Fini de faire de la figuration, exit le joli minois de notre compatriote Fabien Cancellara – que certains commentateurs français s’évertuent à appeler « Canscellera » ! – et voici le vainqueur de l’étape Bourg en Bresse-Le Grand Bornand, un éphèbe germanique, un presque inconnu, Linus Gerdemann. A peine descendu de sa monture au terme de sa chevauchée homérique, les yeux encore embués de bonheur, celui-ci s’empresse de déclarer "Ma victoire d'étape est un signe qu'un cyclisme propre est possible". Et tous, séides de la caravane, chroniqueurs, journalistes, commentateurs, épigones, moutons bêlant derrière le troupeau, de se rengorger, de roucouler d’aise, de prendre des mines de vestales écoutant a whiter shade of pale, de St-Paul sur le chemin de Damas : ça y est, la voici, la nouvelle génération qu’on attendait ! Finies ces sordides histoires de dopage, finis les docteurs Mabuse, les tricheurs, l’EPO, les seringues, les types qu’on doit réveiller la nuit, les chevaux qu’on mène à l’abattoir ! Plus de coureurs en perdition, leur jeunesse bousillée sur l’autel de la performance, ces flibustiers de la montagne qui, après avoir raccroché, se tirent la bourre à l’arme à feu ou finissent, à la dérive, dans une chambre d’hôtel, une pipe de crack à leurs côtés…
Le lendemain, le Grand-Bornand-Tignes : The chicken, Michael Rasmussen, le danois famélique, sort de l’ombre et prend le commandement, s’adjugeant au passage et l’étape et un Kinder surprise, le maillot jaune. Christophe Moreau, lui, se sent en jambe et fait feu de tout bois, multipliant les attaques intempestives parce que, dit-il, il se sentait en jambes. Comment résister au plaisir de passer ici le témoin à Jean-Louis Le Touzet de Libération dont la prose, en même temps qu’elle se hisse à la hauteur de l’épopée qui est en train de se jouer, là, sur ces pentes ardues, la tient à distance dans une saine et joyeuse ironie : » Christophe Moreau qui marche sur l’eau et attaqué à tout va dans la montée vers Tignes. (…) Un vrai Pancho Villa ce Moreau. Il vide des boîtes de cartouche et tire sur tout ce qui bouge. Le soir, avant de s’endormir, il feuillette le catalogue Manufrance et rêve à de nouvelles armes de chasse et à des kilomètres de mèches lentes. On l’aime bien Moreau. A 36 ans, son génie n’est pas près de se tarir. Il a certainement découvert sur le tard les bienfaits d’une alimentation équilibrée. Il découpe des recettes dans des revues. En outre, il peut disserter des heures sur l’apostolat cycliste, la pitié, la foi. Bref, il monte en chaire plus qu’il ne parle. »
Nous aussi, on l’aime bien, Christophe Moreau, ce héros picaresque. On voudrait qu’il réussisse, qu’il aille jusqu’au bout de son rêve, qu’il n’implose pas… Pourvu qu’il continue à se sentir bien en jambes, à s’alimenter avec intelligence, à emmener du braquet, à avoir la foi qui escalade les montagnes et qui dynamite les pelotons. Et que les vilains, les médisants, qui ne veulent pas prendre les relais, qui lui en veulent, cessent d’être méchants avec lui. Il fait son job !
Et pour en finir avec ces questions de dopage, arrêtons de nous voiler la face, de jouer les preux chevaliers ! Ce qui est demandé à ces coureurs dépend sans doute de leurs seules qualités physiques et psychologiques. Du moins sur le papier. Cela dit, j’en connais plusieurs qui carburent à autre chose qu’à l’oxygène, à la Ste-Yorre ou au château Margaux et qui, pourtant, jamais dans leur vie, ne franchiront l’Iseran, le Galilbier ou l’Aubisque !
Tout ça, c’est aussi en rapport avec des plateaux et des vitesses différents.
Comment
Quel que soit le plateau, les bienfaits d’une bonne literie sont indispensables.