Chappaz est intimement lié à ma jeunesse : je l’ai rencontré lorsque j’étais âgé de quatorze ou quinze ans. Avec quelques amis, nous avions décidé de secouer le joug du conservatisme frileux qui prévalait au sein du collège *** que nous fréquentions. Etablissement renommé où – ironie de l'histoire – Chappaz nous avait précédés, trente-cinq ans plus tôt !
Nous éditions une revue poétique, insolente, prônions le surréalisme dans la vie et en poésie. J’ai même fait le voyage jusqu'à St-Cirq-la-Popie dans l’espoir de rencontrer André Breton ; je n’ai vu que la silhouette diaphane d’Elisa. Trop tard ! Le vieux lion était déjà reparti chercher l’or du temps aux Batignolles… L'anarchie comme forme nouvelle du désespoir fut notre tentation. Bientôt nous assisterions enthousiastes aux premières turbulences, puis à l'embrasement de Mai 68.
Nous arrivions chez Chappaz attirés par un astre lointain, absorbés par une figure tutélaire : il nous reçut amicalement dans son repaire de poète, non loin de l’endroit où une quarantaine d’années plus tôt vécut Rilke.
Chappaz nous écouta longuement, l'œil pétillant, malicieux ; flatté au fond que ces étudiants en rupture de ban vinssent à lui ; heureux de les adouber et de partager avec eux une bouteille de fendant de sa vigne de Veyras dont le goût pierreux et miellé chante encore dans ma mémoire.
Relisant aujourd’hui ce fragment tiré du Garçon qui croyait au paradis, je suis envahi par une émotion particulière. Comme s’il contenait un sens lié à ma propre survie. Je sais uniquement que je dois en comprendre l'empreinte, l’inscrire au plus profond de moi-même. Dans le sillage de ces quelques lignes, je traverse en quelques heures une durée qui ne m’appartenait plus, avec laquelle je renoue. En une forme d’accélération étonnante, les différentes strates de ma vie se sont retrouvées condensées dans ce texte.
“Mais je craindrais de ne pas mourir.”
16 Comments
http://www.amazon.fr/Tentation-l... (préface de Nicolas Bouvier)
Voyages intérieurs : http://www.libristo.com/livre-40...
Je me réjouis de lire ce livre.
Ravie de revoir la bonne vieille tête de Monsieur GABIOUD !
Jean,
Lequel des 2 ?
Celui de Jacques.
De Chappaz, j’ai presque tout lu.
D’ailleurs, voici l’homme que Le Temps a publié hier :
http://www.jeanromain.net/caribo...
"Leave this body and be free" … Lou Reed
Très émouvant. Vous avez donc fait le voyage jusqu’à St-Cirq-la-Popie et entrevue la silhouette d’Elisa ? Et vous n’avez pas vu Aube ? Tout ceci me rappelle de vieux souvenirs personnels. Quel était le nom de votre revue ?
Je mettrai prochainement en ligne un poème de Maurice Chappaz auquel Poezibao rendait aussi hommage vendredi dernier…
Amicizia da Capicorsu,
Anghjula
Angèle, la revue s’appelait ENCRES… J’étais très très proche des surréalistes à cette époque (Schuster, Legrand, Eric Losfeld). Je n’ai hélas pas vu Aube. Quand je suis arrivé à St-Cirq-la-Popie et que j’ai vu la maison de Breton, j’ai eu un véritablement saisissement. Rarement vu en endroit aussi beau !
"Chaque fois unique, la fin du monde". Je reprends ici ce titre de Jacques Derrida pour dire ici que, dans chaque mort, s’inscrit la fin d’un monde. Celui de Chappaz était fait de ces lumières boréales que nous, voyageurs du nord et des glaces, aimons tant. A lire ici le très bel hommage de Jean-Louis Kuffer ainsi que celui de Bertil Galland à celui qui fut son ami : http://www.24heures.ch/actu/suis...
Gérard Legrand ? Celui qui a édité Le Surréalisme et la Peinture ? C’était un auteur, collaborateur et ami de mon mari (le webmestre de TdF). J’aimerais bien an savoir plus. Par messagerie perso ?
Pour Maurice Chappaz:
"Le silence que l’on entend
l’absence que l’on touche
la distance qui est proche
les mots comme un bélier noir
qui de rocher en rocher
se racontent sur toute une montagne"
Armand Gatti
Oui, Gérard Legrand, l’intransigeant. Son meilleur livre, je crois, c’est "Préface au système de l’éternité" (Legrand était philosophe de formation). A l’époque les surréalistes éditaient une revue que j’aimais beaucoup, l’Archibras. C’était Jean Schuster, je crois, qui la dirigeait.
Pour Maurice,
"A Saint-Cirq-la-Popie il n’y a que des pierres, des pierres et encore des pierres. Mais quelles pierres !.."
Philosophe, oui, puisqu’il a fait à lui tout seul un dictionnaire de philosophie mais aussi un essai sur les Présocratiques, mais aussi critique de cinéma (il donnait des cours à l’IDHEC). La dernière fois que je l’ai vu, c’était à une conférence sur Fellini.
Bienvenue Angèle, j’étais un lecteur assidu de votre blog, malgré les petits problèmes dans la maîtrise du web. Mais j’ai vu que tout était arrangé.
Bonjour Armand,
"Petits problèmes dans la maîtrise du Web ?" Je ne suis pas au courant et personne ne m’en a jamais parlé. Comme je ne voudrais pas être trop présente sur l’espace de Jacques Perrin, pouvez-vous m’en parler sur ma boîte perso ?