En cuverie mardi 30 septembre avec Arnaud Mortet, j’ai vu rentrer les raisins du climat Au Vellé, le climat jugé le plus délicat en terme de maturité physiologique par Denis. « Je n’ai jamais vu de tels raisins en Vellé » m’expliqua Arnaud. Avec ce millésime difficile, les raisins, récoltés tardivement, étaient remarquables. Il est vrai qu’au Domaine Mortet, tout a été fait pour mettre la vigne en condition pour affronter un tel millésime. Aucun raisin ne se touchait. Dans certaines vignes, le travail est allé jusqu’à éviter que les feuilles ne touchent les raisins pour exclure tout risque de contamination ! Voilà un exemple de viticulture « haute couture » : la volonté de faire ce travail assortie de moyens financiers pour le faire. En effet cela nécessitait un ouvrier-vigneron par hectare dès le mois de mai !
Millésime compliqué donc que ce 2008, millésime à deux vitesses également. On tient un bon millésime chez les grands vignerons, ceux qui ont opté pour une viticulture « haute couture », avec les moyens humains nécessaires… et les prix qui vont avec. Millésime faible chez ceux qui sont toujours dans une viticulture facile, de type agro-alimentaire, qui compte sur l’œnologie et les buveurs d’étiquette.
Notons que les vignerons qui ont opté pour une viticulture de type biologique et biodynamique s’en sortent globalement bien, l’occasion de rappeler que ces méthodes exigent un grand travail d’observation et de suivi régulier dans les vignes. Résultats remarquables chez Jean-Louis Trapet et chez Bruno Clavelier les grands puristes d’une viticulture au plus près du respect de l’environnement. Pari réussi pour Arnaud Mortet qui a converti tout le domaine en viticulture biologique pour le millésime 2008 !
Il y aura sans doute un plus en Côte de Nuits pour les vignerons qui auront eu les nerfs solides pour ne pas commencer trop tôt les vendanges. Arnaud Mortet a démarré le 26 septembre, avec des degrés potentiels de 12, 5 à 13. Sylvain Pitiot au Clos de Tart le 2 octobre. C’était le bon choix, aucune précipitation notoire n’ayant eu lieu encore ce 2 octobre, date de ces lignes… Bien sûr on ne tient pas un millésime exceptionnel comme 2005, 2002 ou 1999. On tient un bon millésime chez les bons vignerons. Aubert de Villaine fait un rapprochement avec le millésime 1996, de belles acidités associées à une bonne structure."
Jacky Rigaux
31 Comments
"Notons que les vignerons qui ont opté pour une viticulture de type biologique et biodynamique s’en sortent globalement bien".
Vous qui revenez d’Allemagne, savez-vous si ce parallèle est également d’actualité outre-rhin ?
cordialement,
Laurent
Pour répondre à votre question Laurent, 2008, lorsque j’y étais la semaine dernière, se présentait comme un grand millésime potentiel. La viticulture biodynamique ou bio est très minoritaire dans la MSR, hormis des gens comme Clemens Busch à Pünderich. Presque un paradoxe si l’on songe à l’impact de la biodynamie en Alsace par exemple.
Laurent, il y a quelque chose qu’il faut vraiment intégrer en Moselle allemande, c’est la topographie. Travailler des sols d’ardoises et surtout les dynamiser, sans compter le nombre de passages que cela peut engendrer – notamment sur des années difficiles – pourrait vite s’avérer très compliqué à gérer. De plus de nombreux domaines possèdent d’importantes surfaces cultivées, d’autant plus difficiles à contrôler finement. A mon avis sur des exploitations de petite taille la "bio" en MSR peut être, et encore.
Pour la Bourgogne sur 2008, les infos fiables que j’ai eues de mon côté font état d’un millésime au potentiel alcoolique finalement assez élevé (par rapport à ce que l’on attendait, forte « accélération » ces 15 derniers jours), contrebalancé par des acidités tout aussi élevées. Maturation des raisins sur la fin par dessiccation des baies, comme cela est expliqué ici. Au delà des potentiels, la nature des peaux sera cette année encore une donnée très importante (impact de la maturation par effet "vent du Nord" + effet grêle à certains endroits) à prendre en compte pour les vinifications et les élevages.
Comme le dit J. Rigaux, les plus grands perfectionnistes de la culture du raisin produiront sans doute les plus beaux vins. Sur un millésime comme 2008, aucun mystère, il faut au moins avoir beaucoup travaillé, et avec précision, pour avoir des chances de « faire de la qualité ». Et ce jusqu’à la vendange et au tri de celle ci.
Nicolas, je me suis déjà rendu en MSR à deux reprises. La topographie des lieux m’est familière. J’y ai vu les hélicos à l’oeuvre.
Je posais la question, car après tout, pourquoi pas ?
La "conscience écologique" en Allemagne est davantage développée qu’en France (la notion de développement durable très utilisée depuis 18 mois, est malgré tout très récente dans l’hexagone).
Donc, malgré la difficulté de la tâche, de son coût, elle (la viticulture bio) pourrait être aussi là-bas dans l’air du temps, tout comme elle a réussi à le faire ailleurs (Coulée de Serrant, Hermitage de chez Chapoutier). Avec d’autres climats, j’en conviens.
Un grand terroir mérite d’être respecté, tout simplement.
Qu’il soit pentu comme le Graacher Himmelreich, le Schwarzhofberg ou plat tel un champ de tulipes ou …
Je suis d’accord sur le fait qu’il s’agit indéniablement aussi d’une question de dynamique de groupe.
cordialement,
Laurent
Nicolas, merci de rappeler ce point. La plupart des traitements dans la MSR sont faits par hélicoptère (de par la difficulté d’accès liée aux pentes extrêmement raides, de 60 à 70 % parfois). Travailler en biodynamie ou en bio, au milieu de ce damier, vu la taille des parcelles, relève presque du non-sens car l’hélicoptère ne fait pas la différence, lui… Cela dit, on peut imaginer que, sur certains crus, quelques producteurs se mettent d’accord pour travailler de concert dans une optique différente. Pourquoi pas dans le Scharzhofberger, par exemple.
Tu noteras que chez Chapoutier c’est réalisé sur un nombre de cuvées limité, sur des petites parcelles, et sous un climat assez différent de celui de la MSR. On est alors dans le domaine de la micro-viticulture avec des moyens assez importants. Et les "Parcellaires" se vendent très cher !
Chez Joly, même pentu, le vignoble est infiniment plus carrossable que les abîmes de l’Urziger Wurzgarten par exemple. Et moins morcelé, sur la Coulée ! M. Perrin a bien raison de souligner ce point.
D’autre part, j’ajoute – pour ne parler que de biodynamie – que les dynamisations sont d’autant plus efficaces qu’elle sont dispensées avec précision, proches de la plante et des sols.
De ce point de vue, un hélicoptère survolant des pentes vertigineuses soumises aux courants venteux n’est pas ce que l’on a fait de mieux en terme d’efficacité pour des traitements biodynamiques.
Un tracteur ultra léger comme l’utilise Thibault Liger Belair en Bourgogne serait bien plus efficace, sauf qu’à 60% de déclivité, je me garderais bien de monter dedans. Et surtout les vignes font plus de 2 mètres de haut !
Est-ce que parmi les dégustateurs d’expérience qui participent à ce blog, quelqu’un peut-il me signifier si la viticulture biologique ou biodynamique produit des résultats clairement mesurables sur les qualités organoleptiques des vins produits ? Merci d’avance de vos réponses.
Je n’y connais rien, mais cela me semble une question piège: comment quantifier (puisque de mesurer, il s’agit) une ou des qualité(s) et de plus organoleptique?
La question n’est pas un piège. Il serait intéressant de comparer des vins d’un viticulteur produisant certains de ses flacons de manière biologique et d’autres de manière plus traditionnelle. On pourrait également s’intéresser à un producteur ayant fait la transition de la viticulture à lutte raisonnée à celle biologique. L’idée étant de déceler de manière plus marquée des qualités bienvenues comme finesse, pureté, complexité dans ces crus bio.
Mesurer du ressenti est très complexe. Et au delà, pour réaliser de tels comparatifs, il faudrait pouvoir le faire sur des plants de même origine et âge, à terroir identique, vinifications et élevages semblables, bref une méthodologie rigoureuse. J’ai eu la chance de pouvoir le faire (à l’aveugle) en début d’année sur un même terroir d’un vigneron en bio et qui a repris une vigne en conventionnel à côté de la sienne. La différence de maturité (au niveau nature, pas avancement) et de diversité de fruit entre les deux vins était patente. Mais une seule expérimentation positive en ce sens ne vaut pas vérité intemporelle.
Au delà de votre question se pose aussi celle de l’origine de la volonté chez un vigneron de travailler selon ces principes. Pourquoi le faire et le vouloir ? Le vigneron l’a t il toujours souhaité ? Comment s’est fait le déclic ? Que recherche t-il par là ? Quelle est sa conception de la chose ?
Quand bien même l’impact ne serait pas avéré sur les qualités organoleptiques d’un vin, on peut avancer que la volonté de respecter au maximum sa terre et de maximiser la vie de ses sols et plans de vignes soit louable et respectable. Vous n’avez pas dit le contraire d’ailleurs.
Pour conclure, au delà des qualités organoleptiques d’un vin, il m’a semblé que les plus grands «spécimens» qu’il m’ait été donné de boire avaient une personnalité qui dépassait la «simple» perfection organoleptique. Pour moi un grand vin est d’abord un vin qui «dit» quelque chose.
Pour répondre à Alfredo de manière très simple mais évidente à mes yeux, ce que produit la viticulture biologique et biodynamique, ce sont d’abord de beaux raisins. Pour s’en rendre compte, il suffit d’avoir croqué, il y a quelques semaines, dans des raisins de Chardonnay cultivés biodynamiquement par Stéphane Tissot en Arbois, comparativement à d’autres, issus du même terroir mais en chimie. D’un côté, un raisin juteux et déjà bon à avaler (à 3 semaines des vendanges), au rendement auto-contrôlé, équilibré et apte à résister aux aléas météo de par la culture de son sol. De l’autre, de grosses et nombreuses grappes de raisins verts, acides, peu sucrés, qui pourriront à la première pluie.
Lesquels donneront le meilleur vin? A mon avis, pas besoin de mesure précise au réfractomètre ou d’études en double aveugle pour savoir quel type de viticulture privilégier si l’on veut boire bon!
Alfredo,
Je pense qu’il faudrait aussi s’intéresser aux traces de résidus chimiques nocifs dans les vins traités.
Et au type de vinification des vignerons, qui ne réaliseront probablement les mêmes prouesses à partir de raisins également sains.
Cela dit, je ne suis pas spécialiste de ces 2 disciplines.
En revanche, je m’y intéresse en tant que consommateur (et en complexité).
Nicolas,
Ton propos me fait penser au fil récent sur le blog de François Mauss : Vega Sicilia comme grand vin, mais peut-être en effet pas organoleptiquement irréprochable ?!
Alfredo :
Si je ne m’abuse, il me souvient avoir dégusté chez Anne Claude Leflaive deux cuvées différentes du même terroir dont l’une avait été cultivée en biodynamie et l’autre… autrement (je ne veux pas dire de bêtise).
Mais je me souviens que très clairement, il y avait une différence sensible dans le style de ces deux vins.
Maintenant, il appartient au goût de chacun de dire ce qu’il préfère, et là, on se doit de respecter l’opinion d’autrui.Il faut laisser aux pro du vin, comme Michel Bettane ou Jacques Perrin, l’éventuelle décision de hiérarchiser des vins, si toutes fois cela leur semble judicieux, ce dont je ne suis pas certain.
Par contre j’attends de la part de ces critiques professionnels qu’ils me disent pourquoi ils préfèrent tel cru à tel autre et cela avec une terminologie compréhensible par l’amateur.
"Concernant les différences entre les Vins issus d’une viticulture
bio-dynamique et les vins issus des méthodes devenues classiques (Chimie)",je peux faire part de deux expériences significatives : j’ai eu la chance de suivre les essais conduits par Anne Claude Leflaive et Pierre Morey sur le Puligny-Montrachet 1er Cru Clavoillon. A chaque fois que
j’ai eu l’occasion de faire la comparaison, j’ai toujours préféré la cuvée "biodynamique", suivie de la cuvée "biologique", dégustations à l’aveugle bien sûr. Quel dommage que les autorités officielles n’aient pas daigné suivre ces expérimentations !
Par ailleurs, j’ai eu la chance que Jean Charles Le Bault de la
Marinière, propriétaire du Domaine Bonneau du Martay, me fasse goûter, à
l’aveugle, ses premiers essais comparatifs, biodynamie-chimie, à
l’aveugle bien sûr. J’ai reconnu chacune des cuvées issues de la
biodynamie, avec même une petite différence entre deux issues de la
viticulture bio-dynamique, mais avec une nuance d’interventions.
• Il y a donc une différence sensible à la dégustation.
• Je pense qu’elle est surtout sensible quand on déguste selon les critères de la dégustation géo-sensorielle du gourmet que je m’emploie à restaurer face à l’hégémonie de l’analyse sensorielle qui, selon moi, avantage les vins
techniques que l’on peut construire selon les différents artifices
techniques oenologiques.
Commentaire (2e partie)
Ma préférence va aux vins issus de la bio-dynamie que je trouve plus
équilibrés dans le couple consistance/souplesse et dans le rapport vivacité-minéralité/viscosité. De surcroît la texture est plus complexe,
même si elle exige plus de temps pour se déployer (souvent le vin est
encore meilleur le lendemain). Bien sûr la longueur est plus évidente.
Par ailleurs, quel que soit le jugement que l’on porte sur la
biodynamie, l’essentiel est peut-être dans le retour aux bonnes
pratiques opéré par les biodynamistes. En lisant l’extraordinaire
témoignage de Dom Denise, (moine expert en viticulture du18ème siècle,
réed. par Terre en Vues), force est de reconnaître que les biodynamistes
respectent tous les grands principes en vigueur alors. Par ailleurs les
viticulteurs biodynamistes préfèrent les sélections massales aux
sélections clonales, expérimentent quand ils le peuvent la vigne franc
de pied, font des essais de densités de plantations plus importantes….
Bref, ils sont dans une viticulture de "Grand Cru", une viticulture de
type "Haute Couture".
J’ai encore vu une machine à vendanger dans un Grand Cru de Bourgogne,
ainsi que des récoltes en balonges, au lieu de la petite caisse….
C’est vraiment dommage. Je pense qu’il faut suivre l’avis d’Aubert de
Villaine et de Sylvain Pitiot : il faudrait un carnet des charges très
strict pour ceux qui ont la chance de posséder les meilleurs climats de
Bourgogne… et d’ailleurs.
Commentaire (3e partie)
En écrivant ces lignes, je pense à mon ami Didier Dagueneau avec lequel
j’ai côtoyé quelques-uns des plus grands vignerons de la planète. Tous
respectent les "bonnes pratiques viticoles". Par ailleurs, c’est chez
Didier que j’ai vu le premier dynamiseur biodynamique. Je me rappellerai toujours que je me suis alors demandé quel pouvait bien être cet engin qui m’a paru dans un premier mouvement bien anachronique ! C’était au début des années 1980 !
J’ai entrepris récemment de discuter en profondeur avec des
biodynamistes, par ailleurs de culture scientifique comme Bruno
Clavelier (Maîtrise de Sciences de la Vie et DNO) ou Olivier Humbrecht
(ingénieur agronome et DNO), et je vais essayer d’en tirer une synthèse
pour "grand public amateur de vin cultivé" de façon à montrer qu’il n’y
a pas de sorcellerie là-dedans, mais un retour à ce que la science avait
d’originel : "*à chaque fois que vous voudrez intervenir sur la nature,
demandez-vous toujours si ce que vous faites est bon pour elle."
Jacky c’est vraiment un plaisir de vous lire!
1. J’apprends par là même que Bonneau du Martray est en phase de conversion et je m’en félicite.
Je pense que le principal intérêt d’une approche « bio » de la vigne est d’abord le retour au « bon sens paysan », et la revalorisation de l’empirisme enrichi par des générations successives de gens qui ont cultivé et observé la vigne et la Terre en Bourgogne et ailleurs. A l’époque on disposait de moins de connaissances scientifiques mais l’on observait davantage la nature ; les conclusions tirées dans le temps n’avaient pas moins de valeur que des protocoles validés aujourd’hui.
NB : ma remarque ne se veut pas teintée d’angélisme et n’est pas anti-progressiste ; mais force est de constater que l’on a parfois oublié des bases pourtant bibliques et connues depuis fort longtemps, comme vous le signalez avec la référence aux textes de Dom Denise.
L’on observe encore des parcelles en Echézeaux (et ailleurs) en état de mort clinique. J’éviterai de parler des domaines qui vendangent encore à la machine dans le Clos Vougeot aussi. Je n’ai pas de leçons à donner aux vignerons, n’en n’étant moi même pas un. Mais certaines choses font bondir l’amoureux de la Bourgogne que je suis. Comment parler de vins de Terroir quand on le massacre, s’il n’est pas déjà mort depuis 10 ans ?! Des vieilles vignes oui, mais dans un sol mort, avec 50 cm de vigueur puis des radicelles complètement sèches et asphyxiées, quel intérêt ?!
2. Monsieur Rigaux, est il prévu dans la future synthèse envisagée par vous-même ci dessus d’inclure des interventions de Claude Bourguignon sur les sols, le rapport plante/sol et l’impact sol vivant/qualité et diversité du fruit, avec toute la population microbienne qui va avec et le rôle des levures indigènes développées par là même ?
J’ai découvert ses travaux dans un de vos ouvrages et pour moi ce fut un "choc" intellectuel de comprendre enfin sensiblement mieux ce qu’était le « Terroir », son fonctionnement systémique, l’interdépendance des différentes composantes, et l’impact d’une viticulture probe sur la qualité et nature des fruits produits par la vigne.
En tout cas merci pour ces informations toujours très intéressantes à lire. Tout cela est tellement important et dépasse même le simple cadre "vin"…
Merci à M. Rigaux d’avoir participé au débat en fournissant des réponses étoffées.
J’ai découvert cet après-midi quelques interventions d’Hervé Bizeul sur le forum de la passion du vin. Je les considère comme dignes d’intérêt dans la discussion qui a été lancée sur les différences entre viticulture traditionnelle et bio.
Elles datent de 2006 et se situent sur les deux pages du forum suivant :
http://www.lapassionduvin.com/ph...
M. Rigaux,
Pouvez-vous nous dire ici un petit mot de l’analyse géo-sensoreille ?
Merci d’avance
M. de Villaine nous a parlé d’essais en biodynamie au DRC : quelqu’un parmi-vous en sait-il un peu plus ?
Idem pour la conversion récente des 13 hectares du domaine Trapet ?
Noté ceci au hasard de pérégrinations :
On ne saurait ignorer l’importance de la biodynamie en Alsace ; les deux tiers des producteurs visités s’en réclament. Faut-il y voir une influence germanique ? Il apparaît toutefois qu’au concept de biodynamie correspondent des mises en application fort dissemblables, allant de la plus pragmatique à la plus mystique.
Cher Monsieur Laurent,
Une fois n’est pas coutume, je profite de ce moment de répit en cuverie pour vous remercier de l’intérêt que vous portez à la Bourgogne. L’appellation est un bien commun et il convient à l’ensemble des vignerons, conscients, d’en prendre le plus grand soin. La biodynamie dans son approche globale et sensible nous aide au respect des lieux dont nous avons la charge. Notre domaine a commencé sa conversion en biodynamie en 1996, nous sommes certifiés par BIODYVIN depuis 2000 et par DEMETER depuis 2006. Si cette approche, passionnante, vous intéresse je vous invite à visiter les sites http://www.biodyvin.com et http://www.bio-dynamie.org/, ou bien encore, à venir visiter un domaine en biodynamie. Au plaisir de vous rencontrer.
J’ai précisément été reçu au domaine par Mme Trapet mère qui nous avait permis un fort joli parcours et parlé de cette conversion …
Bonne chance pour votre production 2008.
Cordialement
Cher Jean-Louis, merci pour ces précisions. Et je n’oublie pas que je vous "dois" une visite… Ce sera pour bientôt !
Cher Laurentg, voici une réponse, peut-être un peu longue mais le sujet la nécessite :
"Il vaut mieux écrire dégustation géo-sensorielle, plutôt qu’analyse
géo-sensorielle. C’est une approche plutôt globale qu’analytique, même
si elle s’organise autour de critères bien définis. Cette pratique de la
dégustation géo-sensorielle se distingue de l’analyse sensorielle et de
l’évaluation sensorielle qui ont été codifiées scientifiquement au 20ème
siècle. C’est Jules Chauvet, chimiste qui a failli avoir le Nobel de
Chimie, qui est à l’origine de l’analyse sensorielle et c’est Sauvageot,
en particulier, qui a codifié un peu plus tard l’évaluation sensorielle.
Cette pratique de l’analyse et de l’évaluation sensorielles s’est
développée à partir de la généralisation du verre comme outil des
professionnels du vin. Cette pratique est particulièrement utilisée par
l’ industrie agro-alimentaire. Jules Chauvet avait décrété que l’odorat
était 20 000 fois supérieur au goût, c’est donc l’odorat qui a été
privilégié… d’où les excès de certains sommeliers plus royalistes (ou
plus poètes ?) que les oenologues.
Avant la codification de l’analyse sensorielle existait* la dégustation
géo-sensorielle du gourmet.* Quand la délimitation des "climats"
bourguignons est achevée, au 12ème siècle et généralisée dans toute
l’Europe viticole, apparaît un professionnel de la commercialisation des
vins, *le gourmet.* La délimitation des parcelles que l’on connaît
aujourd’hui, qui furent appelées "climats",
Réponse de J. Rigaux (2e partie) :
Quand la délimitation des "climats"
bourguignons est achevée, au 12ème siècle et généralisée dans toute
l’Europe viticole, apparaît un professionnel de la commercialisation des vins, *le gourmet.* La délimitation des parcelles que l’on connaît
aujourd’hui, qui furent appelées "climats", est l’oeuvre des moines
bénédictins qui reprirent en main les vignobles romains laissés en
piteux état. (La légende rapporte qu’ils allaient jusqu’à goûter la
terre pour délimiter les parcelles ! Mettez en bouche successivement de
l’argile, de la marne et du calcaire, vous verrez que ces minéraux ont
des goûts différents !) Ce travail commence dès la chute de l’Empire
Romain, en 476, se prolonge avec les moines de Cluny, à partir de 910,
puis ceux de Cîteaux à partir de 1098.
Ce travail est né sur Pagus Arebrignus, nom de la Côte bourguignonne
avant que le terme de Bourgogne n’apparaisse avec les burgundes. Ce
travail de délimitation s’est généralisé dans tous les vignobles, ce qui
est oublié aujourd’hui, car dans les années 1930, seule la Bourgogne a
exigé une classification hiérarchique par climats (4 niveaux d’appellation, les deux premiers devant mentionner le nom de climat). En Côte Rôtie, à Pouilly sur Loire, comme à Sancerre, Chinon ou à Saumur,par exemple, tout le territoire viticole a obtenu le même niveau
d’appellation Sancerre,Saumur-Champigny, Chinon, Côte Rôtie,Hermitage….
Réponse de J. Rigaux (3e partie)
Par ailleurs la Champagne a privilégié la marque, le Bordelais le Château, l’Alsace le cépage…. Cette culture du climat s’est perdue, sauf en Bourgogne. Heureusement Didier Dagueneau à Pouilly, Alphonse Mellot, à Sancerre, Naddy Foucault à Saumur, Léonard Humbrecht en Alsace, Marcel Guigal en Côte Rôtie, Gérard Chave en Hermitage, par exemple, ont continué cette philosophie du climat en leurs vignobles respectifs. Aujourd’hui, un peu partout on retrouve
cette culture du "climat", même si, malheureusement, Bruxelles préférerait voir se généraliser dans tous les vignobles européens les vins techniques, de cépage et de marque, tandis que les lobbies anti-alcoolisme aimeraient voir le vin classé comme produit toxique
dangereux…
La dégustation géo-sensorielle du gourmet était donc la pratique de
dégustation du professionnel du vin qui travaillait avec son tastevin.
Tastevin n’est pas un mot anglais, mais bien français, qui renvoie à
"tâter le vin". Les gourmets, qui existaient dans tous les vignobles,
étaient chargés de vendre les vins des abbayes, comme ceux des
seigneurs, puis des bourgeois. Les abbayes, les Chapitres des
Cathédrales, les Aumôneries… produisaient pour elles-mêmes, pour leurs hôtes, et pour les acheteurs ! Au 12ème siècle l’Aumônerie de Gevrey qui
disposait d’un grand domaine viticole, rapportait plus d’argent au père
abbé qui la dirigeait que l’archêché de Lyon à l’archevêque ! (Archives
de Dijon).
Réponse de J. Rigaux (4e partie)
La profession de gourmet était une profession extrêmement codifiée et surveillée. A partir de la Renaissance, leur charge sera même remise en question chaque année à Beaune. A Turkeim, deux des plus belles maisons datant de la Renaissance étaient la propriété de gourmets. C’est dire leur importance, et la fortune qu’ils gagnaient ! A
Paris, on a trace de textes de lois qui légiféraient en matière de gourmet rédigés par les rois et les empereurs !
Ces gourmets étaient capables de reconnaître, par la dégustation, les
différents climats, les cépages et les millésimes. Les critères tactiles étaient dominants (consistance, souplesse, viscosité, texture, vivacité,
minéralité, longueur… ) Bien sûr ils accédaient aux arômes par la rétro-olfaction et n’ignoraient pas le subtile framboisé du Richebourg,
l’exquis cerisé du Chambertin, la délicatesse de la réglisse de la Tâche
et du Clos de Bèze, l’étonnant arôme de violette du Clos Saint-Jacques
ou de Château Grillet, etc…
C’est cette dégustation géo-sensorielle du gourmet que je m’efforce de
redynamiser dans notre Diplôme d’Université de Bourgogne : Pratique de
la Dégustation par la Connaissance des Terroirs. C’est ce type de dégustation que nous développons dans nos "Rencontres Henri Jayer : Vignerons, Goumets et Terroirs du Monde" qui rassemblent chaque année
une quarantaine de vignerons-gourmets "terroiristes". Quelques-unes de
leurs réflexions sont transcrites dans les livres "Les Nouveaux Vign
Réponse de Jacky Rigaux (5e partie) !
Henri Jayer avait fait vivre cette dégustation géo-sensorielle. Je fus
son élève en matière de dégustation et je suis devenu son ami. C’est lui
qui m’a mis sur la piste du gourmet, en me faisant lire Jules Lavalle
qui en parlait en 1855, reconnaissant qu’il était déjà à l’époque
presqu’oublié !
*Ce qui compte dans un vin, c’est qu’il ait la gueule du lieu associée
au style du vigneron qui le fait !* Ce type de vin, bien sûr, n’a pas
grand chose à voir avec le vin technique, de cépage et de marque,
arrangé par les techniques oenologiqueset rehaussé par tous les
produits chimiques imaginables, arômes artificiels compris !
Henri Jayer avait cette conviction inébranlable que l’originalité et
l’identité de la Bourgogne résidaie
dans la spécificité géo-sensorielle de ses climats. Il a transmis cette approche à Christophe Roumier, Dominique Lafon, Denis Mortet, Philippe Charlopin,
Nadine Gublin, Bruno Clavelier, Christophe Perrot-Minot…. et surtout
je pense à Didier Dagueneau qui était pour moi un des plus grands dégustateurs que j’aie pu connaître. Didier avait bien sûr, comme moi-même et comme tout dégustateur, des chouchous, et il lui arrivait même de trouver bon certains vins techniques… comme cela m’arrive,
parce que le gars ou la fille qui le fait est sympa, ou parce qu’il le
trouvait bon tout simplement.
Réponse de Jacky Rigaux (6e partie)
L’occasion de rappeler que la dégustation est toujours subjective,
qu’elle est d’abord là pour notre plaisir, pour notre jouissance, pour
cultiver le plaisir d’être… l’eau suffit pour le maintien de notre
homéostase !
J’ai écrit quelques articles sur la
question du gourmet dans Tastevin en
Main, dans les Actes des Rencontres du Clos Vougeot (Le Vin et les
Rites), dans les annexes de mon livre "Les Grands Crus de Bourgogne".
J’avais rédigé un article demandé par la revue des Oenologues qui devait
paraître en décembre dernier (le texte était imprimé et je l’avais
corrigé) .. mais le propos devait être trop différent de ceux de l’analyse sensorielle dominante aujourd’hui dans l’Oenologie moderne, et mon texte a dû passer à la trappe. *Si quelqu’un connaît une revue qui peut être intéressée, il est libre de droits…. donc disponible.*
Par ailleurs, pour les amoureux de la langue, il existe un texte
succulent de Michel Serre sur le gourmet dans les "Cinq Sens" (Livre de
pOche). Michel Serre reprend, à sa façon, une légende de gourmet qui
date du Moyen Age, et ce après sa mémorable intronisation "Chevalier du
Tastevin" au Château du Clos Vougeot. C’est Monsieur Engel qui était un précieux ami, avec lequel
j’ai dégusté de fantastiques bouteilles de Clos de Vougeot 1911, 1915,
1923, 1926, 1955 très souvent, car c’était l’année de naissance
Merci pour cette réponse très documentée …
J’ai eu très récemment plaisir à boire Silex 2001 (que j’apportais), Grillet 2002 (que j’ai retrouvé en raison notamment de sa grandeur), la Coulée 2002 (retrouvé également en raison de ce profil baroque asez inimitable – avec une légère paranté olfactive avec le Clos Joliette de Jurançon).
En, revanche, un vin est passé totalement inaperçu : il s’agissait de Petrus 1995 …
L’analyse systémique qui pointe l’impact du territoire sur le vigneron, impactant lui-même son territoire me va bien …
Beaucoup aimé quelques récents Vougeot de Engel (1988, 2000, 2003).