Daniel Huber a été l'artiste de cette quête : héritier de nul domaine, zurichois de naissance, il a choisi, avec sa femme, d’émigrer au Tessin, au début des années 80 « parce que partout ailleurs en Suisse, les vignes étaient trop chères. »
Les vignes, ils les ont trouvées à Monteggio, petit village haut perché parmi les collines, à mi-chemin entre le lac Majeur et le Lac de Lugano. Un lieu bucolique avec ses maisons à arches venues tout droit de Toscane. Monteggio dans le Malcantone, le seul endroit du Tessin où l’on peut tirer un cerf ou un sanglier depuis son balcon. Enfin presque…
Des vignes ? Des souvenirs de vignes plutôt. Des banquettes abandonnées, tout un territoire autrefois domestiqué, retourné à la vie sauvage, à l’emprise des forêts.
Daniel Huber a la foi des pionniers. Dans cet Eden sylvestre, il bûcheronne, scie, arrache, désouche, s’entête. Une folie ! A la fin, le paysage réapparaît, le rêve prend forme, s’inscrit dans une topographie. C’est une photo. Daniel Huber nous l’a présentée avant de goûter les vins. Il marche au milieu des « décombres » de la forêt, en salopettes noires, portant un bébé en écharpe. On devine un sourire flottant sur son visage. Le lieu, c’est le Ronco di Persico, 3 ha en pente raide « où il vaut mieux ne pas s’aventurer avec un tracteur «. Une rampe de lancement idéale pour un vin qui n’existe pas encore, le Montagna Magica.
1981 : naissance du domaine viti-vinicole avec, comme emblème, un renard ailé. Tout un programme. Ce Volpe Alata (renard ailé), cette chimère est sortie tout armée du rêve de l’artiste Walther Hürlimann pour éclairer le chemin : nul n’est aussi sagace que lui pour dénicher les beaux raisins et pour nous montrer que la vérité est un miroir. Au fond du puits comme au fond du verre, la vérité que nous cherchons emprunte nos traits.
1992 : une dégustation de grands merlots du monde entier a lieu dans le canton de Vaud. Les Petrus and co sont présents. Un vin tessinois leur taille une croupière. C’est le Montagna Magica 1990 de Daniel Huber.
« En 1988 déjà, j’ai essayé de faire un grand vin, dit ce dernier. J’ai appliqué les principe de la sylviculture, mon premier métier, m’adressant à chaque cep : qui es-tu, d’où viens-tu, où vas-tu ? J’ai fait une taille courte, la fleur s’est mal passée et j’ai eu une toute petite récolte… »
Avec le millésime 1989, le vin devient Montagna Magica. 1990 flirte avec l'idéal. La flèche est lancée. Et Daniel Huber de rappeler que, après cette dégustation, je l’ai conduit en voiture à la gare la plus proche et que nous travaillons ensemble depuis le millésime 1989 !
Accompagné par son fils Jonas qui termine ses études à Changins, Daniel Huber est venu à Gland pour cette dégustation verticale de Montagna Magica dont on rappelle ici qu’il est constitué à 95 % de merlot avec un petit pourcentage de cabernet franc. Il est issu de deux terroirs, le Ronco di Persico (paragneiss) let le Castello (orthogneiss), terroir plus léger avec 5 à 10 % d’argile. Le rendement est très limité, entre 300 et 500 g au mètre (densité de plantation 3500 pieds/ha environ).
Du point de vue des conditions climatiques, il faut rappeler que si le Tessin évoque déjà le sud, les vacances, son climat est très humide, avec 1700 mm de pluie en moyenne par an, ainsi qu’à la grêle (les vignes sont protégées par des filets anti-grêle à l’efficacité prouvée).
Quant à l’élevage, il dure entre 14 et 17 mois en fûts (40 % de bois neuf) et après le vin est mis dans de grands foudres en bois.
La dégustation
Montagna Magica 1997 Robe moyennement intense. Très beau nez, presque pinotant, fruits rouges, baies des bois, marron glacé. Bouche assez dense, serrée, avec une très belle trame ; trace boisée. Très belle finale épicée, un vin plein d’énergie. Remarquable.
"Millésime assez frais. Fleur très longue, hétérogène. Bon automne. Petite production : 260 g/m2 – 18 jours de macération."
Montagna Magica 1998 Jolie couleur. Végétal noble. Très beau nez, qui truffe légèrement. C’est un vin plus détendu que le précédent, plus accompli assez stade, mais avec moins de chair, moins de matière. Très joliment fait. Beaux tanins bien extraits. Grande fraîcheur. Il finit floral et poivré.
"Année qui a bien commencé, assez chaude, mais « tessinoise », avec beaucoup de pluies. Dans ce vin, j’ai fait une saignée. 500 g par m2 et 20 jours de macération – ph 3.4"
Montagna Magica 1999 Robe avec des traces d’évolution. Le nez manque un peu de définition et de profondeur, orienté sur les champignons. Bouche souple, dotée d’un bon équilibre, mais l’ensemble est plus linéaire.
"Le millésime le plus difficile, pluvieux, assez dur pour maintenir le feuillage. Depuis 1999, j’ai une technologie pour refroidir le moût. Récolté le 10 octobre, saignée, macération de 20 jours."
Montagna Magica 2000 Nez avec un léger réduit de bois. Il truffe à l’ouverture. Belles notes balsamiques. Corps superbe, dense, serré, avec un tanin encore très présent mais sans rusticité. Grande finale séveuse. Vin de très haut niveau malgré un élevage un peu démonstratif. « C’est amusant de voir combien en Suisse romande vous êtes sensible à cette question de l’élevage, alors qu’en Suisse alémanique, le boisé est perçu différemment. René Gabriel, par exemple, a adoré ce vin… »
Pourquoi l'avoir saigné autant alors que la récolte était très limitée ? « Oui, je sais, je n’aurais sans doute pas dû saigner. Etre vigneron, c’est être seul pour décider et c’est peut-être un peu trop que ce soit l’instant qui décide.
"Un hiver très sec avec des forêts qui brûlaient autour du Persico, du Castello, ça commençait très mal Forte grêle le 7 juillet (heureusement j’avais les filets). Bel automne, pas de pourriture. Récolté le 5 octobre 240 g par m2, saignée de 7 % – 20 jours de macération."
Montagna Magica 2001 Légères notes d’évolution sur la robe. Notes de thé, de fruits mûrs. Profil aromatique simple. Entrée en bouche souple, le fruit n’a pas la même vivacité et radiance que sur le précédent, il est un peu usé. Jolis tanins toutefois, bien découpés avec toujours cette finesse de silhouette qui caractérise le cru et une finale assez soutenue.
Selon Daniel Huber, ce vin est « très typé Tessin, avec de la finesse. Ce n'était pas une année facile, beaucoup de pluie. Récolte le 5 octobre – 440 g au m2 – 8 % saignée – 30 jours macération."
Montagna Magica 2002 La robe est jolie, encore jeune. Nez discret, sur la réserve. Bouche souple, manque un peu de centre, se resserre sur la finale. Pointe végétale dans le tanin ici.
"Année difficile. Beaucoup de pluies au mois d’août, humide. « J’ai eu peur pour la maturité mais l’automne l’a sauvé ! » – 300 g au m2 – 5 % de saignée – macération de 29 jours."
Montagna Magica 2003 Belles notes aromatiques, grillées, balsamiques et fruitées. Petite pointe de volatile. Très velouté, gras, ample, chaleureux, marqué par le millésime mais d’une façon positive, même si on a un peu perdu la finesse légendaire du Montagna Magica.
« L’année de la canicule, c’était sec, j’ai plusieurs vignes sur l’orthogneiss et elles ont un peu souffert, on a apporté un peu d’eau. C’était la première année également où on a fait des essais en biodynamie, et ça a pleinement réussi. On a récolté le 21 septembre, 330 g au m2 – 33 jours de macération, pas de saignée. »
Montagna Magica 2004 Expressif, belles notes aromatiques, cassis, cerise, nez très racé. Belle bouche, stylée, avec une remarquable plénitude dans la chair. Superbe finale, très pure. Beaucoup d’harmonie sur ce vin, même s’il n’a pas tout à fait l’allonge du suivant.
"Printemps très sec, juillet et août, bonnes pluies, on a récolté le 6 octobre – 430 g au m2."
Montagna Magica 2005 Superbe nez, très fin, complexe. Le plus beau vin de la série, dense, serré, beaucoup de plénitude. Longue finale. C’est un très vin d’exception, un des grands Montagna Magica ! Mon Dieu, quel restaurant a-t-il encore ce vin à sa carte ?
"Millésime de maturité normale, fleur un peu plus précoce, bon été, quelques pluies en septembre. 425 g au m2 – vendanges le 5 octobre – 7 % saignée et 28 jours de macération."
Montagna Magica 2006 Robe avec quelques notes d’évolution. Bouche ample, riche. On sent la maturité du millésime, notes de fruits confits, beau velouté de texture et très jolie envolée finale, savoureuse.
« C’était le centenaire du merlot au Tessin. Année un peu chaude et froide, assez bonne. Le 23 et le 26 août, grêle. Ça a assez bien tenu sous les filets. Il n’a pas trop plu. En 2006, j’ai commencé le délestage, on vide la cuve de son jus et remet tout le jus, contact plus intense avec les peaux. C’est le seul millésime dont je suis sûr qu’il a fermenté avec les levures indigènes. 26 jours macération – 325 g au m2.»
Montagna Magica 2007 Robe assez soutenue. Nez frais, racé, belle bouche, serrée, avec une très belle trame, dans l’exacte lignée du 2005. Superbe dynamisme, richesse de constitution, allonge, tout y est. Grand vin ! Collector !
« Pour moi, c’était un grand millésime, précoce, chaud, avec un automne favorable – 350 g au m2 – vendanges le 22 septembre – 26 jours macération. »
Tout est dit ? Non. Il faut goûter le vin !
C’est l’occasion de dire que depuis les débuts, chaque millésime de Montagna Magica est illustré par l’œuvre d’un artiste, connu ou moins connu. Celle-ci est l’œuvre de Daniel Spoerri, artiste plasticien très connu.
Montagna Magica 2008 Bouche souple, ronde, manque un tout petit peu de centre, mais qui demeure très honorable, compte tenu de la difficulté du millésime. Il est un peu diffus mais l’ensemble demeure très savoureux. Notes d’épices douces, champignon, sous-bois.
"Millésime assez difficile, beaucoup de pluie, récolte limitée, belles maturité, assez tardif."
Etiquette : Chris Tanner
Montagna Magica 2009 Belle robe. Nez intense, sur les fruits mûrs. L’entrée en bouche est très douce, élégante, très tactile : superbe texture, c’est le séducteur, un grand vin de plaisir. Très sphérique, chatoyant, avec beaucoup d’élégance. Belle finale, de grand style.
"Très beau millésime, précoce, mais avec des baies assez lourdes", selon Daniel Huber
Artiste : Yvonne Escher
Montagna Magica 2010 Nez très fin, expressif, baies rouges, notes de graphite. Bouche souple, équilibrée. Finale sur des tanins avec une pointe de fermeté mais équilibrés. Un vin d’un grand classicisme.
Etiquette de Petra Dannehl
« Millésime un peu plus difficile avec plus de pluies, pression de mildiou, on a récolté très tard. »
Merci à Daniel et Jonas Huber pour leur passion, leur humilité et leur disponibilité !
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