Aujourd’hui, si l’on regarde de plus près une carte du vignoble languedocien, on y aperçoit un phénomène similaire : l’Hérault, long fleuve, rencontre au long de son cours quelques domaines qui ont fait la grande réputation des vins du Languedoc. Ce même fleuve (dix-septième de France par sa longueur) prend sa source au Mont Aigoual au cœur des Cévennes, et traverse toute une série de paysages magnifiques et diversifiés. Débutant sa course au sein des massifs montagneux couverts de châtaigners, il emprunte des vallées abritant vignes et oliviers, rencontre enfin les garrigues arides et les paysages méditerranéens. Il a creusé au fil du temps des gorges pittoresques, alternant avec des passages plus larges et calmes. C’est à l’embouchure de ces gorges, vers St-Guilhem-le-Désert, que prend véritablement naissance le vignoble de la Vallée de l’Hérault.
Pour explorer ces terroirs, nous avons essentiellement porté notre attention sur les Terrasses du Larzac, afin de juger de la qualité et spécificité de quelques-uns des grands noms du secteur, le millésime 2007 en toile de fond.
• Les valeurs montantes
Mas Laval « La Grande cuvée » 2007 : Boisé fumé un peu fort de prime abord, avec une légère pointe de réduction. Il s'ouvre doucement sur des notes de syrah bien mûre. Corps lisse et texturé, suave, gourmand, finissant sur boisé un peu « ristretto », légèrement chaleureux. Bonne allonge, néanmoins.
Domaine du Pas de l’Escalette « Le Grand Pas » 2007 : Premier nez sombre mais profond. Vin tout en densité, croquant et finesse, avec une jolie grâce dans le tanin. Superbe allonge sapide, un peu serrée et astringente, avec une réserve vraisemblablement apportée par les 30% de vendange entière. Un grenache très sérieux, et même un coup de cœur!
Domaine Supply Royer « la Syrah de Pey Cherres » 2007 : Vin très difficile à juger et qualifier car les deux bouteilles ouvertes laissaient planer de forts doutes de TCA. Il faudrait pouvoir (mieux) regoûter. Mais c’est riche et corsé.
• Du côté de Montpeyroux
Domaine des Grécaux « Hêmera » 2007 : Réduction type « cassis » typique de nombre de vins sur Montpeyroux actuellement, évoluant vers la groseille. Corps frais, milieu de bouche plutôt vif et encore peu diversifié, contracté. Le vin ne se donne pas en finale, il se rétracte. La maturité du tanin semble sur le fil, mais surtout il faudrait le voir vieillir…
Domaine d’Aupilhac « Les Cocalières » rouge 2007 : Premier nez animal, réduit arachide avec des notes de poudre de riz, animales, beurrées, qui évoquent une futaille peu propre. Aussi un peu d’évent. Bouche garnie mais acidité dissociée et vive, désarticulée, finale dure. Cette bouteille ne rend pas grâce au travail de ce vigneron attachant.
•Les incontournables
Mas de Daumas Gassac rouge 2007 : Nez très cabernet avec un boisé un peu « bordelais » présent, une touche végétale signe la présence du cépage dominant. Bouche allongée et de profil plus longiligne que les autres vins. Il n'est pas construit sur la chair, le tanin est peu enrobé par l’alcool. Un style septentrional qui a divisé ce soir là, le démarquant fortement du reste de la production locale.
Mas Jullien rouge 2007 : Nez fauve en l'état et encore peu défini, comme souvent avec les vins du domaine jeunes. Attaque large, sur la chair, la saveur est originale et sauvage (marque du carignan), inédite dans la série des vins du jour. Le corps ne souffre d'aucune faiblesse : le vin avance avec un belle énergie, il déploie beaucoup de jus et il faut se faire violence pour le cracher. Impression de terroir au niveau de la texture et du grain. Excellent.
Domaine de Montcalmès rouge 2007 : Premier nez un peu effacé avec un filigrane de bois moka et des nuances camphrées. Puis il s’ouvre sur des notes de syrah languedocienne (orange, thym). Attaque un peu « en dedans », légère saveur de bois, demi-corps avec une saveur fraîche marquée mais vraie structure. Evolution aromatique sur l'abricot, il se déplie finalement et séduit l’assistance par sa facilité, sa « légèreté » et son évidence. Du style et de la maîtrise.
Domaine de la Grange des Pères rouge 2007 : Expression fruitée, sanguine et tabacée quasi théâtrale, avec une intensité aromatique impressionnante. Evolution sur la confiture d'abricot, la mangue, la goyave, qui signe une totale maturité des raisins. Attaque large et crémeuse, et très grande richesse de saveurs. Vin superlatif, qui aura besoin de temps pour dompter sa fougue et apaiser un peu son « feu ». Impressionnant à ce stade, et plus harmonieux dans l’élevage qu’en mai dernier.
• Empreinte du temps
Mas Jullien rouge 2001 : Nez évolué sur la viande crue, avec un boisé étonnamment encore présent, mais le vin gagne à évoluer dans le verre. Toutefois son côté brut et « froid » n’en fait pas un grand charmeur. Il est sans doute né stricte et le demeurera. Il nous a permis d’évoquer les nombreuses directions qu’Olivier Jullien a prises depuis ses débuts, chercheur-idéaliste qu’il est.
Domaine Alain Chabanon « l’Esprit » 2001 : Réduction entêtante sur des notes de « bouillon ». Bouche coulante mais à la saveur gâtée par une saveur de tomate séchée dominante. Le bois pourrait être plus fin mais c’était un peu le style du domaine sur ces années là. Les millésimes et cuvées dégustés cette année à Vinisud sont davantage convaincants.
Mas de Daumas Gassac rouge 1998 : Nez de vin de cabernet à maturité, touche acajou, épices. Bouche aux tanins relâchés, plutôt granuleux, le vin est debout, présent, prêt à boire. C'est un bon Languedoc à maturité, avec une finale un peu chaleureuse, comme il se doit sur 1998. Il aurait davantage sa place à table, finalement.
Domaine Peyre Rose « Syrah Léone » 2003 : Vin épicé, fumé, avec des arômes de fruits compotés à l’aération. Bouche très « Peyre Rose », au grain serré et savoureux. C'est un vin viril et sans concessions, encore jeune, qui ne donne pas immédiatement du plaisir, mais de magnifique constitution. En l’attendant, on boira les 1996, 1998 et 2002, aujourd’hui à leur apogée.
Un grand merci à tous les vignerons et à Nicolas Bon pour sa passion et son implication à faire connaître les meilleurs vins de son Languedoc natal.
6 Comments
Merci pour ce texte, Nicolas !
VdP Mont Baudile – La syrah de Pey Cherres (Supply-Royer) 2005 : (12,5/20) – 30/4/07
Boisé travaillé asservissant quelque peu des senteurs de figue, de cacao, de cassis. Bouche extraite (réglisse puissante), alcoolisée, gonflée à bloc, faraude. La grosse cavalerie souhaite apparemment impressionner dans ce profil manquant de finesse et (c’est plus grave) tendant à sécher. On pense à un Châteauneuf riche, à un Roussillon ou à un Rasteau. Pensé aussi au bodybuildé Clos des Truffiers 1998. Il faudrait regoûter ce vin dans quelques années.
Le dernier Daumas 98 m’a montré un vin qui finalement se bonifiait plutôt avec l’âge. Patience et longueur de temps …
Escalette petits pas 2008 un peu emporté par l’alcool.
Grange des Pères 2007 goûtée en Corse au Printemps 2010 : beaucoup trop de boisé vanillé.
Souvent goûté au meilleur niveau régional les vins de Marlène Soria.
Bu il y a quelques jours Mas Jullien 2007 : encore un peu boisé, pas très jovial en effet.
Mais le vin se laisse boire avec plaisir, encore mieux le lendemain (tout sauf flatteur).
Dans un duo en mars 2008, préféré de loin Hêmera 2004 (très "cassis" en effet, un peu comme chez Henry – St-Georges d’Orques – ou Rimbert) à Gauby VV 2004 (acescent, blet, acide, déplaisant).
En blanc, Cocalières 2007 (marsanne, roussane, grenache blanc, rolle) pas très flatteuse non plus.
J’avais bien aimé Boissières 2001 de Chabanon (90% grenache) lors d’une visite au domaine.
La syrah 2001 (bien boisée) et le mourvèdre 2001 (logiquement ferme)semblaient sérieux.
Merci Nicolas.
Je me retrouve grandement dans tes commentaires, exception faite du Chabanon 2001. Car, si effectivement la trame aromatique peut surprendre, voir rebuter, j’ai pour ma part beaucoup apprécié la bouche, longue, mentholée, fraiche et structurée. Mais il est important de signaler que nous n’avons pas gouté la même bouteille.
Laurent, sur Grange des Pères 2007, le coté vanillé (également ressenti en mai dernier) s’est un peu assoupli pour évoluer vers ces aromes que j’aime tant dans ce vin : olive, tapenade, musqué/fumé. La bouche, en revanche, est toujours aussi fougueuse, d’une puissance décomplexée, presque baroque. En le dégustant côte à côte avec Montcalmès 2007, on relève une nette « parenté » entre les deux vins, mais, à tous les niveaux, la Grange condense bien plus de superlatifs.
Mas Jullien 2007 est un vin quasi-parfait, un écrin de velours dont la patine flatte déjà le palais. C’est aussi un vin vivant, qui passera par des phases certainement moins flatteuses. Je lui donne néanmoins rendez-vous dans 10, 15… voir 20 ans sans crainte, pour retrouver avec délectation, la quintessence de ce que le Languedoc sait produire de plus grand.
Enfin, le Grand Pas 2007 du domaine du Pas de l’Escalette, s’inscrit comme la révélation de la soirée. Moins flatteur, mais plus terrien que son prédécesseur dans la dégustation, il démontre que le Languedoc peut aussi sortir du récurrent triptyque syrah / éraflé / boisé, avec un certain brio.
Nicolas,
Pour GdP vs Montcalmès, c’est peu ou prou ce que m’a dit mon ami Patrick H qui a bu les 2 côte à côte la semaine dernière.
Grand fan de Chabanon por ma part. Boissiere sur 2002 il me semble fait uniquement avec 100% grenache (mais la bouteille n’en annonce que 90%, Alain l’explique tres bien) et un grand moment de bonheur. L’esprit sur les vieux millesimes est un produits de haute voltige.
Pour Mas gassac, je deviens de moins en moins fan. Leur nouveaux vintage ne sont pas aussi bons que dans le temps.
Mas Laval grande cuvée 2007 et Mas Laval 2006 sont assez bons, typés syrah, avec une fraîcheur profitable.