qu'il doit demeurer déchiffrable, sorte de contraction en la solitude du critique – car on ne peut être que seul quand on exerce ce terrible métier, juger la cuisine des autres – et, peut-être, la jalousie (Anton n’est-il pas le nom d’un chef célèbre qui vient d’obtenir son troisième macaron ?) Du haut de son jugement culinaire transcendantal, Anton Ego va tomber dans le piège, s’effondrant de bonheur en dégustant une ratatouille qui est comme une part d’enfance en lui miraculeusement préservée et réactivée. Le repas qu’on lui a concocté et qu’il juge sublime a été préparé par … le rat Rémy, aidé par son armada de gueux ! Beau joueur, n’est pas rat qui s’en dédit, Anton Ego reste accroché à son rêve. Le milieu ne lui pardonnera pas ce délire, encenser la cuisine d’un rat. Le roi est nu, dépouillé de ses privilèges, mais heureux d’avoir renoué avec sa part d’enfance. La fable est amusante, divertissante parfois, techniquement parfaite mais aussi creuse que les pauvres réalisations que l’on voit défiler dans cette cuisine imaginaire, du potage poireau-pomme de terre, des ris de veau à la manière de Gusteau, un saumon poêlé qui doit sortir racorni de ce traitement et, au final, la fameuse ratatouille qui arrachera des larmes d’enfance à Anton Ego. Là, l’équipe s’est décarcassée et a demandé de l’aide à un vrai grand cuisinier, Thomas Keller, le fameux chef de la "buanderie française" à Yountville dans la
La ratatouille façon French Laundry : elle va faire craquer Anton Ego !
Napa Valley. Celui-ci a revisité le plat éponyme. Il nous livre même les épices et condiments utilisés dans cette ratatouille animée : basilic, feuilles de laurier, l'ail émincé, paprika, poivre, sel, romarin, échalotes, safran, thym et curcuma. Rien que du très classique. Pas de quoi casser trois pattes à un rat ! Heureusement que les vins nous font un peu rêver, même si, là également, on reste dans le registre très classique : château Latour 1961 et Lafite 1982.
Bon, plus concrètement, je file cuisiner. J’ai ramené du marché quelques pinces de tourteau, les premiers pétoncles et quelques autres bricoles. « N’importe qui peut cuisiner ! » a dit Gusteau. Alors voici ce que ça pourrait donner.
Bon, plus concrètement, je file cuisiner. J’ai ramené du marché quelques pinces de tourteau, les premiers pétoncles et quelques autres bricoles. « N’importe qui peut cuisiner ! » a dit Gusteau. Alors voici ce que ça pourrait donner.
– Fraîcheur de melon, concombre, pomme granny-smith à la coriandre et gingembre
– Pressé de tourteau au jardin marin et à la poudre de Névis, mayonnaise virtuelle au yoghurt de brebis
– Pétoncles sautés au basilic et à la tomate
Et puis, je vous dois toujours une recette : le homard et la marinade ananas-truffe. Laissez-moi consulter mon shaman !
3 Comments
SHAMAN : Prêtre, guérisseur et devin, dans certains peuples du nord de l’Asie et de l’Amérique.
J’ai très peur de la cuisine "virtuelle" : kesako ?
je suis un cuisinier rwandais.je peux vous dire que je suis tellement interressé par vos aventures.
Accords improbables rongeurs/vins :
matadornetwork.com/nights…