Embarquement à Quiberon pour Le Palais, le port de Belle-Ile en mer à quelques km de là. Foule compacte, bigarrée. Morne. L’été n’a pas vraiment commencé mais les hordes sont là, avec la tenue que la plupart se sentent obligés d’adopter. Il a beau faire frisquet, on arbore ostensiblement mollets velus et le short, une manière de signifier (à qui ? à ceux qui travaillent ?), je n’y suis pour personne ; je suis en vacances. Billevesées. Heureusement, dès que l’on quitte Le Palais, tout s’atténue, finit par disparaître, l’étendue reprend ses droits. Et un peu de solitude comme une bouffée d’air marin. Une cargaison de livres, plusieurs chantiers d’écriture, l’envie surtout d’entrer dans un autre rythme, d’être là au milieu de cette durée, dans ce bercement pélagique. De ma chambre je vois ce tableau incroyable, changeant, tantôt lumineux, tantôt traversé de masses sombres, moirées, la petite anse de Goulphar, entaille bordée d’une végétation de bruyères, de genêts. A quelques pas d’ici se trouvent les Aiguilles de Port-Coton, bordées d’écumes, concrétions noires, changeantes, cathédrales du temps hantées par des divinités nérétiques.
"C'est sinistre, diabolique, mais superbe et je ne crois pas retrouver pareille chose ailleurs". En 1886 déjà Claude Monet est venu ici et s’est installé à Kervilahouen. Un ancien pêcheur du village nommé Poly l’aide à transporter son matériel tous les jours jusqu’à Port Goulphar et Port-Coton. Qu’il bruine ou qu’il brume, qu’il vente ou que la mer s’étale, fureur des éléments ou non, Monet est à pied d’œuvre. Il peint la mer qui a envahi sa vie. Il peint ce jaillissement par où passe toute vie « Pour peindre la mer, il faut la voir tous les jours, à toute heure et au même endroit pour en connaître la vie à cet endroit-là". Lorsque Monet repart de Belle-Ile, il a trente-neuf toiles dans ses bagages.
Comment dire la mer avec des mots, les mots du rivage et du sédentaire ?
J’aime lire plusieurs livres à la fois. Selon les moments de la journée, les intervalles, le temps à disposition, j’entre dans l’un ou dans l’autre. Parfois, ce sont de simples visites de courtoisie. Souvent, je sais que la traversée sera longue et, redoutant pourtant qu’elle se termine trop tôt, je dilue, me fais moins assidu, je change de plateau, bref je fais durer le plaisir.
Commencé ce matin la lecture de Lumières du monde de Christian Bobin mais je ne suis pas sûr d’arriver au bout : de belles images, une sensibilité à fleur de peau, un écorché qui aime ce qui le taraude. A propos de la description, il note ceci, qui nous ramène à la mer, à cette folie pure que de vouloir dire ce qui précède tout langage : »L’autre jour, j’ai vu un oiseau magnifique dont j’ignorais le nom. J’ai vu ce manque : il était aussi grand que la beauté que je voyais. C’est attristant d’ignorer le nom de ce qu’on aime. C’est un rien de mélancolie pure. »
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