Un voyage à La Pyramide de Vienne.

Voilà pour le passé. Le legs symbolique est de taille. Certains héritages se refusent (trop encombrants) ; d’autres vous mettent sur orbite. Patrick Henriroux, chef brillant et reconnu, est arrivé ici il y a 20 ans et a racheté l’établissement il y a un peu plus de dix ans.

Une grande salle, assez bruyante, avec des colonnes romaines plantées au milieu comme les piliers de la sagesse. Des tons chauds et des couleurs qui se veulent ensoleillées et ces drôles de petits abat-jours de guingois aux motifs convenus (grappes de raisins). De grandes tablées ont envahi une partie du restaurant et l’on se sent un peu perdu, là au milieu, comme le pèlerin devant la basilique St-Pierre, un jour de grande affluence. A la table voisine, repas déjà entamé, une jeune femme, accompagnée, s’ennuie visiblement. De quoi ? De ce qu’elle picore négligemment ? De la conversation des deux hommes qui l’accompagnent (sûr qu’ils parlent de la crise !) ? Ou de ce qui l’attend, plus tard ?

Je sens, c’est dans l’air, que la soirée risque de basculer, de tourner au fiasco civilisé – je parle de notre repas, maintenant… C’est effrayant de constater à quel point notre intuition, sur ce plan-là, nous trompe rarement… Alors, histoire de pimenter un peu le récit, on choisit cette perle à la carte, un Clos de la Roche 1999 de Rousseau. A un prix d’ami. C’est la bonne nouvelle du soir qui commence.

Un verre de Condrieu 2006 des Vins de Vienne pour accompagner les deux premières entrées, le Canneloni de foie gras à l’artichaut Macaux en robe de pommes acidulées sur une brioche dorée caramel d’agrumes épicé et, pour moi, la Noix de Coquilles Saint Jacques, sur une Mijotée de Blettes de notre Vallée, Moules Bouchot du Mont Saint Michel. De jolies textures, vert de Blettes croquants et la côte, en légers tronçons rapicolants, dans le fumet juste crémé. C’est juste, posé, d’une lecture paisible, rassurante. Les serveurs esquissent des pas de danse. Le maître d’hôtel glisse sur ses patins d’azur. La salle vibrionne et on nous sert, enfin, le Clos de la Roche qui attendait, sur un guéridon, que l’ébullition le gagne…

Avant de déguster la Lotte rôtie sur des Spaghettini d’endive aux noix mayette, pieds et oreilles de pochon à la poire confite, jus Maya au vinaigre et lard trempé, on se penche doucement au-dessus du verre, juste le temps de capter ces notes de cerise-réglisse et le noble créosote qui les sertit. On attendra. Comme pour le plat et l’extase qui ne viendra pas. Ces spaghettini d’endives introduisent une note de discordance dans un ensemble qui avait de l’idée pourtant. Le jus Maya se cache derrière un intitulé rustico-ésotérique, la poire est perdue au milieu du paysage et le tout peine à trouver son sens.

Pendant que le Clos de la Roche commence à s’ouvrir sur des notes épicées et minérales avec une touche noble de cuir, on soupèse sa texture, sa trame et son allonge. C’est bon, bienvenu, dans le contexte, mais on a connu meilleur chez Rousseau.

On continue d’espérer, d’attendre ce moment magique qui viendra peut-être sous la forme de ce Suprême et cuisse de pigeon de St-Alban de Roche rôti, gâteau de pommes Macaire au Vacherin Mont d'Or. Le pigeon est superbe, le suprême rosé et la cuisse confite, juste ensorcelé d’un petit jus, façon bécassine, corsé des sucs d’abats est d’un grand classicisme et l’accord est au diapason avec le Clos de la Roche, sombrement terrien, doté d’une belle complexité, assez énergique sur la finale. Le bonheur est là, suspendu dans cet instant et voilà que ce rectangle croustillant, ces pommes Macaire viennent jeter leur ombre sur le tableau avec leur goût entêtant et décalé de Vacherin.

A ce moment-là, on sent flotter comme un air de léger abandon. Le ballet se désarticule un peu. Les serveurs errent, désœuvrés. Un couple, jeune, métropolitain, marque la cadence. Sort. Revient, essoufflé. Où disparaissent-ils dans ces intervalles ?
Ca y est, l’impression initiale se confirme. La pièce est bien écrite. Le décor rassurant mais les acteurs ne croient pas assez à leur texte. Alors, on saute rapidement sur le plateau de fromages et les babioles sucrées. Il faut se méfier des repas qui démarrent mal. Je ne sais pas ce qui m’a pris, soudain : j’ai entendu une voix, celle de Fernand Point… Il parlait avec les mots de Brigitte Fontaine : »Mes enfants, réveillez-vous, le XX siècle est terminé ! »

L’adresse La Pyramide, 14, boulevard Fernand Point – 38200 Vienne
Tél : +334 74 53 01 96
Fax : +334 74 85 69 73
Les prix 106 à 116 euros

Auteur

Jacques Perrin

De mon passé de philosophe, j’ai hérité cette intuition que sapientia et saveur partagent la même origine. Des livres et des rencontres qui m’ont aidé à devenir ce que je suis, je garde tout : le sillage patient de la durée, l’inattendu et le meilleur. « Un rêve sans étoiles est un rêve oublié » Nos étoiles sont filantes et nos mémoires sont labiles. Du monde du vin et de la gastronomie, j’aimerais raconter les instants, les nuances subtiles et le bonheur dansant qui s’empare de nous quand nous rencontrons une forme de perfection. Il n’est pas nécessaire de publier un journal extime pour exister. Ce blog n’est pas un blog spécialisé pour wine geeks. Il est d’abord un lieu d’échanges, une série de passerelles, un réseau ouvert. Bienvenue sur les Mille Plateaux !

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