Dix Visions du Mont Viso ou la vraie vie de Patti Smith
Dans l’obscurité qui affleure, efface par instants les visages, la route ondoie, relie des points imaginaires, creuse des distances.
Ce qu’on voit encore, qui nous retient au bord de la nuit, c’est le Mont Viso. Seul, gigantesque, il se détache, dans le lointain, avec ses arêtes crénelées, sa première blancheur.
– Dès que possible veuillez faire demi-tour !
La voix insiste, détache chaque syllabe d’une façon mécanique sur le curseur invisible. Je la connais par cœur cette route. Je l’ai parcourue de nombreuses fois. Je vérifie pourtant l’orientation. Nous venons de quitter Albaretto della Torre. Cap sur Grinzane Cavour. La direction est parfaitement adéquate. Aucun doute là-dessus.
Depuis ce matin, Unknown Caller, une chanson de U2, passe en boucle… Patti est fan de Bono, prêchi-prêcheur converti au rock planétaire, et sa clique d’Irlandais bêcheurs. La guitare de The Edge cisèle ses arpèges au laser ; puis il passe en mode saturation, bourdon grave, inutilement redondant. Drame souligné. Quelque part, entre minuit et l’aube, quelqu’un s’est perdu. Il va y avoir un accident, c’est sûr. Si je comprends bien les paroles, le type doit se reprogrammer, ou une action similaire, shush now, quitter ses illusions.
Sur la partie supérieure du Mont Viso, de grandes vagues s'abîment dans un pan de ciel bleuté, d’une incroyable transparence. Comme si la montagne s’était soudain dédoublée, produisant sa propre lumière, un halo se découpe à son aplomb, vaisseau merveilleux en train de disparaître. Y a-t-il vraiment de la glace, là-haut ?
Elisée Reclus, géographe : « le Viso est vierge de pas humains et le restera probablement jusqu’à ce l’aéronaute puisse diriger son ballon et débarquer sur toutes les cimes inaccessibles. »
3 Comments
Ecriture magique de l’intemporel !
Porte toi bien, Grand Jacques et continue à nous faire rêver !
Meilleurs voeux, Jacques !
J’ai habité pendant 20 ans, dans ma jeunesse, la rue Elisée Reclus.
Pour illustrer la sortie du livre, ce petit texte d’un jeune poète des grands espaces:
LOOKING FOR THE LIGHT
if the coyotes
don’t find you
I will
Bonne année !