Ceux qui sont proches des sources et de la terre scrutent le ciel avec attention. Avril, mai et juin bouleversent tous les repères. Le calendrier est en avance, très en avance. La floraison est pliée entre le 10 et le 20 mai. Sans doute la plus précoce de l’histoire. Les 26 et 27 juin, l’alerte est sonnée : canicule et stress hydrique ! A Lacanau, le lac entre en ébullition, presque. Peu protégées à ce stade, des grappes exposées à l’ouest sont littéralement grillées. Raisin échaudé craint la suite…
Château Lafite-Rothschild, un jour de ciel maussade.
Changement radical de scénario avec un été qui n’incite guère à partir en vacances. Les ondées de juillet permettent toutefois de débloquer les maturités. Une pluviométrie marquée (80 mm) en août incite quelque peu au pessimisme. Et comme on juge souvent de la qualité d’un millésime au temps qu’il fait durant la transhumance estivale, chacun pense déjà que 2011 est né sous une très mauvaise étoile. Ajoutons-y la grêle – qui s’était déjà manifestée dans le Sauternais le 25 avril – et qui remet ça le 1er septembre, touchant une partie du vignoble de St-Estèphe (secteur de Cos).
Dégustation chez Ulysse Cazabonne.
Heureusement, survient ce petit miracle. L’été revient au galop. Il n’a pas dit son dernier mot. L’automne sera flamboyant. Dès le 10 septembre, le beau temps et les nuits fraîches s’installent. La menace du botrytis est neutralisée. Les vendanges des blancs secs sont terminées. Celles des liquoreux ont débuté sous des auspices très favorables avec un botrytris rapide et homogène, d’une pureté d’anthologie. Pour les rouges, c’est plus compliqué. Les baies sont petites, les peaux épaisses. Plus que jamais, la maturité des tanins est importante et fixer la saveur.
Que faire ? Attendre ? Vendanger ? On goûte le raisin. Non sans hésiter concernant le choix de la bonne date :«Il était difficile en 2011, note le propriétaire d’un cru fameux de Pomerol, de prendre des décisions, tant les baies manquaient parfois d’éclat aromatique. » La maturité est parfois hétérogène, y compris sur une même grappe. Tri manuel (déjà mis en œuvre après une véraison irrégulière), tri visionique, tri densimétrique. La technique a de beaux jours devant elle ! Viticulture de riches ? « Dans la viticulture bordelaise il faut absolument que les prix montent, car la plupart des petites propriétés ne couvrent pas leurs frais ! » reconnaît ce propriétaire d’un château mythique de St-Emilion. Et lui, a-t-il eu besoin de cette sophistication ? « Oui, cette année, nous avons utilisé le tri densimétrique. » Gain qualitatif, facteur de banalisation ou tout simplement besoin de se rassurer ?
Dégustation à Phélan-Ségur.
Technique ou pas, une seule certitude aujourd’hui : 2011 est un millésime hétérogène, difficile à déguster à ce stade de son évolution. Michel Bettane l’a déjà souligné sur le site my Bettane + Desseauve. "Certains échantillons sont parfaitement énigmatiques et je suis ébloui par la sûreté de jugement de certains de mes confrères quand beaucoup de producteurs se perdent en conjectures." Beaucoup de vins se ressemblent. Structure longiligne, parfois effilée, profil aromatique discret et linéaire, avec toutefois – il faut le souligner – très peu de notes végétales. Un journaliste, excellent dégustateur, s’est adressé à moi: »Est-ce que c’est moi qui ai un problème ? Ce matin, j’ai l’impression que beaucoup de vins se ressemblent. » Il y a des jours comme ça !
On peut jubiler aussi, tel ce viticulteur, parlant de nouvelles « îles de bonheur » à propos du 2011. Visiblement, la tension et le style des meilleurs vins – dont le sien fait partie – le ravissent. Moins d’alcool qu’en 2010. Des tanins sérieux, des structures élancées, dynamiques : sapidité ! On dirait que vous n’avez que ce mot à la bouche !
Cela dit, une fois encore, on retiendra la leçon des terroirs, particulièrement probante dans un millésime comme 2011. Les sols à texture argileuse et les argilo-calcaire ont incontestablement été favorisés dans ce millésime. Quelques vins accèdent ainsi à la dimension de la vraie complexité et offrent un génie particulier. Un cortège de très bons vins, purs, droits, fuselés, dans un style qui rappelle un peu les 2008. Et, finalement, des vins plus simples, qui manquent de cœur de bouche et de vinosité. Mais sans caractère végétal marqué.
Quel prix ?
Je publierai prochainement ici une synthèse de « mes » meilleurs vins du millésime. Pour l’heure, les premiers vins sont sortis en Primeurs. Indépendamment de la qualité du millésime – qui n’a rien d’exceptionnel mais oscille entre le bon et le très bon – la vraie question concerne les prix.
Les grands Bordeaux redescendront-ils de leur empyrée ? Il le faudra. Sinon, il n’y a aura pas de marché.
Les premiers étaient sortis entre 500 et 650 euros la bouteille en première tranche pour le millésime 2010. Faut-il rappeler que les prix de sortie de ces mêmes premiers crus étaient à 110 euros la bouteille pour le millésime 2008 (que l’on peut rapprocher du 2011 au niveau qualitatif). On peut avoir une indication du prix juste des premiers crus en faisant la moyenne des prix de sortie des deux millésimes (2008 et 2010). On attendait la sortie de Mouton-Rothschild dans ce créneau de prix-là. Lafite l'a devancé. Sa sortie, aujourd'hui même, avec un prix certes à la baisse par rapport à l'an passé, mais insuffisamment à mon avis, donne malheureusement le ton d'une campagne de Primeurs qui s'annonce difficile.
Latour a choisi une autre stratégie : dès l'année prochaine, le vin de château Latour ne sera plus proposé en Primeur. Histoire de s'approprier toute la plus-value potentielle, notamment dans les millésimes les plus prisés ? En 2011, Latour est une des grandes réussites du millésime. Rêvons encore un peu…
Ô saisons, ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?
Quelle âme est sans défauts ?
Rimbaud
3 Comments
Merci, Grand Jacques, de ce rapport complet.
On dit ici et là que, pour les blancs, on a vraiment de belles choses : c’est aussi ton avis ?
Très belles réussites en blancs secs, François, sur des aromatiques très fraîches. Et liquoreux, bien sûr, ne sont pas en reste !
Merci, Jacques, pour ces infos de terrain.
Un Cheval-Blanc 1995 ce soir pour moi, en espérant des arômes et un tactile à la hauteur 🙂