Dans la lignée de Jim Harrison, son aîné, Rick Bass est un auteur qui trace des lignes de fuite, tout en restant sur place : un écrivain capable de passer des hivers au milieu de montagnes perdues, à réécrire Là où était la mer.
Les entraînements commencent. La championne devant. Son garde du corps sur deux roues, revolver à la ceinture. Le parcours les amène vers la montagne.
« Près du sommet, le soleil déjà haut brillait à travers la brume des feux de la plantations. Tout avait l’air voilé et vieux, comme si nous avions remonté le temps et que tout n’avait pas encore était décidé. »
« Il me fallait jeter le vélo à terre et courir derrière elle. Elle enlevait son maillot et s’avançait dans la partie peu profonde du premier lac qu’elle voyait, ses pieds passant au travers de la glace mince. Puis elle s’asseyait dans l’eau froide comme un animal que des chiens auraient poursuivi.
La première fois elle a dit : »ça fait du bien ! »
Elle a renversé la tête sur la plaque de glace derrière elle et elle a écarté les bras comme si elle se reposait sur une croix. Elle a regardé à travers la brume le ciel vide au-dessus de la ligne des arbres.
Elle m’a dit : »Viens ici. Viens sentir ça. »
Je me suis avancé en pataugeant, suivant le chemin qu’elle avait laissé dans la glace, et je me suis assis à côté d’elle.
Elle a pris ma main et l’a placée sur sa poitrine.
Ce que j’ai senti ne ressemblait à rien de ce que j’avais imaginé. C’était comme soulever le capot d’une voiture dont le moteur est en marche et voir tous les câbles et les courroies et les pales des ventilateurs qui continuent de tourner. Aussitôt, j’ai voulu l’emmener chez un médecin. Je me suis demandé si elle n’allait pas mourir, si on ne m’en tiendrait pas pour responsable. Je voulais retirer ma main mais elle m’a obligé à la garder là, et graduellement les battements ont ralenti, sont devenus plus réguliers, et cependant elle m’a obligé à garder ma main là, jusqu’à ce que nous puissions tous deux sentir le froid de l’eau. »
Ainsi va l’entraînement, parce que dans le monde, il y a d’autres gens, qui s’entraînent encore plus dur, et ils vivent dans des endroits moins beaux.
Les hivers dans les Monts Loyauté sont rudes, hostiles, mais pas infinis. La glace finit toujours par céder. Les rivières et les lacs scintillent dans la lumière. Leurs eaux restent pourtant glacées.
Bientôt, l’heure viendra de repartir. Et ceux qui restent sentiront cette brûlure. Et le froid qui reviendra par-delà les montagnes accidentées et les forêts enchevêtrées.
« Surtout, ne quitte jamais cet endroit. » Elle m’a dit tout ça en regardant les nuages. « Tu as vraiment la bonne vie, ici. »
Je lui ai dit : » Non, je n’en ai pas l’intention. »
Je pensais à son cœur, cognant dans sa poitrine après ces longs entraînements. Ici, tout en haut du sommet, je me demandais comment quelque chose pouvait être vivant à ce point. »
De la suite, je ne raconterai rien. Vous pouvez la lire. Vous allez voyager !
8 Comments
2 photos de paysages à la fois sereins et hostiles.
Pensé à ce film fort, dont j’ai trouvé la fin totalement désespérante :
fr.wikipedia.org/wiki/Int…
Effectivement Laurentg. J’ai parlé il y a quelque temps de ce film impressionnant, la wilderness… blog.cavesa.ch/index.php/…
Personne ne peut lutter contre la Vie, ni s’y soustraire. La seule veritable question est la suivante: quelle proximite peut-on entretenir avec elle ?
Un grand livre : thegrou.chez-alice.fr/raw…
« Le bonheur n’est réel que quand il est partagé ».
Cela me rappelle cette phrase de Grasset, peut-être "plus complète" :
"Le bonheur ne se cherche pas, on le rencontre. Il n’est que de savoir le reconnaître et de pouvoir l’accueillir."
Laurent
"On est heureux quand on a dépassé l’inquiétude du bonheur" – Paul Maeterlinck
youtube.com/watch?v=iu7Ab…
Mais bon, mais c’est bien sûr ! J’aime bien Rick Bass, le géologue perdu dans la littérature. Je n’avais pas lu les Monts Loyauté. Là, je sens que je vais y aller dare-dare, sur les traces de Glenda ! Il existe aussi, je crois, un livre de Bass sur la vallée de Yaak. Merci d’avoir rappelé le bon filon !