Après quelques très grands millésimes – dont le tir presque groupé (2005, 2009 et 2010) avait mis certaines propriétés de Bordeaux en orbite – voici l’année exceptionnellement difficile. 2012, déjà, ne s’était pas présenté sous les auspices les plus favorables avec un printemps maussade et un été contrasté. En 2013, le scénario s’est répété. En pire. Pas de printemps ; une floraison hétérogène : toutes les conditions réunies pour commencer à éprouver de sérieux doutes. Aux caprices de la météo, il faut ajouter la grêle qui a dévasté plusieurs milliers d’hectares. Bref, rien n’aura été facile dans le millésime 2013 et la nature est venue rappeler l’homme à une certaine humilité. Leçon difficile pour l’empyrée des vins du monde, lequel avait presque fini par oublier certaines contingences ! Même si le mois de juillet (un des plus chauds des vingt dernières années) a sauvé le millésime, 2013 demeure toutefois un des millésimes les plus difficiles de ces trente dernières années : il rejoint, au classement des années calamiteuses, 1992 et autre 1984. A cette différence près : les moyens techniques aujourd’hui à disposition sont plus importants. Surtout, la viticulture est plus affûtée qu’elle ne l’était il y a une vingtaine d’années. Sans parler des moyens économiques à disposition : dans une année marquée par des vendanges hâtives, compliquées, nécessitant à la fois d’aller vite et de procéder à un important travail de nettoyage, ils auront permis de sauver le millésime sur le fil.
Les lignes qui précèdent sont un extrait de ma présentation des Bordeaux 2013 dans Vinifera. J’avais alors titré : »Sous le signe du miracle ». Il faut se méfier des prismes et des idées toutes faites. Oubliez tout ce que vous savez, fermez vos guides et ouvrez vos papilles : tel aurait pu être le préambule de cette récente dégustation de 2013 qui en a surpris plus d’un. Les vins que nous avons goûtés la semaine dernière ont conquis les dégustateurs par leur fraîcheur, leur équilibre et leur sapidité et constituent à ce titre de très jolies réussites dans un millésime controversé. Certains offrent même un rapport qualité/plaisir tout à fait étonnant.
Château Haut-Carles 2013, Fronsac
Boisé fin, floral, petits fruits. Framboise. Attaque fraîche, vif, ensemble équilibré, pas une grande amplitude, mais c’est équilibré, dynamique, avec un joli tanin juteux et une finale encore un peu resserrée.
Château Mazeyres 2013, Pomerol
Un peu d’évolution sur la robe. Très joli nez. Fin, floral. Très ouvert, avec un peu d’évolution. Bouche à l’attaque pulpeuse, ronde, souple, tanin juteux. C’est un joli vin qui se fera assez vite et qui sera à son apogée d’ici 3 à 5 ans.
Château Labégorce 2013, Margaux
Belle robe. Nez fruité, cassis, mûre. Bois bien intégré. Il s’est bien ouvert en quelques heures. Bouche souple, équilibrée. Développement restreint, mais ça reste savoureux. Tanin ferme, savoureux et texture souple et charnue. Excellent rapport qualité/prix !
Château Sociando-Mallet 2013, Haut Médoc
Léger menthol qui lui confère un certain chic. Coulis de fruits rouges. C’est frais, précis et fin. Très jolie bouche, élancée. Trame millimétrique au caractère digeste. Un Sociando avec certes un peu moins d’énergie que d’habitude, mais les tanins sont sveltes et racés et on se fera plaisir sur une évolution de 5 à 8 ans.
Château Léoville-Poyferré 2013, Saint-Julien
Nez sur les épices, torréfaction, fruits rouges, crémeux, chatoyant. Ensemble assez ferme, sans doute un supplément de texture par rapport aux vins qui le précèdent. Jolie finale avec de la profondeur.
Vieux Château Certan 2013, Pomerol
On découvre ici une grande noblesse d’expression, violette, truffe discrète. Epices. Entrée en bouche richement texturée. Trame ultra fine. Peu de cf (8 %) cette année dans l’assemblage. Il déroule suavement, bonne présence finale avec une dimension de complexité.
Château Pavie-Macquin 2013, Saint-Emilion
Nez fruité et balsamique, encore un peu sur la retenue. Au palais, il révèle un corps étonnant, plein, mûr, généreux, avec une belle sève et un tanin surfin. Beaucoup de montant sur ce vin. Bravo !
Château Les Carmes Haut-Brion, Pessac
Belle robe intense, jeune. Le nez est un peu sur la réserve. Notes lactiques. Fumé. Réglisse. Baies. Corps svelte, dynamique et épicé, d’une construction précise, avec une trame continue et une très belle montée en bouche et une finale de grand caractère sur les fruits noirs, les épices, l’encens. Le toucher de bouche est unique. Encore une belle bouteille.
Château Brane Cantenac 2013, Margaux
Le nez est relativement discret à ce stade. Epices, santal. Le corps offre une belle densité avec une assise savoureuse. Très beau tanin, bien découpé, juteux et finale assez intense, une des plus persistantes.
Château Calon-Ségur 2013, Saint-Estèphe
Il est épicé, floral au nez. Corps dense, assez serré, belle trame, et finale d’une très belle pureté d’expression. C’est un vin très précis, dense, très cabernet, avec un côté mentholé, frais, sur la finale qui ravive sa fraîcheur. Comme pour Brane-Cantenac, très beau potentiel de garde qui, à l’aveugle, dans 6-7 ans, surprendra même les sagaces.
Château Margaux 2013, Margaux
Grande différence de couleurs entre les 2 robes des ces deux derniers vins, celle de Margaux est moins soutenue et plus évoluée. Nez très fin, d’intensité moyenne. Notes de pivoine. Corps superbe, subtil, avec un boisé présent mais magnifiquement intégré et qui « relance » le vin, trame très fine et agréable finale qui manque un peu d’envolée toutefois. Il y a de la grâce, de la finesse, dans ce vin.
Château Mouton-Rothschild 2013, Pauillac
Nez boisé, épices, plus de volume en bouche que Margaux, belle texture, caractère extraverti, plus démonstratif et opulent que Margaux. Grande vinosité. Il témoigne d’une évidente richesse de constitution et d’un côté fastueux qui contraste singulièrement avec l’œuvre, très épurée, de l’artiste Lee Ufan choisi pour illustrer le Mouton 2013 !
Leave A Reply