Pour les amateurs de grands Beaujolais, de grands vins de granit et de grands vins tout simplement, le domaine Janin Père & Fils est un must, et pour cause.
Eric Janin, représentant la quatrième génération après son père Paul et son grand père Marcel, préside aujourd’hui aux destinées de la propriété. A l’époque, les hommes de la famille étaient vignerons mais également tonneliers. Le domaine a été créé dans les années 30, avec l’achat d’une parcelle dénommée le Tremblay. Il compte aujourd’hui 10 hectares répartis sur deux appellations dont 8 en Moulin-à-Vent, avec ici trois cuvées produites. La propriété n’est pas en culture biologique certifiée mais Eric s’efforce de cultiver ses vignes aussi sainement que possible, en respectant les principes de l’agrobiologie et en apportant des composts naturels. Les sols sont labourés et travaillés régulièrement. La vendange en vert n’est pratiquée qu’en cas de nécessité, le domaine privilégiant la taille et l’ébourgeonnage pour contrôler ses rendements.
Cuvée emblématique, le Moulin-à-Vent « Clos du Tremblay » est en fait une sélection de 1.10 hectare de vignes âgées de 80 à plus de 100 ans sur le lieu-dit Tremblay (ou Les Burdelines), un terroir granitique mélangé à des limons en surface et à de l’argile rouge. Le premier millésime fut produit en 1991, lorsque ces vignes furent isolées de la cuvée « domaine », puis en 1994, avant de devenir récurent. Récoltées à la main, les grappes sont triées une à une. Deux tables de tri peuvent fonctionner pendant la période des vendanges. Les raisins sont vinifiés – autant que faire se peut – entiers, donc non égrappés. Les macérations durent douze à quatorze jours. Enfin, l’élevage intégral dure dix à onze mois en vieux foudres, même si dans les prochains millésimes les contenants pourraient bien changer. Mais cela reste à confirmer…
Une fois le décor planté, il ne restait donc plus qu’à descendre vingt-sept années de ce vin mémorable, en compagnie du discret mais très appliqué Eric Janin, pour qui ce fut une première. Les vins ont été goûtés par séries et dans l’ordre qui suit.
Moulin-à-Vent « Les Vignes du Tremblay » 2012 : année tardive, une seule cuvée produite dans ce millésime, pas de sélection parcellaire. Robe légère, nez très « beaujolais » de framboise, d’abricot léger, trait de menthe, de l’ouverture aromatique ; plus que la bouche, qui possède la fermeté des bons millésimes non égrappés du domaine en jeunesse. C’est élancé, nerveux mais pas mince, avec un profil de « faux maigre » qui devrait donner un vin vieillissant longtemps et lentement. Vraie réserve de la finale. C’est très bon, et le vin était encore meilleur et plus ouvert le lendemain.
Moulin-à-Vent « Clos du Tremblay » 2011 (en magnum) : année précoce, plutôt chaude, rendement de 40 hl/ha. Nez plus animal, plus fauve, moins diversifié, avec présence d’un peu d’acétate d’éthyle. Enveloppe de la bouche plus importante pour ce vin gras, truffé, épicé, à la saveur elle aussi animale, mais à la puissance bien préservée. Il a du coffre. Dommage seulement que le fruit et la pureté paraissent grevés, du moins à ce stade. On le regoûtera.
Moulin-à-Vent « Clos du Tremblay » 2010 : millésime tardif, avec de l’humidité, une pression de maladies forte en juin, début de vendanges le 17/18 septembre, beaucoup de millerandage, rendement de 28 hl/ha. Nez de chocolat noir, réglissé, profond, très épicé, avec une grande densité aromatique mais encore peu de diversification du parfum et presque un côté syrah ; vin corsé, très dense, long, à la trame resserrée, semblant bâti pour la longue garde, à la fois riche et salivant, très « granitique ». Le lendemain il laissait éclore un fruit très jeune et affichait une grande race. Une future bouteille de collection !
Moulin-à-Vent « Clos du Tremblay » 2009 : millésime chaud, avec 3-4 jours de vent du sud à la fin août, rendements de 37-39 hl/ ha. Nez solaire, plus « chaud », cacaoté, avec un soupçon de cassis et de truffe propre aux grands beaujolais dans les années chaudes ; bouche solaire, riche et séveuse, à l’alcool plus sensible que sur les autres vins. C’est un cru épaulé, opulent, de grande vinosité, un « gros » vin encore très jeune. On est très confiant sur son avenir…
Moulin-à-Vent « Clos du Tremblay » 2008 : 100% égrappé, millésime frais, lent et long à faire mûrir. Notes plutôt mûres pour le millésime de crème de cerise, de kirsch, de fruit noyau. Attaque suave pour ce vin charnu, plus « gonflé » dans la texture (impact de l’égrappage) que d’ordinaire, avec une trame plus détendue que le reste, mais aussi moins d’allonge : on est davantage sur un vin d’attaque et de milieu de bouche, mais c’est bon, très bon même, pour l’année plus que difficile.
Moulin-à-Vent « Clos du Tremblay » 2005 : millésime sec, avec un décalage entre maturités phénoliques et alcooliques, du stress hydrique donc, rendement autour de 45 hl/ha. Nez de goudron, d’épices, on est loin du fruit avec un côté figue sèche ; bouche de demi-corps sur l’attaque, finalement peu vineuse, pas trop dure pour le millésime, à la fois solaire et fraîche, avec une acidité un peu carrée, grésillante : bonne mais pas grande. Une seconde bouteille paraissait meilleure que celle-ci.
Moulin-à-Vent « Clos du Tremblay » 2003 : canicule et grêle à 30%, rendement d’environ 25 hl/ha. Nez de gamay d’année chaude évoquant l’orient, le souk, la pêche rôtie, la suie, les fleurs (iris) ; la bouche est suave, alanguie et sexy sur l’attaque, puis se développe sur une trame plus ferme, un tanin plus abrupte, mais le vin est encore jeune, avec quelque chose de salivant dans la saveur. Allonge un peu ferme, mais on peut penser qu’au vieillissement il surprendra…
Moulin-à-Vent Clos du Tremblay 1999 : rendements importants, millésime chaud avec une concentration en sucre à la fin du millésime. Nez de bouillon, avec quelques témoins aromatiques d’oxydation. Le vin a évolué comme un vieux nebbiolo (acidité volatile) en bouche comme au nez ; bonne trame et tanin sérieux, mais la saveur est marquée d’arômes fanés.
Moulin-à-Vent « Clos du Tremblay » 1996 : rendement de 55 hl/ha, fin de maturation des raisins par le vent du nord. Superbe nez de rose, d’agrumes, de cassis, de musc, de mangue : l’archétype du grand moulin-à-vent à maturité ; bouche suave, jeune et charnue, incrâchable, avec une maturité que je n’ai jamais rencontrée sur un 1996 du beaujolais : on est complètement dans l’expression du cru, avec un fond de verre sur le réséda et l’ambre. Superbe, un tour de force.
Moulin-à-Vent « Clos du Tremblay » 1995 : environ 50 hl/ha, première année ou le domaine retravaille les sols. Nez encore plus jeune que le 1996, fruité, kirsché, complexe et profond, déclinant une palettes d’épices très noble. Un vin impressionnant de fruit, de chair, de volume, suave et plein. C’est tout simplement un grand moulin-à-vent. Coup de cœur.
Moulin-à-Vent Clos du Tremblay 1991 : année de gel de printemps exceptionnel, beaucoup de raisins se sont formés ensuite sur les gourmands (raisins de seconde génération), rendement autour de 30 hl/ha. Nez sanguin, de venaison (animal noble), tirant ensuite sur le havane ; bouche pleine, vineuse, incroyablement jeune avec un soupçon d’acétate comme la Geynale de Robert Michel du même millésime, réglissée, fraîche, très volontaire, très longue, insolente de jeunesse. Un grand vin.
Moulin-à-Vent Domaine des vignes du Tremblay 1990 : millésime mûr, chaud, et grosse récolte en terme de quantité ! Nez plus évolué, décadent, sur l’infusion d’oranges, la cannelle ; sensation de liqueur en bouche avec une texture alanguie, un peu de tertiaire dans la saveur et une sensation d’épanouissement inoubliable. Un grand Moulin-à-vent à point.
Moulin-à-Vent Domaine des vignes du Tremblay 1985 : millésime chaud, grande maturité, fin de fermentations alcooliques compliquées, il restait environ 3 à 4 grammes de sucre par litre en vin fini ! Nez fauve de Kriek (il est possible que le vin ait refermenté au cours de sa vie sous verre), de fruits rouges acidulés, de moka, réglisse et menthe, captivant. En bouche le vin est suave, réglissé et frais (plus que 1991 et 1990), complètement à point. La seconde bouteille ouverte se soir là se goûtait encore plus pure, aboutie, raffinée, incrâchable et insolente de jeunesse.
Nous adressons à la famille Janin nos plus vifs remerciements pour ce moment de dégustation qui a déclenché, parmi les convives d’un soir, un enthousiasme rarement vu dans le cadre de l’Ecole du Vin. Avec des vins de cette trempe, le Beaujolais ne peut avoir de complexes face à la Bourgogne ou la Vallée du Rhône. Un grand bravo à Eric et son père !
Comment
Merci de relater ainsi cette série exceptionnelle.
J’avais trouvé Tremblay 1991 excellent lors de la dégustation des Beaujolais avec toi chez IVV. Aucun défaut handicapant, de mon point de vue.