André Leenhardt n’est pas issu d’une famille de vignerons. Pourtant, dès son plus jeune âge, il ressent l’envie de rejoindre le monde de l’agriculture. DEA d’agronomie en poche, il commence à travailler sur un projet de valorisation des garrigues. Puis il bifurque pour une nouvelle expérience, à la chambre d’agriculture de l’Hérault, où il restera sept années. Cette mission lui permettra de rencontrer entre autres Guilhem Bruguière, père de Xavier Bruguière du Mas Bruguière, un domaine viticole historique du Pic St-Loup.
Nous sommes en 1985, année de création des Coteaux du Languedoc. En quelque sorte, ce sont les débuts de la prise de conscience par les vignerons locaux du potentiel de leurs terroirs. André Leenhardt fera les vendanges chez Bruguière dans la foulée et observera de près une dynamique qualitative se mettre en place, via les meilleurs producteurs. Il achète le Château de Cazeneuve à la SAFER en 1988, avec dix hectares de vieilles vignes sis autour du village de Lauret. Mais à l’époque, on y produisait que du raisin de table ! Il faudra donc tout arracher et replanter. Le premier millésime sera 1991. Dans la foulée la cave sera créée et l’histoire belle et bien lancée. Aujourd’hui, le domaine compte près de 40 hectares et André Leenhardt travaille en étroite collaboration avec son fils, Quentin. La culture se veut biologique depuis 2007, certifiée par Ecocert depuis 2010.
Plusieurs cuvées sont ici produites, dont peut-être la plus connue et importante, le Roc des Mates, du nom du causse qui domine les huit hectares de vignes sises à 150 mètres d’altitude sur un terroir d’éboulis calcaire. Le vin assemble tous les grenaches du domaine, complétés de syrah et mourvèdre. Jusqu’à 2007, les raisins subissaient 35 à 40 jours de macération. Aujourd’hui, André est redescendu à environ 20 jours, suivis de fermentations spontanées, pressurage, puis 18 à 20 mois d’élevage en barriques et demi-muids.
Dernièrement, nous avons donc eu la chance au CAVE de goûter cette cuvée en présence du vigneron et sur douze millésimes. NB : tous les vins ont été servis en magnums, à l’exception de 2005 et 2006.
1998 : « un très bon millésime, précoce, sec ». Belle aromatique secondaire avec encore du fruit, des épices ; tanins très fins pour ce vin harmonieux, à la fois dense et tendre dans la trame, à la finale solaire. Il offre de la race et n’est pas encore au bout ! Superbe à boire aujourd’hui.
2001 : « un autre grand millésime ». Plus fermé, plus opaque aromatiquement, « noir » ; tanins plus jeunes et appuyés, qui renforcent la sensation de vinosité. C’est un vin jeune, fougueux, de grande densité, encore un peu boisé mais qui en a encore beaucoup sous la pédale.
2002 : « année pluvieuse et catastrophique, avec les inondations ». Nez plus « mince », mais fruité et digne, sans trace d’évolution tertiaire ; vin effilé mais pas maigre, sapide, fin et très « buvable ». C’est, de notre expérience, un des meilleurs Pic St-Loup 2002.
2004 : « une année fraîche, de maturité tardive ». Fruité exotique ravissant, brillance aromatique, vin frais dans le parfum. Attaque charnue mais pas dure, saveur épicée, à peine évoluée ; le vin ne manque pas de matière, il est bien à l’aise sur son plateau de maturité.
2005 : « année chaude et sèche, moins excessive que 2003, mais il y a quand même eu des blocages de maturité sur les jeunes vignes, puis au final un peu de surmaturité ». Nez très mûr, épicé, tirant sur le goudron, avec présence d’acidité volatile ; léger manque de précision et de diversité dans le parfum. On retrouve la volatile en bouche, ce qui lui donne un style « italien ». Un vin tannique, ferme, aux tanins rudes, pas facile d’approche, à attendre.
2006 : « millésime intermédiaire, mais avec des vins parfois surmûrs, puissants, fermes ». Nez mat, un peu goudronneux, manquant d’intensité et de précision. C’est tannique et sévère, rude, pas très charmeur en l’état. André reconnaît qu’avec ce millésime, à l’instar de nombre de ces collègues à l’époque, il est allé trop loin dans l’extraction et la volonté de faire un « gros » vin. A la suite de celui-ci, il a commencé à affiner son style…
2007 : « une année mûre et saine, tempérée, aux beaux fruits ». Sensation de chair et de fruit sexy au nez, avec des notes de baies noires, d’orange sanguine, d’épices, que l’on retrouve en bouche avec en prime une superbe texture. Vin séduisant et élégant, sensuel, de grand plaisir, charnu de bout en bout, riche et mûr mais à l’équilibre sudiste abouti. C’est très bon.
2008 : « millésime arrosé, tardif, manquant parfois de chair ». Nez discret, sur des notes de pains d’épices, de tabac, avec un léger fond de réduction derrière. Bouche de demi-corps qui rappelle 2004 en plus jeune, pour ce vin fin et frais, plaisant, à la finale à peine séchée par le bois (mais la relative faible vinosité de l’année renforce cette impression). Le fruit se montre de plus en plus pur à l’aération, comme souvent en année fraîche. Une jolie bouteille.
2009 : « millésime de maturité et d’acidité, aux raisins propres, on pouvait attendre. C’est le début des demi-muids, donc il y a davantage de bois neuf du fait de l’arrivée de ceux-ci ». Premier nez caramélisé, mais derrière il y a un beau fruit riche et mûr, sain. La bouche est « meilleure » que le nez, la texture est poudrée, suave, généreuse, un peu roborative en arôme de caramel mais elle s’épure grandement à l’aération. Un beau vin plutôt prometteur.
2010 : « même style que 2009, mais avec plus de fraîcheur ». Nez complexe, à la maturité idéale, sur la garrigue et le thym. On ne se pose plus la question de l’élevage. Grande bouche aux tanins intégrés à la texture, longue, évidente. Une sublime bouteille de garde et de plaisir, qui sera une référence dans le temps. Un grand vin du Languedoc… et un grand vin tout court !
2011 : « une année équilibrée, mais avec plus de chaleur que 2009-10 ». Léger clou de girofle au nez, à peine animal. La bouche paraît plus appuyée que le précédent, mais elle est surtout un peu plus dure dans le tanin à ce stade. Un vin « entre deux », qui nécessite une redégustation dans quelques temps afin de voir où il ira. A noter qu’il s’épure à l’air. A suivre…
2012 : « une année tardive, fraîche et équilibrée ». Légère touche caramélisée, comme le 2009 de prime abord, mais le vin est plus précis et mieux construit. Il est surtout jeune et demande un peu de temps pour intégrer son élevage. Il est impeccablement bâti, idéalement mûr et ne fait que monter en régime et en pureté dans le verre. Une future année de référence ?
Cette dégustation fut riche d’enseignements sur l’évolution du Languedoc et illustre bien la trajectoire du domaine qui, depuis 2007, semble plus que jamais trouver sa voie. Bravo à André et Quentin Leenhardt !
Donnez votre avis