On entend çà et là quelques voix discordantes, des avis mitigés – l’éternel cortège des déçus et des atrabilaires – sur la cuisine d’Olivier Samson, le jeune chef breton.
Et bien, disons-le haut et fort : cette cuisine est superbe et si je ne résiste pas au plaisir de vous citer les plats, c’est parce que, du début à la fin, j’y ai vécu un moment d’intensités gourmandes joyeuses, croisé de tragiques trajectoires. Vous voulez vraiment connaître la suite ? On entre tout de suite en matière avec le Homard des côtes bretonnes rafraîchi à la pastèque, vinaigrette de palourdes et concombre à la mélisse. Fort, très fort ! Et cet accord parfait avec un Riesling Wehlener Sonnenuhr de JJ. Prühm !
Ataraxie ensuite avec ce Tourteau de casier et caviar « Osciètre Golden Grey » lié au citron confit en tressé de courgettes, crémeux glacé et fleur de bourrache . Un peu technique (quelle finesse dans le tressage !), très beau (voir photo) et bon.
On change de vin pour faire escorte à la Langoustine du Guilvinec, Pêche jaune confite, girolle étuvée,« Lomo belota de pata negra .
Un tel plat mérite un seigneur, ce sera le Chablis Les Clos 2001 de Raveneau, un peu fermé malgré un passage en carafe et qui ne daignera révéler toutes ses qualités qu’à la fin du repas… Tout cela rythmé par un service sobre et attentif.
La conversation fuse.
Nous voici sur l’Isola de Panarea dans la mer Tyrrhénienne. Mon commensal évoque des périples à dos de mulet, une cabane de pêcheurs aux murs étincelants et, à l’intérieur, luxe suprême une armoire à vins climatisée avec les meilleurs nectars de Bourgogne. De quoi commencer sérieusement, dit-il, à rédiger son futur roman…
– Comment peux-tu songer à écrire un roman puisque tu es déjà un personnage romanesque ? lui dis-je, au moment où déboule sur la table le Rouget de roche cuit toute flamme, pointe d’olives Taggiasch, Siphon mélisse façon « choron », effluves de tomates.
Je crois deviner un éclair dans son regard (pas celui du rouget…), une convoitise teintée de nostalgie – on est toujours orphelin de ce que l’on désire si l’on désire être ailleurs –, un Stromboli qui couve au lointain. C’est comme ce film de Rosselini avec la belle, la rebelle, l’altière Ingrid, la Bergman…
Impossible de poursuivre ma phrase car un tourbillon nouveau est entré dans la conversation : les investissements alternatifs, les placements stratégiques ou comment fabriquer de la richesse.
J’écoute distraitement, car ce rouget de roche mérite un meilleur sort. C’est un rouget de mer fraîche, la saison avec son climat décalé est idoine et voici notre mullus surmeletus apprêté dans son essence méditerranéenne. A la perfection. Et l’ami avec lequel je partage ce soir le pain et le vin d’entreprendre de me donner des gages de son côté visionnaire.
– On imagine toujours, me dit-il, que la richesse se fabrique dans une société opulente, ce n’est pas vrai… Il y a peu d’argent à gagner dans un tel cas. Le potentiel de l’investissement est déterminé par l’étiage économique. Plus la situation est merdique, plus tu risques et plus tu gagnes, si tu gagnes… Et nous voilà embarqués, entre le Zambèse et le lac Kariba, dans le trouble Zimbabwe de Robert Mugabe, un pays exsangue à tous points de vue, avec une inflation galopante (1 042,9 % en mai 2006), décimé par le sida, le chômage. On ne peut pas aller plus bas. Ce pays un jour se relèvera, c’est là qu’il faut investir ; certes, il y a des risques mais n’oublions pas que, lorsqu’il s’appelait Rhodésie, il était réputé comme le grenier à blé de l’Afrique. Nous devons oser inventer un futur à cet endroit…
Avec stupéfaction je découvre les arcanes de la finance métissée new age, une certaine forme d’insolence libertaire aussi, tandis qu’on nous apporte la Barbue de petite pêche, grillée en tronçon d’une simplicité et d’une évidence éblouissantes. Un plateau de fromages fort honorable signé Boujon avec un vieux Sbrinz d’anthologie et l’on garde juste ce qu’il faut d’appétence pour savourer la déclinaison d’Abricot Bergeron, pêche, Marmelade vanillée, coque chocolat blanc, « esquimau » des vergers.
Avec un verre de Riesling Muenchberg 2004 VT d’André Ostertag, pur, dynamique, élancé comme un trait de lumière, c’est un moment unique. J’oublie un instant ce paradoxe, cette collision des mondes, cette tectonique du raffinement et de la misère.
Choqués ? Promis : un de ces jours je vous parlerai de la misère…
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