On suit à la trace le grand Jim à travers ces textes qui empruntent au paysage qui les a vu naître ses rythmes, sa violence, son jaillissement, irriguant peu à peu nos vies de lecteurs d’une jubilation secrète. Il y est certes question de bouffe, de grandes célébrations bachiques – amour immodéré de Jim pour quelques vins (Bandol de Tempier et Isole e Olena notamment), mais Harrison ne se laisse jamais enfermer dans un rôle, serait-ce celui du jouisseur, du gourmand invétéré. Manger, chez lui, procède d’une célébration cosmique, d’une incorporation primordiale, d’un rapport aux animaux qui nous entraîne dans d’autres étages de la durée, un devenir différent, tellurique, sens mêlés.
"Je me suis demandé comment nous pouvions nous façonner, corps et esprit, pour habiter pleinement cette terre."
Ce que l’on chasse, pêche, cueille, sens aux aguets, ce que l’on prépare, ce que l’on mange nous habite, nous rapproche de ce monde sauvage dont nous avons perdu la trace.
"Estomac en panne. Quinze livre de trop sur la balance. Les dangers de la goinfrerie publique. Retour au monde sauvage à l’aube."
Face au réel
Et voilà la grande leçon, la morale de ces vagabondages gourmands ! Jim Harrison nous entraîne, longs cercles concentriques à partir du chalet du Michigan, dans ses dérives, son immersion dans un monde d’avant l’homme.
Rencontres.
Avec un énorme taureau égaré le long du San Pedro. Qu’il faut calmer en lui chantonnant Tumbling Tumbleweed…
Avec cet ours vautré sur le banc de sable de la rivière, qui «griffait faiblement l’air comme s’il voulait restructurer les nuages.»
Rencontres également avec les éléments qui vous traversent, vous désarticulent, vous laissent épuisé, exsangue sur le bord du monde. Tel cet orage strié d’éclairs qui semble avoir pris Jim pour cible : «seul un être aussi sentimental que moi peut se convaincre qu’une tempête est peut-être en train de le choisir…»
Se coltiner la réalité, impérieuse, supérieure – tumulte, bruissement, obstination lente – cet autre monde, celui de la vie sauvage, des vraies questions philosophiques. Que l’on commence par dévorer. Ni illusions ni faux semblants ici.
Et soudain c'est l’illumination au bout du sentier qui poudroie, dans le moment que l’on n’attend pas, dans la lumière qui vous entoure, lorsque le soir descend, et le temps qui vous effleure différemment.
Seul au monde ? Oui, presque…
Avec vos chiens d’arrêt comme compagnons.
Mais pour le meilleur !
"Très récemment, j’ai eu de la veine avec le problème du «temps», car je me suis aperçu que le temps n’est pas quelque chose que nous passons, mais que bien plutôt il se dissout autour de nous comme la lumière tombe en fin d’après-midi. La mort devient une échéance relativement aisée à négocier quand on pense à la Terre comme à un champ de mines vieux de cinq milliards d’années."
Voilà pourquoi il faut relire Jim Harrison.
Jim Harrison, Aventures d'un gourmand vagabond 10/18 domaine étranger, 357 p.
2 Comments
un homme qui se souvient bien des années plus tard avoir passé un moment fomidable das un routier breton ne peut pas être tout à fait mauvais, bien au contraire, immense bonhomme, c’est sûr!
Il y a chez lui un appétit de vivre tout à fait fascinant ! C’est vraiment un monument de la littérature américaine. Qui n’aime que les vins européens. Ou presque…