Bientôt les vendanges ! Précoces, elles le seront à coup sûr. Entre deux et trois semaines d’avance selon les régions Chaque année – médiatisation oblige – c’est la course à qui vendangera le premier. La faute à des conditions climatiques exceptionnelles avec un hiver et un printemps très doux, hormis l’épisode catastrophique du gel de fin avril. Puis une vitalité incroyable de la nature, sous l’énergie débordante d’un mois de juin et juillet hors normes.
Je connais des vignerons qui n’en seront pas à leur première vendange du millésime. Ils sont (au moins) quatre. André et Arthur Ostertag, vignerons à Epfig en Alsace. Et les Valaisans Jean-François Maye et Maurice Zufferey avec lesquels, du 24 février au 10 mars 2017, j’ai eu la chance de vivre une expérience inoubliable : tout d’abord, les vendanges à Montsecano, puis un trek sur l’altiplano chilien, à la frontière de la Bolivie, du Chili et du Pérou.
Depuis plusieurs années, André Ostertag me parlait du projet Montsecano qu’il a mis sur pied avec trois amis (voir entretien ci-dessous), de ces collines sauvages, de l’énergie incroyable du lieu, de la lumière et du jeu des éléments dont les vins portent l’empreinte magique. Pas étonnant qu’ils aient été désignés à plusieurs reprises comme le meilleur pinot noir du Chili ! Il fallait aller y voir de plus près. Nous avons découvert un lieu extraordinaire, une viticulture héroïque, une forme de dépouillement qui confine à l’épure et à l’essentiel et cette façon de s’en remettre aux forces de l’invisible qui n’appartient qu’aux pionniers, aux amateurs dans le noble sens du terme, qui ont su garder, dans leur être intime, une âme d’enfant, qui aiment ce qu’ils font et savent qu’aller au bout de ses rêves, et les partager, est le secret d’une existence réussie.
Retour sur cette aventure qui, après les vendanges à Montsecano dans la vallée de Casablanca au cœur du Chili, nous a menés vers d’autres collines enchantées (les cerros), à Valpo la merveille, la « Vallée-Paradis », puis l’envoûtement des hauts plateaux, du désert d’Atacama au rhyolites de Suriplaza, des rives du lac Chingara jusqu’à Visviri, avec sa gare fantomatique, son train figé à jamais, au milieu de nulle part.
Des images, des visions, que les mots peinent à traduire parfois.
Posé les sécateurs, nous avons suivi le frou-frou des étoiles, dans cette clarté incroyable de la nuit chilienne. La nôtre passe par des pistes tortueuses, sur des bribes de l’énigmatique chemin de l’Inca, de Pasto en Colombie à Santiago de Chili, sur les routes caravanière de Llama, bordées de géoglyphes et d’une litanie de camions dont certains fument encore, échoués au fond des ravins pendant que, des villages voisins, montent les chants du Carnaval. Dans la vallée d’Azapa, nous saluons des momies de l’antique culture Chinchorro.
A Belén, chez Adele Cutipa, nous buvons à la santé des dieux en fuite. Où ? Peut-être sur la « route de l’Argent » réalisée par les Espagnols. Le vin est notre trait d’union. Ces noms, égrenés égrenés au fil des étapes, délicieusement décalés, sonnent comme des promesses : Refugio, Païen, Orchis, Clos des Fous, Duende, 739. L’ivresse nous irrigue. Nous suivons un poète à la trace, le grand Pablo Neruda, mort au début du coup d’Etat du 11 septembre 1973.
Vin couleur de jour,
Vin couleur de nuit,
Vin aux pieds de pourpre ou sang de topaze,
Vin, fils étoilé de la terre,
Vin lisse comme une épée d’or,
Doux comme un velours froissé,
Vin enroulé en spirale et suspendu,
Amoureux, marin,
Tu n’as jamais tout à fait contenu dans un verre,
Dans un chant, dans un homme,
Corail, tu es partout,
Et dans l’intime aussi
Altitude 4130 m : sous la protection des flamants roses, des vigognes, des vizcachas et des oies. Au Salar de Surire, nous flottons sur les sources brûlantes de Polloquerre, invités au sanctuaire de la Nature. Près du lac Chungara, le temps a changé, risées sur l’onde, griffures des buses sur le ciel fuligineux.
Dans le lointain le Parinacota s’étire jusqu’à 6348 m. Tam-tam dans les crânes. Sur les contreforts du Cerro Iquilla, à plus de 5000 m, l’œdème menace. Il faut redescendre, rejoindre Visviri et les éleveurs d’alpagas sous un ciel zébré d’éclairs. Dans son descriptif, notre guide, David Ducoin (Tamera et Lonely Planet) aécrit « Déambulation hautement improbable dans l’ambiance de ce village des ultimes confins ». Nous y sommes !
Entretien avec André Ostertag au sujet de Montsecano (publié dans Vinifera 47, octobre 2012)
Comment est né ton projet ?
Il est né d’une soif d’aventure et de dépaysement. A 45 ans, j’ai éprouvé le besoin d’agrandir mon espace vital et onirique. Depuis l’enfance, j’ai toujours été fasciné par le Nouveau Monde, territoire de tous les possibles! Alors pourquoi le Chili ? C’est une pure coïncidence ou plutôt une rencontre, d’abord avec le photographe Julio Donoso, puis avec Alvaro Yanes et Javier De la Fuente, rencontre qui s’est transformée en solide amitié. Et comme, pour nous quatre, il n’y a pas de grand vin sans cœur vibrant, l’amitié est, à Montsecano, au cœur de notre vin !
Comment décrire Montescano ?
C’est une colline magique que nous avons baptisée notre « colline sacrée ». Elle est située sur les hauteurs de la vallée de Casablanca, près du port mythique de Valparaiso, à 10 km à vol de goéland de l’océan Pacifique. Elle est invisible aux yeux des passants, difficile d’accès et de ce fait, parfaitement préservée des vicissitudes du monde moderne. Elle est encore entourée d’arbres et d’arbustes natifs où nichent des centaines d’oiseaux et la biodiversité n’y est pas un vain mot. La vigne y a été plantée sur de petites terrasses taillées dans la colline, elle y est cultivée en biodynamie et le travail s’y fait à la main ou au cheval. La vigne y pousse franche de pied, libérée de son porte-greffe. Pour moi, c’est un véritable retour aux sources de la viticulture d’avant le phylloxera.
Pourquoi avoir choisi un modèle purement artisanal et sur un petit domaine alors que la mode là-bas est aux grands domaines ?
Parce que pour nous, être vigneron, c’est être un artiste à l’écoute de sa terre. Seul un modèle de taille humaine permet cette relation privilégiée indispensable à tout vin authentique et de caractère.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?
Des difficultés financières avant tout car démarrer un vignoble à partir de rien nécessite un investissement très lourd. Au Chili, les petites entreprises n’existent quasiment pas et le système bancaire n’a rien prévu pour leur financement. Toujours pour les mêmes raisons, d’immenses difficultés à trouver des approvisionnements de proximité car contrairement à l’Europe, il n’existe pas de petites structures de services à l’activité viticole, les grandes propriétés ayant intégré tous ces métiers annexes. Il faut aussi évoquer les rendements très bas à cause de la sécheresse et de la volonté de privilégier l’enracinement profond au rendement immédiat, ce qui ne facilite évidement pas la gestion financière d’un tel projet. Mais établir un vignoble d’excellence échappe totalement aux impératifs modernes de la finance, n’est-ce pas ?
Quelles sont les différences significatives entre l’Europe et le Chili ?
Je soulignerai des différences entre l’Alsace et la Vallée de Casablanca car ce sont là mes points de repère. Je pense surtout au climat : Montsecano est soumis à un climat méditerranéen avec des pluies en hiver seulement et sec le reste de l’année. En conséquence, il faut irriguer, du moins le temps d’installer le système racinaire en profondeur, mais, en contrepartie, il n’y a pas de mildiou ou de botrytis et la vendange se fait sans stress au niveau de la météo.
On parle beaucoup de « terroir » dans les vignobles du Vieux Monde. Qu’en est-il au Chili ?
Le Terroir est bien là mais il n’est quasiment jamais révélé à cause des pratiques culturales basées sur une irrigation intensive, qui aboutit en fait à une viticulture « hors sol » coupée de son terroir. D’où le profil gustatif caricatural des vins chiliens, véritables «bombes fruitées» qui finissent très vite par lasser le palais. Pour moi, la plupart des vins chiliens sont inachevés. Ce sont des vins solaires coupés de leurs racines terrestres ; ils n’ont pour ainsi dire pas de fondation. A Montsecano, tout notre travail consiste justement à rééquilibrer les forces ascensionnelles de la lumière et les forces fondatrices de la gravité, de sorte à goûter la salinité profonde autant que le feu céleste. Au Chili, le ciel est presque trop puissant, trou d’ozone oblige. Il faut donc arriver à contre-balancer cette lumière irradiante et quasi aveuglante par une extraction racinaire équivalente. Là-bas, c’est la clef du coffre-fort Terroir.
Des anecdotes ?
Des innombrables anecdotes qui émaillent une telle aventure, je retiens l’incroyable histoire du millésime 2009 qui a d’abord fait le délice des oiseaux. Là-bas, il y en a des centaines et comme ils sont fins connaisseurs, ils apprécient particulièrement le goût des raisins de Montsecano ! Mais là n’est pas l’histoire. Comme, en 2009, notre chai n’était pas encore construit – il ne l’a été qu’aux vendanges 2010 -, nous avions alors vinifié à 600 kilomètres au sud chez notre ami Louis-Antoine Luiyt à Cauquenes. Nous avions cette année-là produit 7 barriques de vin et l’élevage se déroulait sans encombre dans la cave de Louis-Antoine, jusqu’au terrible tremblement de terre du 27 février 2010, d’une intensité de 8,8 sur l’échelle de Richter, qui fit d’immenses dégâts à Cauquenes et détruisit totalement la cave de Louis-Antoine. Toit et charpente de la cuverie effondrés, cuves éventrées, vin écoulé, c’était une vision d’apocalypse ! Il fallut plusieurs semaines pour déblayer et sauver ce qui pouvait encore l’être. Et là, miracle, dessous les gravats dans un capharnaüm indescriptible, nos 7 barriques, dont la pile s’était effondrée, apparurent pleines et sauves ! Nous les rapatriâmes à Casablanca où Pablo Morande nous offrit généreusement l’hospitalité… Et c’est à Casablanca qu’elles finirent tranquillement leur élevage et furent embouteillées en juin 2010. En Europe, on parle parfois de millésime sauvé des eaux. Montsecano 2009 est quant à lui un millésime sauvé de la terre, d’un des plus terribles tremblements de terre de l’histoire du Chili!
Merci à Eduardo Bascunan, notre guide sur l’altiplano, à David Ducoin pour ses conseils. Merci surtout à André, Christine et Arthur Ostertag, ainsi qu’à leurs associés, pour leur accueil chaleureux à Montsecano !
3 Comments
Bel endroit avec un paysage à couper le soufle…
Thanks for finally writing about >Chili, des collines inspirées aux sanctuaires daltitude <Loved it!
Existe-t-il un mouvement des vins nature dans cette région du monde ?