Comme l’enseignement, le sport, la justice ou la politique, la cuisine est un peu le miroir de notre temps. Nous venons y chercher une vérité que d’aucuns croient perdue ou dévoyée. Crissier, gros bourg à la lisière de la grande ville, ne semble pas avoir changé depuis un siècle ou deux. Juste un peu plus de circulation. Surtout à l’heure où les ventres sont en rade, où les appétits s’aiguisent, les sens s’électrisent.
L’ancienne prébende du chapitre de Lausanne doit à son Hôtel de Ville de rayonner depuis de nombreuses années au centre de l’univers gourmand. Grâce à Fredy Girardet d’abord qui dès 1965 y prit la succession de son père Benjamin et mena l’établissement au firmament de la gastronomie. Puis à Philippe Rochat qui, de 1997 à 2012, œuvra dans la ligne du maître en y apportant sa vision.
Benoît Violier, qui a travaillé avec Girardet et Rochat, a repris l’établissement en 2012 avec sa femme Brigitte, faisant entrer l’Hôtel de Ville dans le 21ème siècle. Nouvelles salles et, surtout, nouvelle cuisine, lumineuse, sans séparations. Finis les découpages statiques, le coin pâtisserie, le secteur poissons. L’espace ouvert favorise la communication et soude une équipe. Les chefs de partie échangent ainsi régulièrement leurs rôles.
Aux commandes de l’immense paquebot, l’énergique et charismatique Benoît Violier. Aussi grand cuisinier que communicateur, soucieux du bonheur de ses convives. Du compagnonnage il a gardé l’obsession du meilleur, le goût de l’échange, le souci du bonheur des autres. Il suffit de voir la façon dont il accueille les clients qui, au moment de l’apéritif ou, à la fin de repas, viennent le saluer, attendris, les yeux embués. Cette cuisine entée sur des produits d’exception, parfaitement maîtrisée, symphonique, si elle ne laisse rien au hasard, sait aussi créer l’émotion.
J’ai eu le privilège cette fois-ci de franchir le gué et déjeuner en cuisine, à la table d’hôte en compagnie d’un ami japonais et – surprise ! – d’Andreas Caminada, du Schloss Schauenstein.
De part en part, malgré sa profusion, menu fut tonique, lumineux, traversé par une forme de grâce ébouriffante. La cuisine de Benoît Violier, frontale, précise et limpide.
Pas de garniture inutile, pas de falbalas, d’émulsions ou de bigarrures. Juste l’épure, avec, au centre, le goût. Et cette sensation d’être emporté dans un mouvement allègre, fragile et continu, une forme de ballet gustatif aux sensations multiples, subtiles, fortes, toujours harmonieuses.
Au moment clé, face au merveilleux Lagopède d’Ecosse dont la chair savoureuse recèle les parfums de son habitat naturel, impression relancée par l’infusion de baies sauvages qui l’accompagne, j’ai dit à mon commensal : voilà un plat que l’on ne goûte qu’une fois ou deux dans sa vie, si la chance est avec nous ! – Ce plat est d’une telle perfection, a-t-il répondu, que pour moi ce sera l’unique fois où je l’aurai goûté !
Juste avant l’exceptionnel Râble de lièvre, on a eu droit à une leçon de découpe de la selle de Mouflon par le légendaire Louis Villeneuve (voir la vidéo !).
Sur un air de chasse from Jacques Perrin on Vimeo.
Gibier particulièrement difficile à chasser, le mouflon offre une saveur d’une finesse étonnante. Un mariage splendide avec un Gevrey-Chambertin 2009 Vieilles vignes du domaine Fourrier choisi sur les conseils avisés de Michele Caimotto. Quant au mouflon il avait été tiré quelques jours plus tôt, sur les pentes du Mont Ventoux, par le chef lui-même.
Les trois Benoît. De gauche à droite : Benoît Guichard, l’ancien chef du Jamin et Joël Robuchon, Benoît Violier et Benoît Carcerat, chef de cuisine
Pendant ce temps, dans l’intervalle qui sépare les plats, nous regardions, fascinés, le ballet des cuisiniers, constatant à quel point, tel l’orchestre attentif au moindre souffle, à la plus légère indication du maestro, la brigade, sorte de phalanstère du goût, cristallise les rêves, les visions et le calme intérieur de son chef. Ici, durant trois heures,nulle tension, aucun stress – juste un froncement de sourcil suite à un geste maladroit – mais une rigueur de tous les instants, un posé et une fluidité des gestes exemplaires, une rigueur déliée, une maîtrise accomplie des fondamentaux de la cuisine : le feu (la cuisson) et le temps. Bref, un déroulé impressionnant. Une leçon de zen à la sauce occidentale… conclut mon sigisbée.
2 Comments
Paraît que c’est complet tous les jours jusqu’à la fin de l’année : on continue à rester riche en Helvétie ?
Bravo pour ce reportage et des bécasses !!!
Du temps des grandes heures, chez L’Ami Louis, où elles étaient par deux, flanquées de 6 ortolans ! Oui, Monsieur !
Nicolas de Rabaudy sur Benoït Violier :
http://www.slate.fr/story/107713/lausanne-gastronomie-francaise-honneur