Il en va des déjeuners comme du reste, ils sont ondoyants et divers. Il y a les déjeuners d’affaire (je déteste !), les déjeuners sur l’herbe, les improvisés, les manqués, les solitaires, et les déjeuners d’exception, ceux où tout est au diapason : plaisir de la conversation et la sapience profonde, celle des mets, des vins et du goût de la vie. Autour d’un Arbois Pupillin 2011 et de la cuisine enjouée de Florian Le Bouhec, retrouvailles avec un être lumineux pour parler, notamment, de son dernier livre.
Chacun porte en soi une force insoupçonnée : c’est le titre de cet ouvrage dont je vous recommande la lecture car c’est un livre fort, essentiel, sans pathos, d’une clarté magnifique. Il a été écrit par Nicolas de Tonnac, psychiatre de liaison à l’Hôpital Universitaire de Genève.
A l’âge de quinze ans, ce dernier tombe d’un peuplier et demeure paralysé. Comment vivre avec un tel handicap ? Comment le surmonter ? Comment transformer cette ombre en affirmation de vie ? C’est la question que se posent tous les désarçonnés.
La question du destin est liée intimement à celle de la singularité, de l’existence individuelle, des choix que nous effectuons, des événements que nous traversons, de la liberté que nous voulons. On a fréquemment tendance à assimiler le destin au fatalisme, ou à la résignation qui est le contraire de l’acceptation. Adhérer à cette façon de penser, c’est entrer dans le cercle de la souffrance, de la culpabilité ou du ressentiment et s’enfermer dans le handicap : » Le véritable handicap, c’est de ne pas s’accepter tel que l’on est » écrit Nicolas de Tonnac. Celui-ci précise encore : »Assumer ce qu’on est, c’est assumer des situations que nous n’avons pas choisies, des événements que nous n’avons pas décidés. Dans un sens, nous prenons très rarement de décisions dans le cours de notre vie. Nous nous adaptons et si nous ne nous adaptons pas, nous dépérissons. Il nous est impossible de nous « renier » sous prétexte que ce qui nous arrive n’est pas ce que nous avons voulu. »
Comment ne pas penser, à la lecture de Chacun porte en soi une force insoupçonnée, au poète Joë Bousquet, grièvement blessé à la guerre à l’âge de 21 ans, devenu paraplégique, qui déclarait : »Ma blessure existait avant moi, je suis né pour l’incarner. » Cette acceptation de soi à travers ce qui constitue, parfois de la manière la plus douloureuse et la plus injuste, un destin individuel, ce jeu du hasard voulu et de la nécessité vraie, Nicolas de Tonnac la décrit admirablement dans son livre. « L’épreuve absolue pour chacun d’entre nous est de vivre avec nous-même. Vivre avec les autres offre toujours des échappatoires. Nous fermons la porte et nous en avons terminé des autres. Vivre avec nous-même ne présente au contraire pas de répit. Nous sommes en compagnie de nous-même vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous parvenons parfois à nous absenter mais ce sont des stratégies qui tournent court. La nécessité de nous connaître et de nous accepter est alors cette épreuve nécessaire à laquelle nous ne pouvons pas nous dérober sauf à passer à côté de notre vie. »
Ne pas passer à côté de sa propre vie, même quand sa trajectoire paraît brisée, est une longue quête. Celle que décrit Nicolas de Tonnac dans son livre. Cet événement qui n’a lieu qu’une fois, cet accident qui scande ma vie en un avant et un après, détermine un chemin de vie. Celui-ci nous entraîne d’ailleurs du côté de la morale stoïcienne dont la pensée de Nicolas de Tonnac est très proche par instants. Dans la fabrique du destin, nous devenons les fils de nos propres événements, ceux qui nous font nous rencontrer et nous aider à devenir nous-même :
« Il nous faut aller à la rencontre d’un personnage que nous avons fui sans cesse et que nous devons finir par reconnaître comme nous-même. Ce « soi-même » que nous ignorons parce que nous le fuyons apparaît rarement lorsque nous essayons de tordre la réalité à notre volonté, mais au contraire lorsque nous tâchons de nous y soumettre, de nous adapter. Le handicap est la leçon extrême de l’acceptation sans laquelle vivre est impossible. »
Psychiatre de formation, Nicolas de Tonnac a travaillé durant toute sa carrière au HUG de Genève, sorte d’agent double, comme il le précise lui-même, entre deux mondes qui se côtoient, mais ne se comprennent pas toujours. Dans ce lieu qu’est l’hôpital, à la croisée de la souffrance, de la guérison, de la vie et de la mort, des passeurs sont nécessaires, pour vous aider à vous reconstruire, à réveiller en vous les forces de vie, à vous mettre en marche. Nicolas de Tonnac est l’un d’un et son livre est le reflet de cette expérience.
« Cette direction que nous suivons, ce mouvement vers, tout cela s’appelle le chemin. Ce que nous avons à être, c’est exactement cela. Etre celui qui se rapproche de ce qu’il est, être en chemin. Etre au plus près de l’enfant que nous avons été qui confondait le but et le chemin, qui était dans l’instantané. »
Le livre : Nicolas de Tonnac, Chacun porte en soi une force insoupçonnée
L’adresse : L’artichaut Quai du Cheval Blanc 9
1227 Carouge
Tél : +41 22 301 90 91
3 Comments
A force de se poser sans arrêt des questions sur la vie, sur son sens, sur les chemins qu’il faut suivre, on arrive parfois tout bêtement, tout simplement à oublier de vivre !
Graine de provocateur ! A ton âge, tu sais que se poser des questions, réfléchir à ce qui nous arrive est consubstantiel à la vie comme le sont la respiration, les battements du cœur, la capacité de s’émerveiller, le don d’aimer !
C’est vrai que j’aime te provoquer 🙂
Mais tu as parfaitement compris le sens de mon propos.
Que serait devenu l’humanité si la seule philosophie, la seule religion qui aurait eu un monopole sur l’évolution était le boudhisme ? On serait tous dans des arbres avec des clochettes (mais qui les fabrique ? )
Question con ? probable : je ne suis pas philosophe comme toi, Maître !