A l’âge de cinquante ans, les parents d’Eric, Henri et Catherine, ont un véritable coup de cœur pour Pibarnon, à l’époque tout petit domaine bandolais de 3.5 hectares tenu par un homme originaire du Piémont italien. Nous sommes en 1978 et le chantier qui attend le couple n’est pas mince. Il faut en effet remodeler le vignoble, l’étendre, consolider les terrasses et pérenniser la culture des plants de mourvèdres ancrés dans le calcaire dur. Rappelons qu’en ce temps là, comme le dit Eric, « la Provence du vin c’était un peu le Far West ». Et les amis parisiens de la famille les prenaient pour des doux dingues…
Près de 30 ans plus tard, le domaine compte quasiment 50 hectares, répartis en multiples restanques qui forment un cirque esthétique témoignant d’un bel entêtement de civilisation. Elles habillent la colline sur toutes les expositions, les plus lointaines se trouvant à un ou deux kilomètres. Début des années 90, Eric rejoint ses parents sur la propriété, affinant le style à la fois « tenu » mais « libre » qu’ils avaient mis au point. Après avoir quelque peu délaissé la vendange entière durant les années 2000, ce dernier travaille davantage avec la rafle sur les derniers millésimes, des discussions avec de grands vignerons bourguignons n’y étant sans doute pas étrangères. Les élevages se veulent toujours traditionnels, principalement en grands foudres de chêne.
Sous sa main bienveillante s’opère donc une savante alchimie entre une terre d’altitude, très calcaire, pauvre ; l’influence de la Méditerranée située à deux pas, qui tempère le « sec » local et la chaleur d’expositions au sud et à l’est ; et un cépage à forte identité, tardif, mais capable d’emmagasiner une fraîcheur que l’on ne soupçonne pas : le mourvèdre. Pour mesurer le chemin parcouru, Il fallait bien une verticale :
Deux millésimes de rosé, pour commencer…
Château de Pibarnon 2008, Bandol rosé : il associe mourvèdre et cinsault, et a eu le temps de mûrir une année en bouteille (point important). C’est un vin au bouquet complexe de mandarine, poivre blanc et anis que l’on découvre. Savoureux, fondant sur des fragrances d’épices qui éclatent en bouche. A découvrir !
Château de Pibarnon 1996, Bandol rosé : et oui, un rosé peut vieillir ! Notes exotiques tirant vers la liqueur d’orange, avec une pointe iodée. Bouche ample et souple, le vin se tient et réclame davantage la table que la dégustation pure. Honorable
2008 (assemblage final, mise en mai) : Encore peu formé aromatiquement, on admire par contre la pureté et l’intégrité de la bouche avec un tanin lisse et très défini, stylé, qui l’allonge sur des notes de réglisse et crème de cassis. A ce jour c’est un 2008 très prometteur, ferme et élégant, bien construit. Il réalisera la quadrature du cercle s’il confirme en bouteille.
2006 : Un peu entre deux phases de son évolution, ce millésime plutôt sec et chaud se traduit ici par des notes de mourvèdre légèrement figué, basculant sur une aromatique poudrée et orientale. Il se cherche un peu à ce stade, oscillant entre une attaque fastueuse et une allonge plus crispée, moins généreuse et harmonieuse. Le temps va lui donner la patine nécessaire.
2005 : Issu d’une année peu facile en Provence, il s’en sort avec les honneurs. Davantage que ses arômes un peu brouillés, on retiendra à ce stade la juste extraction et l’adaptation du vinificateur au raisin de l’année : il en résulte un Bandol de demi-corps, souple, et que l’on pourra boire plus tôt que d’autres. Bien carafer avant de boire.
2004 : A contrario, 2004 est une des grandes années provençales. Ici le vin commence à former son bouquet, se diversifiant sur les épices et le Havane. Le corps est déjà avenant, charnu et sensuel. On pourrait aussi le qualifier de « facile d’accès », mais sa structure est très différente du 2005, enveloppée par davantage de muscle. A boire ou garder.
2001 : Explosif est le mot, car il exsude le mourvèdre mûr et la Méditerranée. Notes de fruits à noyau, violette, fleurs séchées, accents de tabac brun. Expression généreuse, soyeuse et joyeuse d’un jus mûr et expansif. C’est un vin loquace, à fort accent sudiste, comme si l’éraflage lui avait permis encore plus de volume et de folie, mais peut être moins de retenue.
2000 : Millésime qualifié de ‘Premier de la classe’ par EDSV pour son côté sage et docile, c’est un Pibarnon « grand public » que l’on goûte ici. Il a dix ans, il fait son âge et ne tiendra pas dix années de plus, mais donnera du plaisir : épicé, relâché, c’est plus un vin de saveur que de structure, que l’on aimera davantage à table qu’en dégustation pure.
1998 : De deux ans l’aîné du 2000, le 1998 est plus droit, plus fier. On est même surpris par sa réserve et cette fraîcheur qui survit dans un millésime pourtant particulièrement chaud. Faut-il l’attribuer aux raisins non éraflés, à l’altitude du cru (ndr : le plus en hauteur de l’AOC), ou au calcaire du terroir ? On ne sait pas vraiment, juste que c’est vrai beau Bandol !
1995 : Il lui aura fallu quinze ans pour s’assagir. On est ici dans « l’ancien style », le mourvèdre non éraflé parle : menthol, genièvre, poivre, pot-pourri. Le millésime froid aussi, car aucune once d’alcool ne déborde : tanin assoupli donnant de la suavité au corps, avec des relents de rose fanée très nobles en rétro-olfaction. Sinueux et subtil, on adore.
1990 : Longtemps porte-drapeau du domaine, il est à son apogée, vingt ans après : c’est un vin puissant, aromatique, aux notes de laurier qui évoquent les crus d’une Provence plus éloignée. Moelleuse et ronde, la bouche « cause » beaucoup, elle est chaude, douce, mais avec peut être moins de raffinement que le 95 et surtout le 89 qui suivit.
1989 : Voilà le nez de mourvèdre comme on en rêve : petits fruits rouges, fraise épicée, havane, truffe, musc, thé noir. Bouche saisissante de fraîcheur, avec des tanins idéalement fondus et définis qui fusionnent pour donner un corps lisse et sensuel. Le tout s’allonge infiniment mais dans une harmonie douce qui signe le grand vin. Dans la jeunesse, son jumeau le 90 était parait-il bien plus rayonnant que lui, mais il semble qu’avec le temps l’aîné reprenne ses droits. Une référence qui met Pibarnon au panthéon des vins de France. Bravo !
1982 : En ce temps là Eric passait le bac (!) et le sirocco se permettait même quelques bourrasques durant un mois d’août déjà chaud. Le raisin en fut légèrement passerillé mais, contrairement à d’autres propriétés, Henri et Catherine de Saint Victor poussèrent leur « bébé » à finir ses sucres afin de lui assurer un futur sans heurts. Bien leur en prit puisque 28 années plus tard, il est toujours là : moins diversifié que le 89 avec ses notes de viande séchée et thé fumé, sa tenue est tout de même celle des grandes bouteilles à la vinosité inoxydable, increvable même. Un millésime qui scelle la légende du cru, surtout s’il on se souvient qu’il a été fait dans les conditions de l’époque, et seulement trois années après la reprise.
Remercions Eric de Saint Victor pour son implication dans cette dégustation ! Et félicitations à tous ceux qui ont œuvré à Pibarnon depuis les débuts afin de façonner ces vrais grands vins d’expression !
5 Comments
J’ai bu récemment un superbe Pibarnon rosé 2000, capable de (presque) rivaliser avec Simone rosé (superbe à 10 ans d’âge, avec cette allusion à la liqueur d’orange, comme tu dis).
Beaucoup moins fan des rouges (la rugosité du cépage, qui tend parfois à sécher). Cela s’arrange un peu à table, heureusement.
2002 et 2003 en grande difficulté.
Trouvé le blanc 2008 intéressant :
(40% de Clairette pour la finesse, 40% de Bourboulenc pour la tenue, et 20% de cépages divers locaux pour la complexité.)
Dans ma cuisine, j’ai adopté récemment un poivre cambodgien, le poivre de Kampot.. et il est vrai qu’en ce moment j’en met un partout, mais il est très parfumé et n’a rien à voir avec les poivres classiques du commerce.
Un poivre Kampotgien, n’est-ce pas ?
🙂
Aaaah! Je viens de terminer mon clown du matin.
Mais Laurent t’es déjà poivré?
🙂
Armand,
Pas poivré mais un repas de ouf ce midi avec une longue série de vins admirables (Dont Rayas 2001, Grillet 2002, Pape-Clément 1988, Trévallon 90, BAMA 1947, …).
Parmi eux, un vin superbe, jamais goûté à ce niveau : Pibarnon 1990.
Pas de grands vins, que des grandes bouteilles !