Chaque année, la présentation du millésime par François Mitjavile constitue pour moi un point fort de mes dégustations primeurs. On prend place dans le salon peuplé de livres, lumières, d’un chat furtif et de jouets d’enfant.
Avant de décrire le 2012, François revient sur le millésime 2011, sur le jeu du soleil et de la pluie :
« On ne peut pas éviter de revenir sur la sécheresse printanière de 2011, car c’est au printemps que la végétation bâtit son potentiel. Une partie du vignoble ne s’en est par relevée même après le printemps humide de 2012 qui n’a pas suffit à reconstituer des réserves.
Moi, j’étais très inquiet et je me disais si on a de la sécheresse, ça va être difficile. Heureusement, le printemps 2012 a été extraordinaire.
On a eu, après ce printemps humide, un été traumatisant parce que trop sec et trop chaud. On arrive vers la période des vendanges avec une vigne qui avait un peu de difficultés à mûrir, de petits raisins et voilà que, une semaine avant les vendanges, il pleut ; pendant les vendanges, il pleut ; après les vendanges, il pleut !
Le jeu était très simple, poursuit-il. Il fallait comprendre que la pluie a un effet attendrissant qui est extrêmement intéressant sur la structure des tanins. Comme la pluie peut très vite abîmer le fruit, il faut positionner la date des vendanges au millimètre près pour préserver la fraîcheur et la maturité du fruit.
Ça va être un des critères de jugement du millésime. Et ce sera difficile.
Après, évidemment, la pourriture a gagné très très vite. Quand il y a un très léger phénomène d’usure, ça enrichit le propos, ça peut être très joli. Mais les vins un peu claqués, usés, ne paraîtront pas dans les échantillons. »
On passe à la cave pour déguster, directement au fût, le Tertre Rotebœuf 2012 et, sur échantillon, le Roc de Cambes 2012. Mes notes de dégustation paraîtront dans Vinifera mais l’évidence est là ces deux vins sont, chacun par rapport à son appellation, un benchmark du millésime ! Certains dégustateurs anglais – dont le nom est souvent précédé par mw – sont connus pour leur sagacité et leur manière, presque japonaise, de masquer leurs émotions. Mark Savage et sa fille dégustent en notre compagnie. Ils sont peu diserts mais quelque chose dans leur regard me dit que la jubilation les titille !
On revoit au passage les 2011, après un an d’élevage. Tertre Roteboeuf 2011 confirme tout le bien qu’on pouvait en penser. « Et tu vois, quand on goûte un vin comme ça, après un an d’élevage, on croit à la civilisation ! » Et oui ! Quant au Roc de Cambes 2011, il m’a scotché net. J’avoue l’avoir un peu sous-évalué l’an passé lors de la dégustation primeur.
On poursuivra la conversation jusque tard dans la soirée avec un honorable Tertre Roteboeuf 1980, sapide et doté d’une capacité d’adaptation étonnante : les premières asperges ne l’ont pas effrayé. Et un Tertre Roteboeuf 2000 seigneurial, fringant et mystérieux. Comme nos conversations qui ont roulé sur le Karnataka, Grand Maître, le décevant dernier Jim Harrison dont je voulais faire mon livre de chevet durant cette semaine bordelaise, le scénariste Jean-Claude Carrière (une rencontre entre ce dernier et François Mitjavile fera prochainement l’objet d’un article dans Les Echos). Sans oublier le sublime Cheddar Montgomery de Niels Yard et spécialement affrété par Mark Savage. Quand on vous dit que les Anglais ont de très grands fromages !
Allez, avant de s'endormir, un petit coup de Jim Harrison. Juste pour le style. Non, vous ne rêvez pas !
« Il s’efforça de tenir son esprit à l’écart des problèmes brûlants et se concentra sur un article faxé par Mona où il était question de millions de gros papillons de nuit qui migraient du Nebraska vers le Wyoming et le Montana et voyageaient à une altitude de près de trois mille mètres avant de se poser. Les grizzlys arrivaient alors par dizaines et dévoraient chaque jour quarante-cinq kilos de ces papillons riches en protéines. Les yeux rivés sur l’énorme orage qui se déplaçaient de l’est vers le sud-ouest, il se demanda comment une telle chose était possible. Il s’agissait sans doute là d’un mystère qui méritait d’être davantage étudié que l’incompréhensible énigme des femmes battues. »
Jim Harrison, Grand Maître
2 Comments
Naître, se nourrir, se reproduire, mourir : ce ne peut être quand même l’idéal d’un créateur !
Doit y avoir autre chose !
Bien aimé les promesses oraculaires de Roc de Cambes et Tertre-Roteboeuf 2012 … (et les 2011 aussi, merci Jacques).
🙂
Accueil familial, très agréable, avec un jeune enfant arpentant le chai obscur.
Il y a quelques années, j’ai peu aimé Tertre-Roteboeuf 1990.
Une mauvaise bouteille ?
Une difficulté à le comprendre ?