Les gens d’ici connaissent. Ceux d’ailleurs aussi. Ils commencent à affluer dans la région. Depuis l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. « Lavaux, vignoble en terrasses ». La beauté est un partage.
Ici, dans ce pays de vignerons-funambules, de villages accrochés aux pentes abruptes, de légendes, on a vite fait de dévaler vers le lac et de partir voir le monde. Quitte à chercher le ciel perdu là-haut derrière la colline. Comme ce jour de la dégustation relatée ci-dessous. Une chose est sûre. On y revient toujours. Comme à des certitudes inébranlables. Des balises dans un monde en perpétuel changement.
Le changement, pour la famille Monachon, c’est surtout celui des saisons, des lumières sur le lac, de la respiration de la vigne et, aussi du temps qui passe. Sixième génération de vigneron sur le domaine, le longiligne et dynamique Pierre Monachon, longiligne, travaille avec son fils Basile sur un 3 ha de vignes dans le cœur magique du Lavaux. Saint-Saphorin et Dézaley. Le domaine a a été créé en 1777, peu avant que le pays de Vaud ne se libère de 262 années de tutelle bernoise, et figure aujourd’hui parmi les plus réputés du canton.
Pierre Monachon est syndic de Rivaz comme Jean Macle a été maire de Château-Chalon durant de longues années. En cherchant bien, on trouverait sans doute d’autres correspondances entre les deux hommes. Même discrétion et même élégance et, surtout, même approche du vin. Dans deux lieux chargés d’énergie tellurique, d’une beauté intemporelle, où la viticulture demeure artisanale, presque « héroïque ».
Voici un bref compte-rendu de la très intéressante dégustation organisée par la famille Monachon en son domaine de Derrey Jeu à Rivaz.
Outre Basile et Pierre, Christian Monachon était également présent. Sa vie professionnelle a suivi une autre trajectoire – il s’envole dans quelques jours pour un postdoctorat de trois ans en Californie –, mais il a aussi la religion du vin. Sur le campus de Berkeley, on ne parlera pas que de nouveaux matériaux composites, mais, c’est certain, de dégustations à l’aveugle.
Nous n’avons pas dégusté à l’aveugle ce soir-là, mais nous nous sommes retrouvés pour un beau moment de convivialité dans le carnotzet du domaine :
Saint-Saphorin les Manchettes
Les Manchettes est incontestablement un des fleurons du domaine. La parcelle fait environ 8000 mètres carrés et l’âge moyen des vignes est de 20 ans. Ce terroir, très minéral, donne des vins un peu réservés en jeune âge, avec un intéressant potentiel de garde. Ainsi que l’illustre cette mini-verticale :
Saint-Saphorin Les Manchettes 2012 – Vin de mise en bouche
Le nez est fin, pas très intense, jolie pulpe de fruit, c’est charnu, élégant, belle pureté d’expression, finale souple. Fine amertume perceptible. On lui souhaiterait un peu plus de tension.
Saint-Saphorin Les Manchettes 2009
« C’est le millésime rêvé pour le vigneron. On a toujours l’impression que la vigne souffre un peu du sec et on arrive à la récolte avec un grand millésime » a précisé Pierre Monachon
Beau nez en phase d’évolution, touche florale, miellée, nuancée. Ample, généreux en bouche, presque gras, il se révèle très continu et finit, complexe, sur un registre aromatique proche de celui que l’on avait au nez.
Saint-Saphorin Les Manchettes 2007
Le nez offre un peu moins de profondeur que le 2009. Légèrement réduit au départ, il s’ouvre sur des notes d’infusion, de verveine et de mélisse. Très jolie entrée en bouche avec une sensation de fruit légèrement confit. Il n’est pas flasque à l’évolution et présente une jolie pulpe, avec une impression saline et légèrement crayeuse sur la finale.
« Sur 2007, le terroir, s’est très vite marqué en vinification. En 2009, ça a mis plus de temps à venir au niveau du terroir » précise M. Monachon.
Saint-Saphorin Les Manchettes 2003
Très joli nez, associant des notes de fruits du verger à des nuances d’herbes sèches et, même, note un des participants, de truffe blanche. On retrouve un côté confit (plus en entrée de bouche qu’au nez), solaire. La bouche est sphérique, avec une dimension tactile gourmande. L’empreinte du millésime est présente, mais ce dernier ne prend pas le dessus et le vin reste lui-même : très Manchettes.
Saint-Saphorin 1999 Les Manchettes
« On change de siècle. C’était une année chaude, assez arrosée, avec du mildiou. C’était le millésime de la fête des Vignerons » rappelle Pierre Monachon.
Au nez, on a l’impression que le vin s’est refermé. On a un caractère minéral perceptible, salin. Il est frais, vif, avec encore une belle fraîcheur dans l’expression aromatique. La bouche est d’une très belle tenue. Racé et fringant.
Saint-Saphorin 1992 Les Manchettes
Nez fermé de prime abord, qui s’ouvre ensuite sur des notes de pierre chaude, de poivre noir, avec une nuance iodée et miellée. Corps généreux, gras, mais pas pataud, qui finit sur des notes de naphte.
On passe à une mini verticale de l’un des autres fleurons du domaine, le merlot de Saint-Saphorin
« C’est mon grand-père qui avait planté des treilles de merlot après la guerre. Chaque fois qu’il faisait une reconstitution, il replantait contre les murs. On en a planté ensuite au bord du lac pour pouvoir le faire mûrir même dans des conditions difficiles. La surface totale plantée en merlot est de 3000 m2 » commente M. Monachon
Saint-Saphorin 2010 – merlot
« En 2010, on a mûri par la fraîcheur et par un mois de septembre assez arrosé. »
Le nez est agréable, assez expressif, même s’il n’est pas encore totalement extraverti. Notes fruitées, bois, épices. Il offre une belle densité en bouche avec des tanins solidement campés, une chair satinée et une finale expressive.
Saint-Saphorin 2008 – merlot
Millésime plus difficile à mûrir. La vendange a eu lieu à fin octobre. Le nez est orienté sur les fruits rouges, les épices. Corps un peu effilé, à la trame serrée, avec un léger manque de chair, mais l’ensemble est sapide, équilibré. Il s’en tire avec les honneurs.
Saint-Saphorin 2006 – merlot
« Millésime compliqué, car les vendanges ont été précédées par deux week-ends très pluvieux, tient à préciser Pierre Monachon. Un à 100 mm d’eau à 20 degrés. Puis 90 mm à 18 degrés pour le deuxième week-end. On a ramassé ce merlot un jour avant qu’il nous fonde dans les mains ! »
Le nez est loin d’être inintéressant dirait… un Vaudois. Il exhale des notes d’épices douces, de tabac, de chocolat. Au palais, le vin apparaît ample, très mûr, fondant, un peu baroque, voire décadent. Avec un léger côté sénescent dans les arômes. A boire d’ici trois ans.
Saint-Saphorin 2003 – merlot
Robe très sombre. Léger côté camphré dans l’expression aromatique. Notes de fruits rôtis et de chocolat, cerise très mûre. Vin intéressant, concentré, équilibré malgré sa richesse.
Saint-Saphorin 2001 – merlot
Issu d’une année très pluvieuse – « on est dans les mêmes chiffres que 2013 au niveau du régime des précipitations » précise Pierre Monachon – ce vin tire son épingle du jeu. Fin, dynamique, il évolue vers une gamme aromatique caractéristique de ce type de millésime. Notes de gentiane, de goudron, de terre mouillée. La truffe va-t-elle apparaître ? C’est bien possible.
La troisième mini-verticale était consacrée au seigneur du Lavaux. Le Dézaley en majesté. « Les Côtes-Dessus, c’est un lieu-dit qui a du fond, ce qui est un avantage pour le Dézaley, notamment dans les années chaudes. Au contraire des Manchettes, la vigne est ici plantée sur 1.20 de terre », commente le syndic de Rivaz.
Dézaley 2011 Les Côtes-Dessus
Il est effectivement très différent du Saint-Saphorin dans son expression. Il est gras, ample, immédiat, déjà volubile avec une finale souple, déployée, légèrement miellée.
« 2011 a été ici un millésime incroyable : floraison précoce, maturité qui prend du temps, été assez arrosé, mais très bel automne ! » ajoute M. Monachon
Dézaley 2007 Les Côtes-Dessus
Le nez est un peu refermé, très réducteur. Plus d’acidité, plus de fraîcheur, mais la bouche est un peu dissociée. Caractérisée par des notes de thé, elle manque un peu de pureté.
Dézaley 2003 Les Côtes-Dessus
Robe à reflets dorés. Nez sur le confit, le pain d’épices, le miel, les fruits confits, la frangipane. Il évoque presque une marsanne de la région de l’Hermitage. Bouche très caressante et évidente.
Dézaley 1999 Les Côtes-Dessus
Un vin magistral. D’une tenue exemplaire. Très belle bouche, harmonieuse, sur la noisette grillée. Corps d’une superbe ampleur. Tout est fondu, serein, équilibré. Grand.
Dézaley Les Côtes-Dessus 1990
Magnifique nez, ample, complexe, grande finesse, c’est un chef-d’œuvre !. On a le miel, la pierre et les épices. Les notes aromatiques sont très pures, avec une touche d’ambre. Le temps l’a révélé.
Dézaley Les Côtes-Dessus 1985
On retrouve le même registre aromatique que sur le précédent. Proche des épices, de la cannelle. Le corps riche, mûr, illustre le caractère extraordinaire du millésime avec des raisins idéalement mûrs. Toutefois, au jeu des comparaisons, et même si ce vin celui de l’année de naissance de deux des dégustateurs, je lui ai personnellement trouvé un peu moins de profondeur que le sublime 1990 !
Merci à toute la famille Monachon pour son accueil amical et cette belle dégustation. Pour les photos, je reviendrai quand le soleil sera au rendez-vous !
Comment
Merci de nous transmettre avec force détails cette belle dégustation et surtout d’évoquer le bel esprit de cette famille vigneronne.
Une dégustation à laquelle je n’ai pu prendre part car j’avais accepté un changement de planning professionnel 48 heures avant que Basile ne me communique la date. Un vrai crève-cœur.