Avec son look de héros cybernétique, juvénile et prématurément blanchi, l’homme multiplie les contrastes. Ce héraut de la liberté, qui prétend avoir créé avec WikiLeaks un «service de renseignement du peuple» (sic !), est un pirate reconverti. Lequel fit d’abord une carrière de hacker sous le pseudo de mandax (le menteur). Nom emprunté à Horace via Swift et le capitaine Gulliver. Assez étrange pour celui qui aujourd’hui se targue de dire toute la vérité.
Ce clone de Tom Sawyer, dont il revendique le côté frondeur, non conformiste et asocial, s’il cultive la transparence pour les autres, il s’en exempte volontiers. La cryptographie laisse sans doute des traces. L’intérieur de la forteresse WikiLeaks serait tout sauf diaphane. Selon Daniel Domscheit-Berg, ex bras droit de Julien Assange, le mystère est total, « calqué sur le modèle de la scientologie. »
Et pourquoi Assange a-t-il tenté d’effacer le blog qu’il a tenu entre 2000 et 2006 (IQ.org) aux propos parfois assez délirants ? Ce blog est toujours partiellement accessible via les archives du web où, c’est connu, rien ne se perd, rien ne se crée. https://web.archive.org/web/*/https://iq.org
Que cherche ce héros traqué, cette icône glacée ? Une information plus large, plus scientifique ? Angélisme. Défier ceux qui détiennent le pouvoir. Sans doute. Assange l’a d'ailleurs parfaitement compris : le pouvoir ne cesse de changer de nature. Aujourd’hui, il est notamment dans l’information, dans sa rétention comme dans sa diffusion. Quoi d’autre ? Libérer de leur joug les opprimés ? Soyons sérieux. L’effondrement de Ben Ali ? WikiLeaks ! La révolution du Nil ? Encore WikiLeaks ! La lumière sur le cynisme américain ? Sur les jongleries financières off shore ? Toujours WikiLeaks !
Le remous médiatique autour de WikiLeaks et les vertus qu’on lui prête occulte un certain nombre de questions. Notamment celle qui concerne l’origine de ces fameux câbles diplomatiques et informations confidentielles. Quel crédit accorder à une vérité qui trouve ses fondements dans le piratage, la délation et la malversation ? Seul le whistleblower (le dénonciateur) est moralement répréhensible et condamnable. Dès que l’information, obtenue par des moyens le plus souvent illégaux, passe dans le second cercle, elle est blanchie, devient vérité.
Assiste-t-on à l’émergence d’un nouveau dispositif de la vérité, dont les objectifs apparemment désintéressés exonèrent d’emblée les moyens mis en œuvre pour y parvenir ? Ou à l'émergence d'une forme de terrorisme très particulier, celui de l'information ?
L’entreprise WikiLeaks répond surtout à un double fantasme. L’un très ancien : celui d’un individu, affirmant seul sa liberté – et avec elle celle de tous les autres individus – face à l’opacité de la raison d’état.
L’autre propose une nouvelle forme de messianisme, dont les prétendues révélations sonnent jusqu’ici plutôt creux, ne révélant rien que nous ne sachions déjà.
Comme si le vrai secret était celui-ci : il n’y a pas de secret.
6 Comments
Pourvu que cette affaire n’occulte pas la difficile question de la protection des libertés individuelle devant l’omniprésente menace de la "raison d’état", qu’elle soit légitime ou dévoyée.
Satané pluriel… libertés individuelleS
D’abord sympa de voir le Grand Jacques s’aventurer dans de nouveaux domaines où les viscosités des argumentaires peuvent être joliment maousse.
Au sujet de ce qu’a fait ce zozo Wiki : finalement, at the end of the day, cela a changé quoi dans l’ordre du monde ? Des démissions ? Même pas ! Grosso modo, quand bien mêmes les américains l’aimeraient derrière des barreaux, tout ce qu’il a publié, au fond, on se doutait bien qu’en privé, ces huiles obscures de la diplomatie devaient le penser.
Bref, on s’en fout un peu et ses histoires de petite culotte risquent d’avoir plus d’impact que les copies de dépêches mises en ligne.
Comme tant d’autres choses de nos jours, un événement qui a nourri les médias quelques temps, un tour ou deux de manège, et puis s’en va !
Voir François Ma(o)uss(e) être philosophe de bon matin, est assez revigorant
🙂
J’entendais ce matin sur France Info un diplomate, ex ambassadeur de France en Tunisie, dire que cela l’arrangerait d’ouvrir les archives du quai d’Orsay pour prouver que les services concernés ont bien fait leur boulot ces dernières années (mais que les politiques ne les ont pas entendus).
Quels grands garçons (cf l’affaire d’espionnage chez Renault ou l’affaire Servier).
Samu, on tire pas sur une ambulance 🙂