Vendredi 31 mars, Une journée de printemps marquée par un véritable hapax gustatif
Que vont me réserver ces heures ? Nulle inquiétude ou interrogation dans cette question, mais une manière de poser le décor après la journée d’hier ponctuée de vins merveilleux. Le ciel est serein, sans impatience, sans accidents de lumière, dépouillé. Le ciel d’un Constable qui aurait suivi le conseil de Benjamin West, lequel lui enjoignait de peindre le ciel tel un « drap blanc placé derrière les objets. »
Mais trêve de perspectives picturales, c’est une grande journée de printemps qui s’avance. Pour moi, elle débute à Ausone avec les salutations de deux braques de Weimar au garde-à-vous devant le premier visiteur de la journée. Et ce joyau fuselé qu’est Ausone 2016, dynamique et lumineux, une véritable essence de terroir.
Un peu plus tard, à Cheval-Blanc, même lecture, mais le vin raconte une autre histoire, tout aussi passionnante. Pierre-Olivier Clouet, directeur technique, évoque le grand classicisme et, selon lui, 2016 résume à lui tout seul l’ADN du terroir de Cheval Blanc.
Tout cela devient de plus en plus excitant ! Je poursuis mon slashing gustatif, alignant durant le reste de la matinée Vieux Château Certan, l’Evangile et La Conseillante. Il est vrai que chacune des esquisses dégustées dans chacune de ces propriétés (il s’agit de vins en devenir et donc d’échantillons prélevés au fût), semble condenser avec une précision époustouflante, non seulement le style de la propriété, mais aussi son terroir. Un peu comme s’il s’agissait d’une forme de radiographie sensorielle, voire de pixellisation, de ce dernier.
A la fin de la journée, après un passage par l’Eglise-Clinet et par Lafleur (autre vin sidérant du millésime), j’ai acquis l’intime conviction que, pour la plupart des châteaux visités ces deux derniers jours, ce 2016 ne souffrira nulle comparaison avec d’autres parce qu’il est unique.
Rien ne semblait l’annoncer et il n’aura pas de réédition. Un millésime hapax.
J’emprunte à dessein ce mot au philosophe Jankélévitch qui l’a théorisé et qui a mis en exergue le caractère exceptionnel, unique et non reproductible de ce qu’il appelle l’hapax ou l’occasion vraie ! Au départ, ce terme désignait les mots ou les expressions que les traducteurs avaient de la peine à traduire avec précision parce que seule une occurrence de ce mot était répertoriée dans la littérature.
Il ne suffit pas de dire que la beauté est unique, il faut l’expliciter. A Lafleur, les réflexions de Baptiste Guinaudeau vont m’aider à préciser mon intuition : « C’est la première fois qu’on associe à une structure importante un tel éclat et une telle fraîcheur aromatique. Et pourtant, explique-t-il, on a mis du temps à se l’approprier. Ce millésime nous a mis face à des questions nouvelles et nous ne l’avons réellement compris, perçu dans sa grandeur, qu’après les malos. Aujourd’hui, ce sont des vins « fiers » et qui vont le rester. Nous sommes à l’opposé du 2015 où tu es dans la boule crémeuse, pâtissière. »
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