Fournie par mon ami Bettane, joint ce matin sur son portable : ce fut le 1961 « bon mais ce n’est pas un Mouton d’anthologie, tu n’as rien perdu » me confie-t-il, rassurant…
Saisie au vol ce matin, cette scène étrange : un salon de coiffure (eh oui !), à côté de moi, une femme d’une cinquantaine d’années, vêtue de sombre, s’agite sur son fauteuil en attendant que la couleur prenne, tel Cézanne tentant de peindre le chaos par lequel la couleur prend forme. J’observe à la dérobée son visage, c’est celui de l’affliction et de la demande : nous tous, dans ce salon, sommes les témoins d’une tragédie que nous ne devrions pas ignorer.
–« On l’a incinéré hier, c’était dur, nous n’étions que les membres de la famille et les proches, avez-vous le Matin et l’Illustré ? » dit-elle en s’adressant enfin à son coiffeur mutique et indifférent. Elle entreprend alors de commenter à voix haute les articles qui concernent la disparition d’un comédien célèbre. Commentaire qu’elle entrecoupe – mais à qui s’adresse-t-elle ? – de micro-récits sur les derniers jours, les dernières paroles, le dernier souffle et, surtout, cette attitude exceptionnelle, ce courage devant la mort dont il a fait preuve. Avec un art consommé de la mise en scène, elle ordonne cette avalanche de clichés pour nous en livrer l’essence pure : la figure du tragique devant laquelle nous devrions tous nous incliner, ou alors nous n’aurions ni cœur, ni compassion… Nonobstant la rumeur affolée des sèche-cheveux, j’ai cru voir passer une minute de silence… laquelle a prélevé son dû auprès de chacun et chacune, réunis par le hasard, ce matin-là, dans un salon de coiffure !
Et pour que désormais nous n’ignorions rien désormais des liens qui unissaient le défunt célèbre et peopolisé à notre pleureuse, celle-ci entreprend alors de téléphoner fébrilement à quelques inconnues, nous gratifiant de la lecture in extenso des articles consacrés par Le Matin et l’Illustré à la personnalité du disparu. Nous nous sommes tous regardés avec effroi : chacun venait de découvrir, à la faveur d’un brushing, d’une coupe régulière ou d’une tentative pour fixer la couleur, sa condition de mortel et son corollaire implacable : nous passons une partie de notre vie à mettre des mots sur le visage de l’absence, à parler à la place des morts, à tenter de les appeler une dernière fois au téléphone, à renouer avec eux, pour leur donner des nouvelles de leur mort !
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