La cinquième édition du World Symposium vient de se terminer à la Villa d’Este au bord du lac de Côme. Rêvé et réalisé par François Mauss, cet événement est unique à bien des égards. Par la beauté du site. Un écrin au bord de l’un des plus romantiques des lacs transalpins. Un lieu inspirant, tonique, même ourlé de nuages comme ce fut le cas pour cette édition. Par la diversité et – cela va sans dire – la qualité des participants, venus des quatre coins de la planète. Des producteurs de vins, des négociants, des chefs d’entreprise, des professeurs, des chercheurs, des journalistes, des blogueurs, mais aussi des passionnés, contents d’être là, d’échanger, de partager des moments face au lac. De se laisser porter par le génie du lieu.
Au programme, des conférences, des dégustations de prestige, un salon du vins et des intermèdes musicaux. Parmi les conférences particulièrement attendues, il y avait celle d’Olivier Duha sur Le Monde de demain. Un beau titre programmatique. Et un zeste de frustration à l’arrivée. Vu la complexité du sujet. Le créateur de Webhelp a ouvert les feux de WWS avec quelques chiffres :
« Il y a 40 ans, nous étions 4 milliards, aujourd’hui nous sommes 7 milliards sur terre. On a divisé par deux l’illettrisme, le revenu moyen a été triplé et on a augmenté de 15 ans l’espérance de vie. Compte tenu de la vitesse à laquelle ça change, ce sont les rapides qui vont manger les lents ».
Olivier Duha a ensuite fait l’éloge de Waze, réseau social de GPS où les utilisateurs partagent les informations en temps réel, que Google Maps vient d’intégrer.
Selon ce dernier, les principaux enjeux du monde de demain seront
1 émancipation des peuples
2 redistribution des pouvoirs politiques et économiques
3 Ruptures démographiques
4 Ressources naturelles, l’eau, la nourriture, l’énergie.
Après avoir évoqué chacune d’entre elles, le conférencier a cédé symboliquement la parole à un homme qu’il admire beaucoup, Alan Savory, spécialiste des problèmes de désertification.
M. Duha avait au préalable conclu par cette note funambulesque : « Le monde de demain est fait d’opportunités, d’évolutions et de révolutions mais c’est un monde qui est d’une extrême fragilité. On marche dans beaucoup de domaines sur un fil ».
Le séminaire suivant « Sauvegarde et harmonisation des propriétés viti-vinicoles en Europe » avait de prime abord tout de l’indigeste pemmican mais la maestria des conférenciers a évité au paquebot de prendre l’eau et dieu sait que la transmission des patrimoines viticoles est un problème crucial dans un pays comme la France par exemple.
On a ainsi virevolté de la Hongrie, emportés sous les salves du volubile Akoh Forczek à l’exemplaire législation allemande, décrite avec pragmatisme et élégance par le Dr Ernest Loosen, en passant par les sinuosités de l’Oenotria passées au scalpel juridique de l’avvocato Gallo. Enfin, Xavier Gauthier, pychologue et spécialiste de la gouvernance, est intervenu sur le thème : quel socle humain pour la pérennité d’une entreprise viticole ? Ou comment passer des imbroglios familiaux à l’affectio societatis.
On savait déjà tout (ou presque) de l’avenir, du earning price ratio, de la manière de désamorcer d’éventuels conflits des Atrides dans les grandes propriétés viticoles, allait-on s’arrêter là ? Non. Le lendemain, à l’heure où le lac apparaît dans sa gangue adamantine, le vibrionnant Dr Vouillamoz est venu parler de l’histoire et du futur des cépages, entre passé très lointain du côté du croissant fertile et un avenir sur lequel planent quelques lourds soleils. Dont ceux projetés à l’horizon 2050 par Lee J. Hannah, un chercheur californien dont les prédictions ont quelque chose d’effrayant pour la plupart des grands vignobles historiques européens (voir graphique). Un saut virtuel dans le futur qui semble faire fi de la capacité adaptative de la vigne, comme l’ont souligné Gilles Pauquet et Stéphane Derenoncourt.
Ne manquaient que les Chinois et leur marché tentaculaire. « Mieux aborder le marché chinois » : Catherine Etchart de la Sopexa est venue nous parler de ce pays à l’échelle d’un continent, de ce vaste territoire aux huit cuisines. Il y a ceux qui savent. Ceux qui savent et qui prédisent. Ceux qui prédisent et interprètent. Les chiffres, les données, les tendances. 1.3 milliards de Chinois et vous et vous… Dans quinze ans peut-être, la Chine sera la plus grande puissance économique mondiale. C’est déjà demain. Les Chinois aisés aiment le luxe. Aujourd’hui, ils ne sont « que » 19 millions à consommer régulièrement du vin. Ils aiment ça. « Pour les Chinois, le vin a l’image d’une boisson bénéfique pour la santé », précise Catherine Etchart. Mais attention, 83 % des vins consommés aujourd’hui en Chine sont chinois. Et ce n’est pas fini. Une conférence intéressante sans le temps nécessaire hélas pour poser des questions.
Entre les grandes dégustations (Cheval Blanc, Egon Müller, DRC), le salon quotidien des producteurs qui présentaient leurs vins, les dîners de prestige avec les grandes bouteilles qui circulaient d’une table à l’autre, telles des exoplanètes nomades venues parfois nous apporter des nouvelles d’un monde que l’on croyait disparu, il fallait procéder à des choix cruciaux. Ou se muer en Protée.
« Sans la musique, l’existence serait une erreur » Cet aphorisme de Nietzsche a gardé toute son actualité au WWS. Maurizio Baglini, seul au Fazioli, puis en duo avec la violoncelliste Silvia Chiesa et, le dernier soir, avec Nicolas Dautricourt nous ont offert de purs moments de grâce !
Tiens, une suggestion pour l’année prochaine. Un concert intime avec Matthey Bellamy, le pianiste et chanteur de Muse. Matthey a vécu huit ans à côté de la Villa d’Este, à Moltrasio où il possède toujours un studio d’enregistrement. C’est d’ailleurs à cet endroit que leur cinquième album, The Resistance, a été enregistré. Une samedi soir avec Muse, why not ? Peut-être pas aussi endiablant que le Willy Klinger’s show, mais essayons ! Illustration :
5 Comments
Rapport plus que fidèle, et je t’en remercie Chaudement Grand Jacques !
La Gallerie genevoise et les oeuvres naïves de Dong Qiu (l’épouse de Yi Wang) n’étaient point non plus sans intérêt.
Manque just un chouilla sur la cuisine, tant un service aussi compétent pour 250 personnes sans que cela fasse « traiteur », même de luxe, c’est assez rare pour être souligné.
peut-être, pour toi gastronome du XXII ème, c’était d’une facture trop classique ?
Je me permets d’insister effectivement sur la qualité musicale des trois musiciens, et voilà un élément du VDEWS auquel je tiens comme la prunelle de mes yeux !
Merci Grand Jacques de ce rapport plus que fidèle !
Tu as raison François : j’ai oublié la qualité des mets, très bonne dans l’ensemble, à part des desserts trop alambiqués et un service d’une aménité et d’une efficacité remarquables. Il faut aussi redire ici la parfaite organisation de l’événement sous l’égide de la famille Mauss et le plaisir d’entendre ronronner (si ! si !) le biturbo V6 de la Ghibli. Et les trois musiciens, effectivement superbes. Bon, il manquait tout de même quelqu’un…
:-))))
….. Très bon article Monsieur Perrin mais comment avez vous pu passer sous silence la distinction donnée à Marie Thérèse Chappaz… dommage. Cette distinction ne méritait-t-elle pas d’être mentionnée ?
mhf
Cette distinction devait effectivement être mentionnée, car elle honore une grande dame du vin et une amie. C’est fait ! Cela dit, ce compte-rendu établi en 2013 ne pouvait pas anticiper une distinction qui a été attribuée en 2015. Quoique…