Fidèle au poste, Jean-Pierre Haeberlin, l’aquarelliste rêveur, est là qui vous accueille à l’entrée. Laetitia, la fille de Marc est à la réception. Ce dernier surgit des cuisines, la toque vissée sur le chef, l’air vaguement inquiet. Le restaurant est complet ce samedi midi. On nous a réservé une salle superbe au fond du restaurant. Décor sobrement rustique, pierre et bois (astucieuse la porte en caillebotis), sapins de Noël stylisés, cheminée imposante et stères d’épicéas alignés au cordeau.
Jean-Pierre Haeberlin, toujours la même passion.
Démarrage en côte avec Lucien Tendret
On débute avec un incisif et aérien Cristal de Roederer 1990 en magnum. Tout est réuni pour que la fête soit belle, totale. Seul en effet, dans cette vie ou dans une autre, importe ce qui ne s’oublie pas.
Au dehors, sur l’Ill, le rythme semble pourtant s’être accéléré. Des kayakistes filent sur les ondes à peine irisées. Ils s’en vont rejoindre leur destin. « Tiens, des banquiers suisses qui prennent la fuite ! » déclare le facétieux LPV. Ah, vraiment très drôle !
Serge Dubs nous fait déguster à l’aveugle un rouge puissant et épicé, visiblement un sudiste qui apporte sa note ensoleillée dans la brume hivernale. Il s’agit du Planassos 2005 élaboré par l’ami Fredy Torrès, fidèle lecteur de ce blog.
Fredy, vise un peu l'aréopage de célébrités qui se sont penchées sur ton vin !
La première mise en bouche place la barre très haut : un Gâteau de foies de pigeon façon Lucien Tendret, puissant, immémorial, roboratif ; juste nacré d’une gelée de pigeon. Concentration de sucs. Une variante du célèbre Gâteau de foies blonds qu’affectionnait particulièrement Alain Chapel.
Très vite, on délaissa le Meursault Les Tessons 2000 de Roulot qui nous fut servi avec le Tartare de Bar à l’échalote confite (un peu mièvre dans son assaisonnement), trop subtil sans doute pour affronter la quenelle de caviar.
Très vite, on délaissa le Meursault Les Tessons 2000 de Roulot qui nous fut servi avec le Tartare de Bar à l’échalote confite (un peu mièvre dans son assaisonnement), trop subtil sans doute pour affronter la quenelle de caviar.
Chauffe Marcel…
Un grand classique, c’est toujours émouvant. La Mousseline de grenouilles Paul Haeberlin fait partie du répertoire intangible de l’Auberge de l’Ill. Le plat a été créé il y a exactement quarante et un ans, précédant de peu la troisième étoile. On ne touche pas à un tel monument. On peut imaginer que celui-ci est, aujourd’hui encore, pur anadyomène, tel que le regretté Paul Haeberlin l’a rêvé et réalisé la première fois. Difficile pourtant de revisiter jour après jour les classiques sans tomber dans une forme de routine. Même accompagné par un cristallin Riesling Frédéric Emile 2001, mûr et tranchant à la fois, un soupçon d’ennui a flotté sur le pèlerinage. Question de textures sans doute, un peu amollies. Celle des cuisses de grenouilles, celle de la mousseline de brochet. Et la crème, généreuse, irrésistible, entêtante, qui parachève le tableau.
Changement radical de décor – versus modernité et fusion – avec le Ragoût de Homard aux Agrumes, Curry doux et Orge perlé, joliment envoyé et dosé avec un art accompli. Le feu, léger, du curry danse dans les yeux des convives, adouci par le lait de coco et l’omniprésente crème. Sur ce plat, Serge Dubs a sorti sa botte secrète, un Gewurtraminer 1986 Cuvée Marcel de Preiss-Henny, un vin accompli et byzantin, qui fait monter le rose et les épices aux joues des dames.
Un petit pan de bonheur matérialisé.
Avec le plat suivant, on entre à nouveau dans le registre de l'émotion vraie, celle née d’une forme d’assomption du grand classicisme, la Côtelette de pigeon aux choux et aux truffes ! Un pigeon (de Miéral) farci de foie d’oie, truffé avec allégresse, bardé de choux ; en deux cuissons pour ne pas dessécher le suprême : quand, ça vous arrive sur table, c’est comme si le bonheur s’était tout à coup matérialisé devant vous et, le savourant, vous incorporez un peu de ce bonheur, parcelle par parcelle.
Avec le plat suivant, on entre à nouveau dans le registre de l'émotion vraie, celle née d’une forme d’assomption du grand classicisme, la Côtelette de pigeon aux choux et aux truffes ! Un pigeon (de Miéral) farci de foie d’oie, truffé avec allégresse, bardé de choux ; en deux cuissons pour ne pas dessécher le suprême : quand, ça vous arrive sur table, c’est comme si le bonheur s’était tout à coup matérialisé devant vous et, le savourant, vous incorporez un peu de ce bonheur, parcelle par parcelle.
Serge Dubs, sommelier exemplaire et Marie concentrée sur ce festival.
D’autant qu’un magnum de Haut-Brion 1964 déployait à proximité ses notes de fumée, de havane, d’épices et sa très belle texture, enveloppante, racée, mystérieuse.
L'expert Hidalgo Vialette et sa dulcinée.
Alors, à cet instant précis, nous fûmes quelques-uns à savoir, autour de cette table, que nous étions venus là pour ça, pour rencontrer ce petit pan de bonheur… A l’instar peut-être de Bergotte qui, chez Proust, voulait revoir un petit pan de mur jaune sur une toile de Ver Meer. Bon je ne vous raconte pas la suite (chez Proust), elle est trop triste…
Un dessert amusant et un Gewurztraminer 1998 SGN Quintessence de Léon Beyer et, pour moi, il est déjà temps de reprendre la route. Au vol, je prends cette photo de hangars, non loin de Illhaeusern. (Si quelqu’un peut me dire à quoi ils servent ?).
Tout à coup je fus, je crois, transporté sur la route de Madison, ce superbe et intuitif film du grand Clint Eastwood.
L'adresse Auberge de l'Ill, 2, rue de Collonges au Mont-d'Or
68970 ILLHAEUSERN
Tél : +33 (0)3 89 71 89 00 – Fax : +33 (0)3 89 71 82 83
e-mail: auberge-de-l-ill@auberge-de-l-ill.com
68970 ILLHAEUSERN
Tél : +33 (0)3 89 71 89 00 – Fax : +33 (0)3 89 71 82 83
e-mail: auberge-de-l-ill@auberge-de-l-ill.com
22 Comments
Les deux hangars : ils évoquent un peu les séchoirs à tabac par leur hauteur et leur étroitesse.
Mais ils auraient pu également servir pour le stockage de paille.
Laurent
"vue de Delft" Johannes Vermeer v 1661 le plus beau tableau du monde Selon Proust
Truly a great lunch… Wonderful to see such an "old" institution be so alive and bursting with life! Memorable tastes in magnificent settings. Will always remember that Saturday!
Jacques,
Est-ce que François Mauss a tenu ses promesses pantagruéliques?
Jacquounet : oui, ce sont des séchoirs à tabac.
Monsieur Grisard : il est des questions qu’on ne pose que la nuit tombée, quand les enfants sont couchés. Vous l’avez fait à juste raison ! Que la vie vous soit douce !
Le Président s’est parfaitement tenu, droit dans ses bottes, nickel-chrome, à côté du Grand Jacques qui le surveillait comme le lait sur le feu.
Comme on peut l’imaginer à lire le Grand Jacques, un soupçon de crème dans un plat, et le voilà reparti dans les affres des recettes à l’Escoffier, époque bénie où il n’aurait jamais pu imaginer passer en 5 sup dans la Walker alors que le Brévent eut été probablement son nirvana.
IL a tenu et je peux le certifier : il a fini toutes ses assiettes. Il fut grand, majestueux, olympien.
Apres minuit, naturellement, voila le blaireau
http://www.youtube.com/watch?v=U...
Monsieur Perrin honoré du titre Grand Jacques parait un peu protestant calviniste "selon le commentaire de Monsieur Mauss". Pour un homme de souche valaisanne, je n’y crois pas!
Pour info, en escalade, il y a le rapport poids/puissance à surveiller…
Bravo pour ces photos superbes! salivantes, tant envers les plats qu’à l’égard de la jolie jeune femme(on dirait agecanonix et falbala…)à côté de JP Haeberlin
ça fait envie!!
bertrand
Un pont trop loin: les séchoirs n’ont pas séché que le tabac, même notre inspecteur Jack a cru que le bois suffisait pour confondre la route de l’Illhaeusern avec celle de Madison, manque quand même l’émouvante beauté de Meryll Strip sous la lumière du sud.
"manque quand même l’émouvante beauté de Meryll Strip sous la lumière du sud."
… Et le doute cornélien d’une épouse légitime, qu’elle interpréta avec brio devant la caméra du vieux Clint (et à ses côtés) !
Merci Mr Perrin, ce petit reportage à l’intérieur même du bonheur me fait naître un sourire enfantin, il nourrit mon âme de gourmand et mes souvenirs de chanceux.
Chanceux de pouvoir, depuis quelques temps, côtoyer d’un peu plus près cette famille de "conjugueurs" des plaisirs, simple famille, simplement Impressionnante.
Chanceux, encore plus, d’avoir au plus profond de moi tous mes souvenirs de grands moments partagés avec ma famille dans ce lieu crée, il semblerait, pour arracher à la morosité quelques moments de délices.
Quand je pense que Môssieur Mauss m’admonestait hier sur ma masculinisation intempestive du Clos Ste-Hune.
Ici Meryll Strip sonne un peu en lapsus inconvenant… (que Meryl Streep nous pardonne).
Bon, il est temps de remettre les hangars à tabac au milieu du village. Effectivement, ça y ressemble et Jean Nouvel s’en est visiblement inspiré pour le St-James à Bordeaux.
Oui, le président Mauss a été au-delà de tout qualificatif, droit dans ses bottes (qu’on rêve de lui voir chausser un jour).
Oui, Franzle s’est tenu comme à la maison : ah ces souvenirs du temps où il officiait à l’Auberge comme maître d’hôtel. Et tous ces coeurs qu’il traînait derrière lui.
Oui, il n’y avait, selon le cliché pléonastique, que des épouses légitimes. Même Falbala est déjà prise (LPV veille au grain).
Non, je ne suis pas calviniste, ni de naissance, ni de coeur, ni de raison.
Et puis cette précision pour FM : il y a actuellement dans la Brévent des voies plus dures que la Walker aux Grandes Jo’, techniquement s’entend.
Et puis, il y a Meryl Streep, bien sûr, et ça, ça mérite un autre chapitre.
C’est corrigé Laurent. Drôle de lapsus linguae en effet. Nous rêvions peut-être de ce prodige : voir Meryl se dénuder, nouvelle Vénus d’Ill, sur la route de… comment c’était déjà ?
Bon, voilà une nouvelle corde au violon de Laurentg.
Non seulement on peut croire qu’il s’agit d’un ordinateur dont le disque dur garde en réserve des milliers de notes de dégustations qu’il éjecte à la demande, mais voilà que maintenant il ajoute un vademecum sur le septième art !
Mais que fait la police ?
Existe t’il ou est-ce un songe ?
Non seulement j’admonestais, mais je morigénais !
François,
A propos de violon, je suis un cancre musical …
1000 vins par an, 20 ans, 20 000 vins retrouvés grâce au système d’exploitation de mon computer : un jeu d’enfant et une mémoire vive, pour le coup.
Pour compenser une mémoire précaire …
A mutant, mutant et demi … (quand dormez-vous ?)
"Drôle ce lapsus, c’est vite dit, cela me semble normal (si la norme existe)!"
(p/o Dr Freud)
En passant entre ces subtils divagations et tout fanatisme mise à part (enfin j’essaie tout du moins)…
Ce menu a l’air vraiment fabuleux, remarquable d’équilibre entre plat de mémoire et futur plat mythique, le ragoût de homard est de ces plats qui seront sans doute à la carte encore dans pas mal d’années.
Sans omettre les allers-retours entre la puissance des saveurs et la subtilité de certaines associations. Le tout se finissant avec le dessert, cette simplicité automnale qui ressemble à une vue de l’évidence.
Et que dire du choix des vins et des accords sinon que je vendrais bien mon âme à qui la veut bien, pour pouvoir un jour tenter un tel enchaînement d’enchantement.
Sinon pour confirmer les dires de Mr Mauss, et légender la dernière photo, il s’agit bien d’anciens séchoirs à tabac, en bordure de route qui mène à Illhaeusern, les mêmes qui ont servi de modèle à l’édification de l’Hôtel des Berges, la halte de haut rang de la famille Haeberlin, aux bords de l’Ill et au bout de la pelouse de l’Auberge (comme on dit chez nous).
Hôtel qui a sans doute, à mon avis, un des rapports Classe/Tarifs/Bien-être des plus intéressants de France.
Un épicurien…
qui rêve devant cet article
François,
Laurentg existe, et je le prouverai vendredi matin. Il n’a rien d’un robot spammeur.
Laurent
Lapsus linguae ou calami (dit Jane)?
Continuons à rêver mais n’est pas pas une image d’Epinal, la lumière d’étoiles en voie de disparition ? Demain, est-ce que telles maisons pourront continuer à exister et à se faufiler à travers les lois inexorables des buisiness modèles ?
Lapsus toccati ?
Lapsus claviaturae ?