Voilà quelques mois que nous rêvions de cette verticale de Geynale. A vrai dire, l’idée avait dû germer lors de la première rencontre avec Robert Michel, grand vigneron aujourd’hui retraité, qui a – entre autres – formé une grande partie des meilleurs vignerons cornassiens actuels, parmi lesquels Guillaume Gilles et Thierry Allemand. Nous avons donc pu monter cette dégustation grâce à sa cave de vieux millésimes et surtout grâce à lui. Curieux qu’il était de réaliser cette verticale qu’il n’avait jamais faite !
Le Cornas « La Geynale » (dénomination déposée auprès de l’INPI) était issu en majeure partie du lieu-dit éponyme, qui s’écrivait originellement sans le Y, faisant référence au genêt qui était jadis la seule plante à pousser sur ce sol pauvre et sec. On pourrait pratiquement l’inclure dans le quartier Reynard, car il en constitue à peu près l’extrémité sud, en contrebas, à deux pas de Tézier. C’est Robert Michel qui le premier l’a revendiquée en 1984 : cette année là, la différence de maturité entre la « Cuvée des Coteaux » (issue en majorité du quartier Chaillot) et le lieu-dit Genale était telle qu’il décida de vinifier et élever les deux vins à part. Ici le PH du sol est quasi neutre, et la présence de granit décomposé en surface est complétée de gneiss, qui donne une couleur légèrement plus claire en surface et, paraît-il, davantage de finesse aux vins. Mais la roche mère n’est pas très loin, comme toujours dans le coteau. La vigne cultivée était très vieille, plus de 80 ans, et « Bob » lui adjoignait même dans l’assemblage quelques rangs de la partie haute de Reynard. La vendange sur ce terroir n’était pratiquement jamais égrappée. Les macérations duraient environ trois semaines avec des remontages, des brassages à l’azote et des délestages. Les fermentations étaient réalisées grâce à des levures indigènes. Ensuite, durant les six premiers mois, le vin passait en cuve émaillée, puis il reposait un an sous bois non neuf (en pièces avant 1994, en demi-muids de 600 l. après cette date), sans soutirage.
A contrario des dernières verticales faites au CAVE, les vins ont ici été dégustés du plus jeune au plus ancien, sur conseil de Robert qui sait mieux que quiconque de quoi ses vins sont capables au vieillissement. Les millésimes 2004, 2005 et 2006 ont été carafés dix heures à l’avance, et toutes les autres années ont été carafées « à la bordelaise », c’est à dire décantées, filtrées puis immédiatement remises en bouteilles. Voici désormais le détail de cette série impressionnante…
2006 : C’est le dernier millésime de la carrière de Robert. Et dès le premier coup de nez, on entre dans l’univers de la Geynale avec ce parfum de poivre, de truffe et de terre, qui s’ouvre sur des fruits exotiques, avec un léger rappel d’acétate que le vin a connu lors de sa naissance (à l’instar de nombre de grands cornas !). Ceci-dit la puissance aromatique est loin d’être à son paroxysme et rappelle que le vin est jeune. On aime ses tanins soyeux mais fermes, sa saveur fraîche et son beau végétal de vin vinifié en raisins entiers. Sa retenue indique que l’on peut l’attendre sagement.
2005 : Moins ouvert et plus boudeur à ce stade que le 2006, le 2005 dispense de timides notes d’oxyde de fer, d’épices et de tabac. L’attaque se veut ferme mais charnue, toute en vinosité. Le vin est riche, structuré, il emplit bien la bouche et donne une impression d’alcool plus sensible que le précédent. On est pour le moment plus « 2005 » que « Geynale », et le cru ressemble davantage à l’image que les amateurs se font des vins de Cornas (structure, fermeté). Ceci-dit pour le connaître et le goûter depuis quatre ans, il s’affine chaque année davantage. On peut l’attendre en confiance.
2004 : On repasse ici sur un millésime frais, avec un été plus arrosé et un cycle de maturation plus long, ce qui n’est pas inintéressant pour la syrah de Cornas. Et l’on replonge dans le monde de la Geynale avec ce vin floral, poivré, qui tire sur le poivron grillé et la rose ancienne. Le corps est suave et fin, et le vin s’étire sur un végétal « floral » irrésistible. L’anti-vin racoleur, mais qui pourtant possède une charme fou. On est au cœur du style traditionnel. Coup de cœur.
2003 : La canicule. Nez puissant et singulier de pêche rôtie, de fruits sucrés, à la fois chaud et envoutant, mais davantage tourné vers Chateauneuf que vers l’Hermitage. Attaque sirupeuse, à la saveur quasi sanguine, qui se développe sur du végétal et de l’amer rafraîchissant en milieu de bouche. Là encore, un vin plus « 2003 » que « Geynale », mais qui possède une forme d’équilibre dans ce côté riche et encore jeune ! Ce n’est pas le cas de nombre de syrahs de l’année…
2001 : Une grande année sur le papier, mais qui fut difficile à juger : la première bouteille était en effet bouchonnée et la seconde se goûtait comme un vin nature instable, c’est à dire très animale au début (mais pas de Brettanomyces en bouche), puis à l’aération proche de l’évent avec un côté pomme blette. Un problème de bouteille ? Il faudra regoûter.
1999 : Encore un beau millésime, mais qui ne fut pas si facile à vinifier selon « Bob ». On devine en effet une acescence assez marquée au premier nez, qui tire ensuite sur un menthol très « syrah de granit ». La bouche est bien ouverte (pour la première fois de la verticale), épicée dans un registre d’évolution secondaire, avec un tanin truffé. Un beau vin, prêt à boire aujourd’hui, mais qui n’a pas la pureté et précision des grands millésimes du domaine.
1998 : Davantage réputé en Rhône méridional, 1998 rappelle ici que Cornas est le vignoble de la vallée du Rhône septentrional qui regarde le plus le sud et que c’est donc potentiellement celui qui a le plus tiré partie de l’année. Joli nez d’évolution assez pur, fin et précis, tirant sur la réglisse et les épices. La bouche est suave, charnue, encore jeune. Elle possède un côté sudiste mais sans excès qui fait penser à 1999, mais avec moins d’acidité volatile. Très belle bouteille.
1996 : Robert avoue que ce millésime, très difficile à faire mûrir, fut chaptalisé généreusement et demeura quasi ingoûtable pendant les premières années de sa vie. Pourtant, dix-sept ans après sa naissance, il est loin d’être ridicule ou imbuvable, au contraire. Bouquet de gentiane, de cassis, de violette, assez raffiné (l’apanage des années fraiches, qui préservent les parfums). Bonne bouche, relativement équilibrée pour l’année, qui par certains côtés rappelle 2004 – en moins abouti -, salivante, fine et désaltérante. Et pas brûlante, malgré la haute chaptalisation. Une bonne surprise.
1995 : On repart sur année chaude et sèche, et un vin qui de l’avis de Robert demeura « dure comme du bois » pendant longtemps. Mais il semble que le temps fasse enfin son œuvre. Passé une légère réduction, il s’ouvre sur des nuances d’oxyde de fer, d’orange sanguine et de quinquina. Il se présente étonnamment suave et gourmand en milieu de bouche, mais conserve tout de même cette allonge carrée et ferme, qui le destine avant toute chose à la table.
1994 : A l’instar du 1999, c’est le vin sur lequel Robert Michel a sans doute eu le plus d’acétate lors de sa vinification. Et il en conserve quelques scories, même s’il possède aussi des qualités ! Il évolue sur le graphite, l’eucalyptus, la framboise, étonnant par sa jeunesse. On aime son très beau raffinement de texture qui signe le millésime, avec une gourmandise difficile à bouder. Un vin parfait à boire aujourd’hui, issu d’un « millésime très mûr et de gros rendements », dixit.
1991 : Cueilli à 13.5° naturels, ce vin est issu d’un petit rendement à cause du gel de printemps. Bouquet fantastique d’intensité, surpuissant, délivrant des notes de fruits noirs, de poivre, de violette, de réglisse, d’épices, d’encens, d’orangette, de tabac, et bien d’autres choses. La bouche est en parfaite continuité avec le nez et impressionne pas sa jeunesse, sa chair et sa gourmandise incroyable. Son allonge est phénoménale, sur un fruit à la fois rôti et acidulé succulent. C’est tout simplement un des plus grands vins français du millésime. Exceptionnel !
1990 : Cueilli au même potentiel alcoolique que le 1991, ce 1990 ne s’est selon Robert jamais refermé. Nez d’orange sanguine et de chocolat, tirant sur la viande mijotée, le cuir et des nuances de havane. Il séduit par son côté infusé et fuselé, sa fausse sucrosité et son allonge aérienne et planante. Un grand Cornas à son apex, terriblement charmeur.
1989 : Sur cette autre très belle année, la Geynale présente un nez « plein », riche, jeune, moins diversifié dans le parfum que les deux vins précédents. Le vin parait plus ferme dans le tanin, plus acide également, avec une force et une fougue bien réelle. Il possède l’énergie des grands coureurs de fond, mais n’aura peut-être jamais le charme des Geynale les plus raffinées et parfumées. Il n’est en tout cas pas au bout.
1986 : Sur le papier, le millésime est loin d’être facile. Pourtant, de cette petite année, Robert Michel a réussi à tirer un vin de demi-corps plus qu’honorable : nez de viande séchée, fumé, délicat, qui précède une bouche légère, souple, plaisante et surtout pas usée. Un 1986 très digne, délicieux à boire aujourd’hui.
1985 : Un millésime solaire, chaud, « lent à vieillir » selon Robert, et qui n’était que le second de la Geynale. Finalement peu formé et diversifié au niveau aromatique, la bouche est plus éloquente : le vin est tannique, « carré », peu fatigué, long sur les épices. Il serait même encore plus à l’aise à table. Décidément, les grands cornas semblent immortels…
Nous remercions Robert Michel d’avoir permis à ce moment magique d’avoir lieu, et levons notre verre pour marquer notre gratitude et notre respect, car nous avons vécu à ses côtés une verticale historique !
3 Comments
Belle réussite sur 2002 aussi (noté 16/20 par 5 dégustateurs). Un air de Côte-Rôtie de Jamet.
Un 1996 assez austère en effet mais globalement satisfaisant.
Je n’ai à ce jour jamais goûté de meilleure syrah 2002 de la vallée du Rhône nord que cette Geynale dont tu parles. On dit que c’est dans les « petits » millésimes que l’on juge les grands vignerons…
En effet …
On avait imaginé un tel niveau qualitatif chez Reynaud, sur ses 2002.
[…] le havane ; bouche pleine, vineuse, incroyablement jeune avec un soupçon d’acétate comme la Geynale de Robert Michel du même millésime, réglissée, fraîche, très volontaire, très longue, insolente de jeunesse. Un grand […]
[…] Syrah de Fully Quintessence 2004 : Il n’est que délicatesse et finesse et offre un toucher ultra soyeux. Apparemment peu extrait, c’est un vin très détendu dans la trame, qui offre la plus belle texture de la soirée à ce stade. Dur à cracher, dépouillé, on a ici les préludes du grand style. Il rappellerait presque la Geynale 2004 du grand Robert Michel. […]