Jusqu’au milieu des années 2000, on comptait deux domaines Lionnet sur la commune de Cornas : celui de Rochepertuis, appartenant à Jean Lionnet, mais qui n’existe désormais plus ; et celui prénommé « Terre Brûlée » (traduction de Cornas en celtes), dont il sera question dans le présent article. La famille Lionnet est propriétaire de vignes depuis 1575. Les générations de viticulteurs et de vignerons s’y sont succédées, jusqu’à Pierre Lionnet. Mais ce dernier a connu malheureusement des problèmes de santé au début des années 2000 et s’est vu contraint de transmettre les rênes de son exploitation à sa fille Corinne et à son gendre Ludovic Izerable. Le couple est entré en scène avec le millésime 2001, en suivant ses conseils.
La reprise officielle et complète se fera avec le millésime 2003. On note qu’au fil des ans et sous la gouvernance de Pierre, le domaine a diminué de volume, délaissant les parcelles les plus coûteuses à travailler ou celles non retenues lors du découpage de l’AOC Cornas. Ainsi, si le grand-père possédait cinq hectares, au moment de l’arrivée de Ludovic et Corinne, la propriété n’en comptait plus que deux. Après le décès de Pierre Lionnet, ils bannissent l’usage des produits de synthèse. Au début, ils enherbent leurs vignes mais les rendements chutent sérieusement, voire excessivement pour certaines parcelles. Ainsi, petit à petit, ils vont se diriger vers une culture bio moins « subie », intégrant un travail des sols qui permet à la vigne d’être plus équilibrée dans son cycle. Avec le millésime 2009, la décision est prise de recourir à une certification Ecocert, en accord avec l’esprit de transparence qui les anime.
Depuis la reprise, le domaine cultive, vinifie et assemble quatre quartiers : Combes (une très vieille vigne située à l’extrême sud de l’AOC, sur une topographie relativement plane, avec des sables granitiques complétés d’argile) ; Mazards (une vigne de 45 ans sise en contrebas de Chaillot) ; Pied la Vigne (ou Brugère, au nord-est de l’AOC, sur un terroir argilo-calcaire, avec des plants récents qui en côtoient d’autres de 50 à 70 ans) ; et Chaillot, au lieu-dit Le bois (sur un sol granitique décomposé de type gore). Dernièrement, un nouveau quartier est venu compléter l’assemblage : Saint-Pierre (un hectare de terres granitiques défrichées et récemment plantées, dont la moitié seulement va dans le Cornas pour le moment).
Les vinifications se veulent aussi traditionnelles et artisanales que possible. Après un léger sulfitage sur raisins à leur arrivée au chai, les cuvaisons ont lieu en contenant de béton et se font en vendange strictement entière. Les fermentations se déroulent à l’aide de levures indigènes et sans aucun intrant. Les pigeages aux pieds sont faits deux fois par jour par Ludovic. Les fermentations malolactiques se font consécutivement, en cuve et donc en masse, avant que les vins soient entonnés en fûts et demi-muids de plusieurs vins. Au total, il s’écoule 18 mois entre les vendanges et la date de mise en bouteilles, réalisée sans collage ni filtration.
Nous avons pu juger dernièrement au CAVE de l’évolution et de la qualité du seul Cornas ici produit au travers d’une verticale qui a couvert quarante année, en présence de Ludovic Izerable.
1973 : aromatiquement, on oscille entre une évolution rappelant la Bourgogne ou le Beaujolais : bouquet de tabac, pot pourri, fleurs séchées ; le vin présente en bouche une vive acidité, il se veut élancé et repose sur une belle texture. Un beau souvenir du passé, très digne.
1980 : à cause d’un caractère un peu liégeux, il est difficile de juger le vin dans toute son intégrité ; mais on peut louer sa belle bouche possédant de l’ampleur et de la densité.
1999 : cassis marqué, mais il y a derrière de la profondeur aromatique. Evolution plus pure et épicée. Il offre une bouche élégante et fine, avec une saveur épicée et tabacée, sans dureté. Pour un millésime de « gros » rendements, c’est plutôt bon et corsé.
2003 : il explose entre agrumes, rose, épices, abricot, ambre, fruits rouges, avec également un côté lardé/suie et une évolution « carnoso » (viandeuse) à l’italienne : le vin change beaucoup, il offre une grosse personnalité, à l’image du millésime. Les tanins semblent un peu fragiles sur l’attaque, mais la personnalité « granitique » apparaît : on retrouve des notes de rose et de violette en bouche. Le grain est fin et l’allonge plutôt fraîche, pour ce cru à la fois généreux et fragile, de très belle personnalité, juste un peu ferme en finale, comme nombre de 2003 aujourd’hui.
2005 : ici aussi, sur ce millésime sec et surtout tannique, on retrouve encore un peu de cassis, mais avec plus de diversité aromatique : nez plein de fruits mûrs. Les tanins sont plutôt doux et donnent une sensation d’attaque enrobée. Le grain commence à se polir, c’est velouté, pas trop sec pour le millésime, juste encore un peu ferme et rude. A suivre.
2006 : on quitte le cassis pour aller vers le fruit et les fleurs, avec un vrai charme aromatique. Le vin est suave et frais, doté de tanins bien liés ; la trame est tendue, granite oblige, rehaussée d’une saveur poivrée typique du terroir. C’est long, confortable. Un très beau vin.
2007 : comparé à 2006, il paraît plus riche, avec une sensation d’alcool, mais il est (beaucoup) moins parfumé. Bouche idoine, riche et musclée, ferme, dans laquelle on devine un végétal de rafle un peu en avant. Il semble dans une phase d’austérité marquée indiquant qu’il faut attendre. On le regoûtera.
2008 : année fraîche et largement pluvieuse à Cornas, avec des inondations fin août, suivies d’un d’un beau mois de septembre. Vendanges mi-octobre. Nez frais, « granitique » (poivre, menthol, ciste), à nu et très juste. La bouche prolonge cela avec une trame ciselée : le vin est frais, dentelé, plus relâché que 2007, sapide, long. Un « faux maigre » qui vieillira sans doute très bien.2009 : année chaude, sèche, belle récolte en quantité mais peu de jus, les peaux étaient épaisses. On devine le soleil et il goudronne, comme certains Chateauneuf. Tanins fermes mais mûrs pour ce vin très corsé, dans lequel on devine un degré d’alcool plus élevé que d’ordinaire. Il a besoin de temps pour s’assagir, mais l’équilibre de cette année nous rappelle que Cornas se situe au « sud du nord » de la Vallée du Rhône…
2010 : demie-récolte mais de grande qualité. Nez explosif de grande syrah de terroir : intenses parfums de fruits exotiques, menthol, poivre marqué, pour ce vin énorme mais frais, texturé, hyper dynamique, long. Un « monstre » bâti pour le vieillissement. La gnac du granite en finale est impressionnante et permet de dégager une sacrée énergie. Une référence.
2011 : année précoce, mais qui a perdu son avance en juillet. Vendanges au 15 septembre, 30 hl/ha. Superbe nez de rose fanée, violette, réséda, quinquina, végétal noble. Saveur cohérente avec le nez, fraîche, pour ce vin long, sapide et poivré, charmeur. Une très belle bouteille issue d’un millésime pas si facile.
2012 : 33-34 hl/ha, les plus « gros » rendements de l’histoire récente du domaine. Très en fruit, sur des notes gourmandes de burlat mûre, sans trace de rafle, il est immédiat dans le parfum et très appétant. On retrouve ce fruit et cette chair, avec une grande délicatesse de trame et un milieu de bouche ultra savoureux, incrachable. Un grand Cornas de plaisir !
2013 : on retombe à 27 hl/ha. De prime abord, il rappelle 2010 avec encore plus de charme immédiat, de raffinement de parfum et de texture. Mais à le regoûter, il correspond parfaitement à l’expression « main de fer dans un gant de velours », tant sans délicatesse dissimule avec adresse un vinosité impressionnante. Un futur très grand vin et un modèle pour son appellation.
Après cette verticale, et au regard de notre expérience sur Cornas, ce domaine a rejoint aujourd’hui l’élite de son appellation. Nous adressons donc un grand coup de chapeau à Corinne et Ludovic pour le chemin parcouru en l’espace de quinze années de sueur, d’opiniâtreté, d’exigence et de doutes. Leur parcours force le respect et a de quoi susciter bien des vocations auprès de jeunes vignerons soucieux de faire parler le granit…
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