Si longtemps qu’on l’attendait, cette verticale ! Rien de tel pour comprendre l’histoire d’un domaine, sa quête qualitative, ses choix, ses questionnements, ses changements stylistiques. L’histoire du Mas Jullien ressemble à un conte de fées. De celles qui se penchent sur votre berceau et vous prodiguent leurs dons. Lesquels ? Faisons simple. Celui d’aller jusqu’au bout de ses rêves et de réenchanter le monde. Cette mission est plutôt dévolue à l’artiste ou à l’écrivain. Parfois, le vigneron s’abouche à cette source, celle de la poïèsis, le processus créateur qui fait en sorte que là où il n’y avait rien, ou si peu, il y a désormais quelque chose. De l’être, une trace, une présence.
Dans cette perspective, comme Aimé Guibert avec Daumas Gassac, mais d’une façon différente, Olivier Jullien aura été une source d’inspiration pour de nombreux vignerons (languedociens ou venus d’ailleurs) qui rêvaient de renouer avec un idéal qualitatif.
C’est ce qui s’est passé dans le Languedoc, au milieu des années 80, au moment où Olivier Jullien acquiert sa première vigne. « L’aventure, c’était de rester et de m’approprier cette histoire qui commençait à me dépasser » explique ce dernier dans La mécanique des vins, co-écrit avec Laure Gasparotto. Paru récemment chez Grasset, ce livre est, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, tout à fait remarquable et j’en recommande la lecture à tous les œnophiles.
Nous reviendrons prochainement sur le sujet à travers une vidéo où Olivier Jullien aborde quelques-uns des thèmes du livre, les sources d’inspiration, l’histoire, le destin que l’on se choisit, la force d’attraction d’un lieu, l’état de grâce, le terroir, les portes du vin et, bien sûr, le métier de vrai vigneron, celui qui est dans le faire (et non dans le dire) : « Personne ne se rend compte de ce que c’est de faire le vin. Il y a une pénibilité, un engagement physique, qu’on ignore. En ce qui me concerne, en tout cas, c’est paradoxal de choisir un métier pour être libre et finalement être pris en otage par un système d’attentes et d’obligations déconnectées de toute réalité écologique. La seule question importante pour cultiver biologiquement c’est : qui pioche ? »
Les vins du Mas Jullien présentés lors de cette verticale sont issus d’un assemblage (avec une part importante de grenache dans la première période du domaine, progressivement éliminé au profit du carignan et du mourvèdre notamment, au fur et à mesure de la redistribution de l’espace, du jeu des « échanges de parcelles » et de la découverte de la mosaïque de Saint-Privat, Carlan et Rougeos.)
A1. Mas Jullien 1996
« L’année de tous les excès : hiver pluvieux, printemps maussade, été couci-couça. Année septentrionale. On vendange très tard. »
Très belle définition aromatique sur ce vin complètement épanoui aujourd’hui, sur la truffe et les épices avec un tanin souple et fondu. Il a gardé une vivacité joyeuse. Dans ce millésime plutôt difficile, ce vin se goûte délicieusement.
A2. Mas Jullien 1998
« Beau temps avec peu de pluies. Du 15 juillet au 15 août, chaud, très chaud même. Premiers essais d’élevage en demi-muids. »
C’est un millésime qui a beaucoup compté dans l’histoire récente des vins du Languedoc et qui a compté dans la diffusion de la notoriété du Mas Jullien. Plus dense et plus profond que le 1996, il est loin d’avoir atteint son apogée et se distingue par sa texture consistante et sa trame très serrée, rehaussé par un boisé discret qui lui sied bien.
B1. Mas Jullien 1999
« Début de printemps difficile. Suite normale et agréable. Gros orages et grêle en été. Vendanges début septembre. Etat sanitaire parfait. L’élevage en demi-muids se généralise et la syrah devient le cépage dominant »
Très belle complexité aromatique. Corps équilibré, d’une maturité juste, assez généreuse, assortie d’une fraîcheur issue du millésime (assez septentrional également). D’un très beau naturel d’expression, c’est un vin tout en équilibre, entre le ying et le yang.
B2. Mas Jullien 2000
« Millésime solaire dans la lignée des 90 et 98. Proportion de syrah importante cette année-là. »
Robe très dense. Le fruit est encore présent au nez. Corps ample, à la fois gras et élancé avec un tanin légèrement charbonneux et une finale de caractère. Olivier ne le trouve pas encore tout à fait en place : »je ne sais jamais où le placer » commente-t-il.
B3. Mas Jullien 2001
« Millésime charnière. Course à la concentration dans le Languedoc. Accélération des cycles végétatifs. Vendanges très précoces : 25 août. Equilibres sur le fil avec des matières abouties. »
Il est ouvert, assez chatoyant, et racé à la fois. La trame est d’une finesse remarquable et son aromatique merveilleuse. C’est un coureur de fond, élancé et tonique.
C1. Mas Jullien 2005
« Orages importants du mois de juin. Mois de juillet beau, sans excès, avec un peu de vent du nord. Equinoxe de septembre avec un passage pluvieux. Un des meilleurs millésimes du Mas. »
A lui seul, le nez est un don de la terre et des éléments et comporte une signature vibratoire unique. Grande entrée en bouche, précise, juteuse, avec une suite au diapason. La trame est magistrale et la finale ascendante et longue dessine un futur radieux pour ce vin. « Il faut garder ce niveau vibratoire, en soignant le sourire. »
C2. Mas Jullien 2006
« Début de l’été chaud et sec, puis plus frais. Les pluies d’équinoxe ont séparé la récolte des cépages les plus précoces de celle des cépages plus tardifs. Millésime peu lisible. «
Intensité aromatique moyenne, sur des notes d’évolution, un peu lactées et fleurs sèches. Rond et fluide, il offre un corps plus excitant avec une agréable finale réglissée qui a plu à de nombreux participants. «Ah ! bon, vous trouvez ? On est au bord du précipice, la vue est belle… » note Olivier.
C3. Mas Jullien 2007
« Mois d’avril très chaud. L’été ne fut pas très agréable, mais fin août et début septembre magnifiques.
Les vents secs et chauds ont demandé bcp de vigilance pour choisir la date de récolte. Millésime très homogène. »
L’aromatique associe à la fois des notes de fruits très mûrs et de fruits frais. Là, nous entrons dans le « règne » du carignan et du mourvèdre et le profil du vin change, se précise, l’identité s’affirme, amplifiée par le millésime sans doute. Fastueux et sobre, caressant et profond, il s’impose avec évidence.
D1. Mas Jullien 2008
« Beaucoup de travail au printemps, grosses pressions de mildiou. La folie a pris fin mi-juillet et à partir de ce moment-là que du bonheur. Des vendanges de rêve ! »
Remarquable fraîcheur d’expression, sur le fruit et la profondeur. Corps magnifiquement sculpté pour ce vin qui intègre pour la première fois la parcelle (magique) de Rougeos sur Saint-Privat. C’est un vin d’énergie et de vibration, comme 2005, mais plus délié et plus accompli encore dans son expression.
D2. Mas Jullien 2009
« Débourrement tardif, pluies au printemps. Pression de mildiou. Eté chaud mais avec de bonnes réserves. Millésime très beau avec des vins hors normes. Je n’avais jamais connu des vinifications aussi difficiles, et des vins aussi différents d’une vigne à l’autre. »
Il est sur des notes de gelée de fruit. Un peu plus évolué dans son expression que le 2009, il se distingue par une texture irrésistible, caressante et sa richesse de constitution, sans surcharge pondérale toutefois. « C’est sur ce genre de millésime qu’on voit tout le travail accompli »
D3. Mas Jullien 2010
« A nouveau les pluies de printemps nous ont obligés à être très vigilants. Vendanges plutôt tardives avec des maturités phénoliques décalées, chaque parcelle étant un cas particulier. »
Original et racé dans son expression avec des notes balsamiques et de graphite. En bouche, les superlatifs sont de mise : grande richesse de constitution, grande dynamisme et grande longueur, induite non pas uniquement par la structure, mais par la persistance du goût. « C’est le millésime le plus exaltant qu’on ait fait ! »
E1. Mas Jullien 2011
« Beaucoup d’eau au printemps. Mois de juillet glacial. Heureusement le mois d’aout est passé par là. Les turpitudes du climat ont des incidences notables. Les carignans et les mourvèdres sont chaque année meilleurs et les grenaches deviennent ingérables. A quelques exceptions près (Carlan), ils sont en train de disparaître de nos assemblages.
Ce millésime est vraiment bon. Un seul bémol, les niveaux d’alcool sont montés ces dernières années. »
Merveilleuse aromatique, fine, précise, fruitée avec des notes florales très pures. L’équilibre, l’harmonie même, sont les termes qui s’imposent quand on déguste ce vin. Et comme la finale est à la fois stylée et gourmande, on reste dans un registre très élevé.
E2. Mas Jullien 2013 Autour de Jonquières
« Printemps froid et pluvieux. Débourrement tardif. L’été a paru court. Pas une ombre au tableau, un millésime homogène, d’une grande qualité. »
Superbes notes poivrées au nez. Un peu plus dense que le 2011, il se distingue par son allonge et sa grande continuité. Futur grand classique à garder absolument encore !
E3. Mas Jullien 2014 Autour de Jonquières
« Nous avons doublé les équipes pour travailler les vignes durant tout l’été. Les orages violents ont sérieusement entamé l’intégrité de nombreuses grappes et on a perdu beaucoup de mourvèdre et de carignan. Nous avons pris la décision d’attendre l’optimum de maturité. «
Exactement les mêmes parcelles que pour le 2013, mais dans une année plus difficile. On retrouve le côté épicé très subtil et le vin plaît par son style frais et élancé, son tanin fruité et sa finale déliée.
Merci à Olivier Jullien qui sait rendre aux autres ce que les fées lui ont offert !
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