Ce parcours ressemble à un voyage. On a préparé les cartes, repéré les itinéraires, choisi les étapes, programmé le gps ou, au contraire, choisi de partir à l’mproviste, sans préjugé, ni grille de lecture préformatée. C’est ce que j’essaie de faire… Sûr que c’est le meilleur moyen pour garder un regard neuf, voire se laisser surprendre. J’ai déjà évoqué ces « lectures » convenues d’un millésime, en fonction de l’idée préalable que l’on s’en fait. Il y entre souvent une grande part d’irrationnel car, d’une année à l’autre, en fonction des attentes, de l’état de l’économie mondiale, que sais-je d’autre ? le curseur du dégustateur manichéen oscille entre la dépression et l’euphorie.
Château Coutet © Armand Borlant
Alors, est-il vraiment exceptionnel, ce 2009 ? Voici un début de réponse qui sera affiné ces prochaines semaines (notamment dans ma revue Vinifera) : 2009 est un millésime placé sous le signe de l’exception. Il comporte en effet un certain nombre de vins qui feront date dans l’histoire de la propriété et des vins de Bordeaux, aux premiers rangs desquels certains liquoreux ; beaucoup de très bons vins ; mais également un nombre tout aussi important de vins de moyenne complexion, assez séducteur certes mais qui manquent parfois singulièrement d’énergie.
Le millésime 2009 à Latour, vu par Frédéric Engerer.
Il y a du génie, oui, dans certains vins du millésime, (tel le Latour qu'évoque F. Engerer dans la video ci-dessus) celui qui s’exprime dans la rencontre entre un terroir et une vision esthétique, voire artistique, des vins très émouvants, comme j’en ai rarement (jamais ?) dégustés. En même temps, force est de constater une certaine hétérogénéité dans la production. Une chose est certaine, 2009 est un millésime singulier, qui ne ressemble qu’à lui-même ou alors, comme le notent certains observateurs, il faudrait pouvoir interroger la mémoire de nos aïeux. D’autres comparent 2009 à 1982. Jean-Claude Berrouet, qui connaît bien les deux millésimes (et beaucoup d’autres) insiste plutôt sur ce qui les sépare : »1982, c’est l’année du bonheur climatique alors que, dit-il, 2009, c’est le millésime des alternances climatiques.
C’est dire que 2009 est plus compliqué qu’il n’y paraît…
C’est dire que 2009 est plus compliqué qu’il n’y paraît…
Et puisque j’ai décidé de placer chacune de ces chroniques Primeurs sous l’égide d’une chanson, celle du jour sera The Alabama Song (en souvenir d’une soirée très conviviale à Rausan-Gassies). Ecrite par Bertold Brecht en 1927, elle a été mise en musique par Kurt Weill. Pour l’écouter, je vous conseille la version inoubliable des Doors, pour la voix de Jim Morrison et pour la légère modification introduite dans un des couplets : Oh don’t ask why !
La suite à très bientôt !
20 Comments
1982 en rive droite ?
2009 en rive gauche ?
2009 vs 2005, à cause des divergences climatiques.
Les 2009 se goûtent bien avec cette météo perturbée ?
On sent le mec qui vit dans ses vignes…
Quelle passion, quelle évidence…
Ca donne vraiment envie…
Grand Jacques :
Essaie de nous dire, quand tu feras ton rapport, quels sont les vins dégustés à l’aveugle et les autres.
Je suis certain que tu es capable de faire un beau papier sur l’extrême difficulté d’un grand dégustateur comme toi de dire à quel point il est ou il n’est pas difficile de commenter un cru célébrissime dont on sait le nom avant même d’y tremper ses lèvres. C’est un sujet qui me touche énormément.
Un grand Bonjour à Papy Gautreau !
Jacques,
Aimant lire entre les lignes, dois-je déceler l’écume de quelques incunables pépites au coeur d’un océan sur-médiatisé de vins sans relief aucun, mous du milieu, à l’image du même millésime en Bourgogne ?
Bonne question François.
Mais au delà de aveugle/pas aveugle, le problème est aussi celui du cru dégusté seul, au château, dans une ambiance feutrée et l’autre, dégusté AU MILIEU DE SES CONCURRENTS, dans une série de 50 ou de 100.
Bon, de toute façon, pour les premiers, on les achète parce que c’est des premiers, pas parce que c’est les meilleurs. Il faut juste que ça soit bon.
Donc, c’est un faux problème, hein…
Et ce Petrus 95, Hervé, dans quelles conditions l’as-tu goûté ?
Et ce Valandraud 2009 ?
J’y ai trouvé moi un vin bien en place, très mûr, très merlot, cohérent, encore très jeune.
:-))))
François,
Souvenir des 2005 en primeur :
Petrus, Lafleur, Cheval, Lafite, Margaux, Haut-Brion et Mission Haut-Brion se buvaient avec délectation, sur le fruit, avec une matière longue et soyeuse.
Idem pour Trotanoy, Hosanna, La Conseillante, Magdeleine, l’Evangile
Latour plus organique, plus austère.
Ausone vraiment acariâtre (servi froid et il venait d’être soutiré).
Il fallait vraiment bcp d’expérience je crois pour le décrypter (je n’ai pas cette expérience).
Quoiqu’il en soit, plusieurs dégustations successives dans les années qui viennent seront nécessaires, y compris pour les pros les plus endurcis.
Tout juste Hervé, tout juste : et cela me redonne une furieuse envie de refaire une session, comme la toute première du GJE (83/85/90)où un Sociando a bien battu des premiers.
Et c’était en 1996, donc on ne pouvait nous reprocher d’avoir pris des vins "pas mûrs".
Mais, comme me le répète Michel Bettane à chaque fois : dès qu’on trempe ses lèvres dans un 1er, on donne d’avance 50 points pour le nom, l’histoire, le prix et le besoin de ne pas paraître idiot.
Ceci dit, Haut-Brion 2009 : mamma mia !!
Un autre point important qui est en train de susciter bien des discussions sur le forum Parker : oui ou non, peut-on identifier plus facilement que d’habitude, que ce soit en rive droite ou gauche, des vins toujours dans la puissance classique si chère à Bob et d’autres qui ont opté, vu les circonstances et un souci de ne pas trop extraire, pour une finesse et une élégance que permettrait ce millésime ?
Ton opinion là-dessus sera consciencieusement étudiée, crois moi.
Un choc pour nous ce soir : Margaux Bel Air marquis d’Aligre avec en finale de somptueux 1970, 19961, 1959, 1947 (19/20).
Retrouvé l’analyse de mon ami David Rayer chez Grains Nobles (sur une verticale comparable).
Et Bama pas présenté la semaine dernière ?!
Jean-Pierre Boyer (BAMA) est un personnage exceptionnel. Il ne présente jamais ses vins jeunes. Il faut le connaître et se déplacer chez lui, et encore vous ne pourrez sans doute pas déguster de vin si jeune.
Il vient "tout juste" de mettre en bouteille et de commercialiser 2001, 2003 et 2004 (trois autres merveilles) et dispose encore de nombreux anciens millésimes. Ses vins s’expriment dans le temps et savent garder une fraîcheur incomparable.
Cela reste pour moi un vrai trésor à Bordeaux, ce que j’aime boire régulièrement (le 1947 s’est nouveau montré impérial le week-end dernier).
PS: le premier commentaire d’Hervé Bizeul m’a vraiment fait marré. It makes my day, comme disent les anglopohones :-).
Cher Laurent,
Boire un vin, le trouver bon et le commenter, seul ou accompagné, est une chose.
Le marathon des primeurs, dont les journalistes sortent avec les dents noires comme de l’encre de sèche et les lèvres gercées en est une autre.
Quand à Valandraud 2009, il est toujours servi au milieu d’une cinquantaine d’autres vins, fait ou conseillés ou pas par JLT, jamais en privée, dans la salle à manger du proprio. 1000 personnes peuvent en témoigner. C’est sans doute moins bien pour lui mais plus honnête pour le consommateur.
Pour François, tout le monde a vu Vieux Château Certan, non ? :-)) Quand à la concentration excessive, elle a été à mon avis cette année ressentie par beaucoup comme une erreur, surtout sur des raisins trop murs ou pas assez. Enfin, au regard de ce que j’ai pu en entendre…
Hervé,
J’ai effectivement goûté Valandraud 2009 dans ces conditions.
Aveugle, pas aveugle ? Et les borgnes, alors ? Bon, ne soyons pas trop angéliques. Il n’y a pas d’un côté une dégustation (à l’aveugle) qui serait juste, totalement impartiale et, de l’autre, une dégustation biaisée, conditionnée, induite par le prestige, le rang, le tapis rouge, les lambris et tout le toutim… Idéalement, pour ceux qui réussissent à vivre jusqu’au bout dans un monde idéal, il faudrait croiser les deux regards, à l’aveugle, pas à l’aveugle. Evidemment, ce n’est pas possible avec un certain nombre de propriétés, à commencer par les premiers, une partie des super seconds et tous ceux, qui pour une raison ou une autre, pensent qu’ils font partie du gotha. Dans ce cas, on ne pourra comparer que des perceptions successives, décalées et non pas simultanées. Et puis, et puis, aveugle ou pas aveugle, n’oublions pas tout le reste : la variabilité des échantillons (mardi matin à Cheval Blanc, les sensations tactiles des échantillons présentés aux différentes tables étaient sensiblement différentes : vendredi matin, à Haut Bailly, deux échantillons sur trois de la propriété étaient complètement en retrait), et la variabilité possible du dégustateur. Je reviendrai sur ces points prochainement.
David, j’ai donné l’adresse de Bel-Air Marquis d’Aligre à deux établissements : Lard et Cochon à St-Emilion et Verretigo à Bordeaux ! Merci de rappeler à quel point les vins de J.P. Boyer peuvent être émouvants.
Merci grand Jacques de ces subtilités qui ne peuvent qu’être intégrées inconsciemment ou non dans les commentaires des uns et des autres.
Ainsi, je suis surpris d’entendre, de la part de grands dégustateurs, l’un qui me complimente Mouton et nettement moins bien lafite, alors qu’un autre dit exactement le contraire.
Idem pour Figeac où j’ai entendu noir et blanc.
Comme chaque année depuis 1982, on attendra donc le point de vue du Gourou pour savoir si on est en phase ou en antiphase.
Pas sûr que les premiers aient un grand avenir devant eux 🙂
Et oui Sieur Mauss,
Et comme le disait Pierre Dac,ils ont leur avenir devant eux,et ils l’auront dans le dos chaque fois qu’ils feront demi-tour!
Je constate entre le discours François MITJAVILLE et celui de M. ENGERER des différences symptomatiques et donc une lecture du millésime très différente qui signe à mon sens l’existence d’une forte hétérogénité entre les appelatlions. Autre élément contradictoire la rive gauche a dans son ensemble construit des vins sur la base d’une très grande proportion de Cabernet (90% à Calon Ségur par exemple). Les merlot ayant été jugés trop mûrs. Comment dés lors affrimer que les vins de la rive droit sont aussi magnifiques et frais qu’on !?. Ce qui est vrai pour les uns devraient l’être pour les autres, non!.
Lorsque l’on me parle d’une plus grande fraîcheur en 2009 je reste de fait dubitatif. ENGERER parle de blocage de maturité dans les secteurs faibles en argile. De plus, il semble qu’il y ait des amertumes dans un grand nombre de vins ce qui corroborerait l’idée de blocage des maturités. Alors au final 2009 peut-il être si grand qu’on le dit? A la lecture des premiers commentaires auxquels j’ai eu accès j’ai tout de même l’impression qu’on nous grossi encore le trait mais ce n’est qu’une impression.
Bien vu "Chassertin" ! C’est ce que j’explique dans mon post. Tout n’est pas transcendant mais les vins d’exception – et il y en a un certain nombre – le sont vraiment. Malgré l’opulence et la richesse des merlots – et c’est là que certains terroirs ont fait la différence – sans parler de l’apport des cabernets francs – on trouve effectivement des notions de fraîcheur (relative) en rive droite. Une fois de plus, attention aux simplifications et aux grandes généralisations : comme le soulignait Michel Bettane lors d’une soirée, les choix "esthétiques" au niveau des assemblages sont essentiels dans un tel millésime. Ainsi, les équilibres sont parfois "sur le fil" mais quand ils sont là, certains de ces vins sont géniaux. Et le fait qu’il y ait plusieurs "lectures" d’un même millésime me paraît normal tant les paramètres, non seulement d’une rive à l’autre, mais aussi d’une propriété à l’autre, peuvent être différents. Et puis, c’est bien connu : chacun voit midi au clocher de sa paroisse… ça fait quelques siècles que ça dure !
Merci pour votre réponse. Donc pour résumer du "Sublime" par endroit avec de l’émotion et de la magie. Mais aussi du beaucoup moins bon. Un millésime de terroirs et de vigneron pour le choix ce qui signifie qu’il est urgent d’attendre avant d’acheter attirer par le champ de sirènes.
Bien à vous
YES !!!