Des vins en liberte
Un loup au berceau
Publié Le 6 septembre 2007
Son nom serait une déformation du mot ellenico attribuée à la domination aragonaise à la fin du Moyen Age. Si son origine se perd presque dans la nuit des temps et contribue à son mystère, l’aglianico, répandu dans le sud de l’Italie, donne sur les meilleurs terroirs de l’appellation Taurasi (moins de 500 ha en production), des vins-mémoire que tout amateur aura à cœur de découvrir !
Prenez ceux produits par Salvatore Molettieri à Montemarano sur les terroirs argilo-calcaire mêlé de veines volcaniques de l’appellation.
C’est un calme, ce Salvatore, un homme qui s’inscrit dans un paysage, celui des collines que célébrait déjà Horace, celui des lents automnes qui s’éternisent et semblent remonter le fil du temps. Ils paraissent interminables parfois. Tout illuminés pourtant de la lumière du Sud.
Sur ces collines, à cinq ou six-cents mètres d’altitude, l’aglianico mûrit lentement, sans à-coups, affine ses saveurs à la croisée mystérieuse du minéral et du fruit, approfondit ses équilibres, bâtis sur des tensions aériennes, un peu comme le nebbiolo, son correspondant du nord : tannicité imposante, acidité tranchante,  générosité dans la texture sont ses vertus cardinales qui trouvent ici leur résolution, avec le temps. Rien ne s’en va ici…
Ce vignoble est ancré dans la patience qui le constitue. On vendange souvent en plein mois de novembre dans le Taurasi. On attend, sans se presser ; on regarde le ciel, les nuages qui filent au-dessus du volcan, qui survolent les terres ardentes, les terres au pied de ballerine, sans s’arrêter. Ils dessinent d’invisibles frontières.
Toute une archéologie mystérieuse qui égrène ses  noms comme des songes : Herculanum, Stabies, Boscoreale, Oplontis, Misène et, même, Baïes, l’engloutie.
 
 
De ces lieux, Nerval, le désenchanté, a peut-être rêvé. A commencer par le Pausilypon (« le lieu où la douleur cesse »). Qui se trouve ici, non loin de Naples…

 
                                           Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
                                          La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
                                          Et la treille où le pampre à la rose s'allie.

Vient le moment de goûter le vin.
 
On commence par l’Irpinia rosso 2005 Ischa Piana – l’Irpinie est le nom de cette région qui prolonge les Apennins – sur le fruit, les baies, la cerise avec une note de fumé, d’âtre froid, une texture pulpeuse, ondoyante, juste amadouée par un peu de cabernet sauvignon. Un loup de bonne compagnie : irpinia rosso signifie le loup rouge ! L’autre Irpinia Cinque Querce 2005, est un candidat sérieux à la canonisation : notes denses de fruits noirs, épices, graphite, humus. Corps monumental, compact, un peu brut de décoffrage, monolithe en pleine expansion. On rêve au futur de ce vin et voici qu’arrive le Taurasi 2003, Vigna Cinque Querce, fruits noirs, épices, graphites, chlorophylle,  santal, vanille. Il démarre en beauté, ne faiblit pas d’un cran au développement.
 
C’est un vin formidable, qui allume les booster dès le milieu de bouche. Fulgurante accélération sur une architecture implacable, rigoureuse, sans compromis. Trois ans d’élevage (dont 6 mois en bouteille) et le loup est encore au berceau. Superbe !

On terminera par un Taurasi Riserva 2002 Cinque Querce. Quarante-deux mois d’élevage en foudre et en fût. Auxquels s’ajoutent six mois supplémentaires en bouteille. Un tel pur-sang, ça s’apprivoise en douceur et ça impose le respect… On a beau être loin de Modène, on connaît l’expression « avoir des chevaux sous le capot ». 3000 bt à peine de ce vin aux notes de cuir, d’épices, de cumin, de Havane, de fruits noirs confits, au corps solaire, superbement texturé, irradiant de dynamisme. Rendez-vous dans dix ans et longue vie à Salvatore Molettieri !

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Auteur

Jacques Perrin

De mon passé de philosophe, j’ai hérité cette intuition que sapientia et saveur partagent la même origine. Des livres et des rencontres qui m’ont aidé à devenir ce que je suis, je garde tout : le sillage patient de la durée, l’inattendu et le meilleur. « Un rêve sans étoiles est un rêve oublié » Nos étoiles sont filantes et nos mémoires sont labiles. Du monde du vin et de la gastronomie, j’aimerais raconter les instants, les nuances subtiles et le bonheur dansant qui s’empare de nous quand nous rencontrons une forme de perfection. Il n’est pas nécessaire de publier un journal extime pour exister. Ce blog n’est pas un blog spécialisé pour wine geeks. Il est d’abord un lieu d’échanges, une série de passerelles, un réseau ouvert. Bienvenue sur les Mille Plateaux !

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