Nous sommes entrés ainsi, par la force du verbe, dans cette combe de Chambolle, à l’influence climatique très diversifiée, véritable carrefour avec sa flore sibérienne et méditerranéenne, son calcaire à entroques, très grumeleux qui a « dégouliné » au fil des millénaires et recouvre maintenant tout Chambolle. Si Gevrey est au sommet de l’anticlinal, dès qu’on descend vers Chambolle, on va en direction du synclinal de Volnay (soulèvement du socle ancien). Qu’est-ce que ça fait ? Plus de calcaire et moins d’argile et, donc, des vins moins consistants, mais plus subtilement parfumés, que ceux de Gevrey ou de Morey. Les géologues diront qu'on est dans le Bajocien et, comme le rappelait Jacky Rigaux lors d'une autre session, c'est quand même dans le Bajocien terminal que le pinot noir chante le mieux.
Que signifie le nom Fuées ? Ce terme (fouée, feuce, fuye) nous renvoie à l’époque féodale. Les Fuées désignait en effet le droit du seigneur d’exiger un certain nombre de journées pour travailler ses vignes et, par extension, la surface viticole qu’une personne pouvait travailler à la houe durant cette journée…
Les vins (notes de dégustation de Nicolas Herbin)
Chambolle-Musigny 1er Cru les Fuées 2006 Louis Jadot
Robe très classique, peu de couleur, peu d'intensité. Nez assez fin avec un bois un peu fumé. Touche de rose derrière le bois, sous-jacente, puis la réglisse. Attaque franche, acidité suit, vivacité, nervosité, assez tendu et salin, racé, pas de creux en milieu de bouche, tanin bien découpé, très frais, avec de l'allant. Pas un grand corps mais linéarité plutôt noble. Bonne allonge. Beau vin de terroir.
Chambolle-Musigny 1er Cru les Fuées 2003 Louis Jadot
Plus de couleur mais robe plus mate. Le nez idem, moins défini, plus rentré, réglissé, fruits noirs, plus fauve. Moins d'éclat et moins de style, plus de rondeur immédiate, c'est enrobé, plein. Fruit légèrement surmûr avec ce côté beurré, pas la définition du 2006 mais le corps permet d'emmener le vin en avant. Evolution aromatique orientale, pêche rôtie, avec moins de surmaturité que beaucoup de vins du millésime.
Chambolle-Musigny 1er Cru les Fuées 2007 Christophe Perrot-Minot
Nez assez pur et éclatant, précis, floral, fruité, violette, boisé café derrière, très pinot, petite touche de vanille. Attaque fruité-vanillée. Agréable tonicité à l’évolution, fruité acidulé. Bouche encore linéaire dans le déroulé mais c’est dense et d’une belle allonge. Dégusté un jour plus tard : le vin s’est ouvert. Magnifique tenue. Beaucoup d’avenir.
Touche un peu racinaire (gentiane) du millésime, musc, cuir frais. Sa forme en bouche est un peu moins précise, moins tendue que le 2007. Jolie finale toutefois, avec une belle persistance. A noter une très belle tenue du corps après un jour d'ouverture.
Chambolle-Musigny 1er Cru les Fuées 2004 Thibaut Liger-Belair
Un peu linéaire, avec quelques notes herbacées. C’est un vin vif, un peu linéaire dans son expression, avec une saveur de fruits rouges en bouche d’où le terroir peine à ressortir.
Chambolle-Musigny 1er Cru les Fuées 2005 Thibaut Liger-Belair
Notes de cassis un peu entêtantes. Bouche d’une construction assez précise, mais l’ensemble est un peu linéaire, manque un peu de fond. Ce vin et le précédent ont été produits à partir d'achats de raisins. A partir de 2005, pas entièrement satisfait par la qualité du raisin, Thibaut Liger-Belair a cessé de produire des Fuées.
Chambolle-Musigny 1er Cru les Fuées 2008 Faiveley
Robe légère. Premier nez boisé/fumé, vanillé, fruité de cassis propre à l'année qui se dégage. Evolution sur des notes de grenadine. Petite sucrosité de l'attaque avec un jus lisse, vanillé : c'est fin, soigné, saveur acidulée qui signale la limite de du millésime au niveau de la plénitude. On a cherché à préserver le fruit et c’est louable.
Chambolle-Musigny 1er Cru les Fuées 2007 Faiveley
Robe plus intense et sombre. Boisé un peu marqué, qui freine son expression aromatique. Plus dense que le 2008, mais moins précis et défini, le vin paraît manquer un peu de centre. Sa trame, notamment, pourrait être plus ajustée.
Chambolle-Musigny 1er Cru les Fuées 2007 Ghislaine Barthod
Couleur peu intense, robe ultra classique. Nez plutôt fin mais un peu effacé, peu de bois perceptible, floral, discret. S'ouvre sur la confiture de fraise, charmant. Bouche suave dès l'attaque avec une profondeur de goût, de la sève. La texture est épanouie, vivante. Finale chaleureuse avec une pointe d’austérité dans le tanin.
Chambolle-Musigny 1er Cru les Fuées 2007 Jacques-Frédéric Mugnier
Robe plus intense sur le disque. Nez réservé. Il y a peu de bois neuf (20 %) sur cette cuvée; pourtant il est sur des touches de moka, puis s’ouvre ensuite sur des notes subtiles de réglisse. Le corps est dense, plus corsé et charnu que les autres. On sent ici la vieille vigne. Un peu Bonnes Mares dans le style.
13 Comments
Bravo pour ce subtil pied de nez !
Mais la question qui me chipotte :
a : ce sont des bénédictins ou des cisterciens qui sont à la source des délimitations ?
b : à l’aveugle (mon dada), on arrive à trouver, chez ces producteurs bien différents, un "style", un "terroir" FUEES ou plus simplement, le cas échéant, on peut éventuellement trouver la patte d’un producteur.
En d’autres termes, le terroir est plus facilement identifiable que le producteur ou c’est l’inverse ?
Bon, je suis chi… sur ce coup, mais sans malice, hein !
Une certaine nervosité pavlovienne à la veille d’un souffleton dans un dé à coudre…
Tiré de Hachette:
Qu’est-ce qu’un climat bourguignon ?
Dans le vignoble bourguignon, le mot climat désigne un lieu-dit cadastré, caractérisé par un type de sol et un microclimat.
Au Moyen Âge déjà, les moines cisterciens avaient identifié en Bourgogne une multitude de microterroirs selon la nature du sol et du sous-sol, l’exposition des pentes au soleil et leurs effets sur les vins. Ils établirent ainsi une classification dont la pertinence n’a jamais été démentie, même si elle rend le vignoble bourguignon d’une grande complexité : les noms de vins se comptent par centaines dans la région. En effet, les vins, outre le nom de leur appellation, portent souvent aussi ceux de lieux-dits cadastrés que les Bourguignons appellent climats : Les Murgers des Dents de Chien (appellation saint-aubin), Les Gouttes d’Or (appellation meursault), Les Amoureuses (appellation chambolle-musigny), etc.
Ah, chambolle…une appellation que j’aime beaucoup et j’ai jamais été déçu par une bouteille de ce terroir!
J’ai quelques bouteilles des fuées 2004 de Thibaut Liger-Belair, il est "bon à boire" où il faut mieux attendre encore un peu?
J’espère que la prochaine fois que Mr Perrot-Minot viendra sur Paris faire une dégustation, j’aurai la chance de gouter ses chambolles!
François, je réponds en vitesse à ta question parce que je pars à l’aube pour le Jura pour ma tête dans un scanner. Rien de grave. Juste une expérience menée des savants sympathiques sur la manière dont nous percevons. Ce sont bien les bénédictins qui sont à l’origine des "climats" bourguignons. Les cisterciens arrivent un peu plus tard et n’ont pas exactement la même approche du terroir. On peut même dire que leur philosophie, c’est l’assemblage, voire la marque : le Clos Vougeot, c’est eux, par exemple. Mais comme ils sont tout puissants et pragmatiques, ils montent vite en puissance dans le paysage viticole. En plus, ils ont (les cisterciens) un petit côté accapareur et quérulent… Pourquoi les abbayes cisterciennes sont-elles toujours placées dans des endroits isolés, des fonds de vallée ? Parce qu’on faisait tout pour les éloigner. Les "minutes" des procès médiévaux sont constellées de confits avec les cisterciens. C’est, grâce notamment à cela, l’ordre monastique qu’on connaît le mieux, d’autant que les cisterciens consignaient tout, vraiment tout. Ils étaient vraiment bien organisés. Cela dit, je m’empresse de dire que j’ai des amis parmi les frères cisterciens et que ce sont des gens extraordinaires ! CQFD
François,
pour te répondre, j’avoue que j’ai sciemment demandé à Jacky de faire la dégustation et les séries par vigneron, pcq ma courte expérience de dégustateur me porte à croire que durant les premières années (5 ans, voire davantage) le style de vigneron et le millésime priment, même si ce terroir agit bien sûr en support d’expression et base de travail pour le vigneron, c’est incontestable.
L’intérêt de pratiquer de la sorte est aussi de faire ressortir les styles de chaque vigneron/vinificateur et donc interprète, qui en fonction du dit terroir, de son matériel végétal et de la climatologie de l’année effectue des choix et agit afin de "réaliser" l’idée qu’il se fait de sa cuvée dans le contexte. Et ne pas oublier surtout que le vigneron fait comme il peut, avec ce qu’il a, et s’adapte, tout le temps.
Donc j’avoue, oui, n’avoir pas vraiment eu sur ces millésimes de moins de 7 ans de "trame de terroir" commune à tous les vins, mais plus des bribes de réflexion quant au sujet du jour.
Si un vin de Fuées devait s’inscrire dans la lignée du puissant Bonnes Mares qui le voisine, à savoir un vin ferme et d’un certaine façon opulent, corsé, le 2007 de Ch. P-Minot ou le 2007 de JF Mugnier pourraient illustrer ce "type". Mais là aussi, tout dépend de l’image que l’on se fait du caractère du climat en question, car le délicat Fuées de Ghislaine avait aussi moultes qualités et ne faisait pas vraiment "vin de faiseur" !
C’est compliqué et complexe, one more time…
Pour répondre à Olivier,
je boirais les Fuées 2004 de Thibaut sans trop attendre.
Et pour revenir aux deux vins dégustés et venant de chez lui ce soir là, on se gardera bien de toute conclusion hâtive, car ils ne rendent pas fidèlement hommage à son talent, son niveau d’exigence et ses meilleures bouteilles produites sur des vignes possédées et cultivées par lui et son équipe ces dernières années.
Ses Vosne, ses Nuits, son Clos et son Richebourg peuvent être de très belles bouteilles. J’ai personnellement un faible pour son Réas, qui peut transcender le dégustateur par son parfum et sa nervosité.
Merci de toutes ces infos : du bijou !
Et notre Swingliste qui risque de devenir papiste !
Mais que fait la police ?
Fais gaffe comme cobaye ! Chiche qu’ils vont te cloner ! Bouh, j’en frémis !
Merci Nicolas pour le conseil. En effet, c’est grâce à ces magnifiques bouteilles de Reas que j’ai décidé de creuser l’appellation Vosne aussi!
Voilà, ça y est, 45 minutes dans le scanner, mon cerveau slicé très fin, en couches, les zones activées (pas les érogènes, M. Mauss, non, non…) repérées. Me voilà cloné : – Bah v’la que j’ai plus ma tête ! Je ne me reconnais plus…
Un post là-dessus dans deux jours !
Jacques,
Ce n’est pas sorcier :
cerveau droit pour la rive droite et cerveau gauche pour la rive gauche …
🙂
Ceux qui ont la chance de pouvoir goûter les plus grands vins de Bordeaux devraient en apprécier le privilège plutôt que de se plaindre du travail que cela représente.
Le sage se réjouit du bonheur de son prochain.
Combien de plus ou moins fameux dégustateurs aimeraient que leur verdict soit attendu avec autant d’impatience -et, malheureusement,- d’influence, que celui de Parker.
"Le sage se réjouit du bonheur de son prochain." Voilà de bonnes paroles, Bordeauxphile ! On dirait du Marc Aurèle.
Qui se plaint du "travail que cela représente" ?…
Et, très sincèrement, qui rêve d’exprimer un verdict planétaire ? C’est comme dans la vraie vie : ne jamais considérer les situations selon une perspective unique…
Vous aimez l’esthétique, Bordeauxphile, vous êtes peut-être un amateur d’art : pourriez-vous imaginer le marché de l’art (et les cours des artistes) suspendus aux oukases d’un seul critique ? Quel ennui…