Jean-Robert Pitte l’a rappelé : si certaines ivresses involontaires sont bienheureuses (celle de Noé ou de Loth qui transmet la vie), la plupart sont le signe d’une détresse que l’on cherche à oublier : 40 % des jeunes ont été ivres au moins une fois dans leur vie.
Cette situation pourrait presque passer pour normale : la vitesse, le bruit, les exploits sportifs, sexuels, les nuits agitées, la défonce, le binge drinking font partie de ces sensations très fortes que recherche la jeunesse.
Aujourd’hui, a ajouté le professeur, les jeunes vivent une période d’adolescence prolongée, entrent plus tard dans la vie professionnelle et cette situation favorise ces prises de risque parfois inconsidérées.
Ce qui autrefois appartenait à un bizutage ponctuel, a aujourd’hui pénétré toutes les couches sociales, y compris dans des banlieues à dominante musulmane.
L’origine de cette pratique doit être recherchée, selon J.R. Pitte, en Europe du Nord où la nature est sacrée et où l’on considère que tout action de l’homme sur la nature est mauvaise. Dans une telle culture, chacun est sous le regard de Dieu dans une totale transparence, on ne doit pas se laisser aller. Il est impossible de vivre en permanence dans un monde contrôlé et puritain. Il faut donc trouver des échappatoires, des parenthèses, en fin de semaine, où se défouler. On se soustrait au regard de Dieu et on boit tout ce que l’on veut. Dans les années vingt, les gens partaient même au large, sur des bateaux, pour s’enivrer copieusement.
D’une certaine manière, selon J.R. Pitte, l’Europe du Nord a fait le même choix que l’Islam : vous n’êtes pas capable de résister à l’attrait de l’alcool, par conséquent on va vous l’interdire totalement ! D’où les lois de la prohibition, dont les plus anciennes remontent au 19ème siècle. On en trouve dans le nord, mais aussi à Genève, chez les calvinistes. Celles-ci ont abouti aux fameuses lois de 1920 sur la prohibition de l’alcool.
En 1933, on a vu que cela provoquait tellement de catastrophes qu’il n’y avait plus qu’à faire marche arrière.
On évoque ensuite le cas de la France, pays des paradoxes, patrie des grands vins où il devient très difficile de parler du vin depuis la loi Evin de 1991 qui interdit toute promotion, toute publicité pour le tabac et pour l’alcool.
Pour le professeur Pitte, cette loi est quelque part une négation de la responsabilité individuelle.
Pour le professeur Pitte, cette loi est quelque part une négation de la responsabilité individuelle.
Un mercredi en fin d'après-midi dans les caves du CAVE à Genève. L'éducation du goût commence ici. Sur le terrain.
Une fois le cadre et le diagnostic posés, restent à trouver les solutions. Comment parler du vin aux jeunes ? Jean-Robert Pitte a évoqué quelques pistes qui passent toutes par le développement de l’éducation du goût, cours de dégustation, voyages dans le vignoble. Très récemment, il a cosigné avec Jean-Pierre Coffe un rapport destiné à améliorer la restauration universitaire. Ce rapport a eu le mérite de soulever de vrais problèmes. Parmi les propositions, l’une d’entre elles a suscité la controverse :
« L’initiation a une consommation modérée de vin est un excellent moyen de lutter contre l’alcoolisme et un enrichissement de la culture gustative des étudiants. »
Pure provocation selon les uns. Angélisme total, selon les autres, cette suggestion ouvre pourtant des pistes de réflexion très intéressantes et, à l’instar des autres propositions (notamment celles sur l’approche diététique ou la qualité du pain), mérite mieux qu'une attention ministérielle distraite…
Duplex Cernobbio-Kyoto. Le sourire de Clio. Le photographe très concentré, à droite sur la photo, s'appelle Armand Borlant.
Lors du débat qui a suivi la conférence d’autres idées sont apparues. En homme de goût, Enzo Vizzari a rappelé comment le goût se forge d’abord dans une culture familiale conviviale, que de nombreuses familles italiennes continuent à illustrer. « Mes fils ont même la clé de la cave ! », a-t-il confié à l'auditoire. Et François Mauss de rappeler que cet accès libre ne concernait pas la partie secrète où vieillissent les grands Bourgognes…
Le jeune Giuseppe Vajra a également pris la parole reliant le vin à une esthétique, qui passe par celle des paysages.
Le jeune Giuseppe Vajra a également pris la parole reliant le vin à une esthétique, qui passe par celle des paysages.
A noter enfin que cette conférence a été suivie, en duplex de Kyoto par Clio, ma fille aînée, à laquelle je confie parfois également les clés de ma cave, quand elle est en Suisse !
Comment
Et alors Jacques, toi aussi tu as un coin secret dans ta cave ?
je pense serieusement a venir faire un saut le mercredi au Cave de Geneve lors de mon prochain passage dans la cité de Calvin.
au fait, pour moi, le seminaire de Mr.Pitte fut un des plus interessant avec celui de Stephane D.