J’ai eu la joie de fréquenter Marcel Lapierre durant de nombreuses années. A une époque où l’on regardait les vins sans soufre ajouté comme des ovni. J’ai été son premier importateur en Suisse et une amitié est née entre nous. C’est Marcel qui m’a présenté à Jacques Néauport, puis à Jules Chauvet. A la même époque, j’ai connu Pierre Overnoy.
Dans les jardins de la bande à Lapierre
Nous nous retrouvions lors de fêtes mémorables que Marcel organisait à Villié-Morgon. Je me souviens notamment de celle où Pascal Santailler, cuisinier surdoué et bras droit de Jean Bardet, avait préparé un superbe et imposant brochet pour une cinquantaine d’amis, dans la cour des Chênes. Il y avait aussi Thierry Nerisson, sommelier facétieux et vibrionnant. Philippe Paccalet, beaucoup d'autres encore… Les plus grands vins défilaient. Ceux du noble Beaujolais, d’un raffinement et d’une complexité incroyables et ceux des voisins, les Bourgognes d’amis, les Ramonet, les Rousseau. Que de beaux souvenirs. C’est ainsi que s’est constituée ce qu’on a appelé, plus tard, la bande à Lapierre.
Dans la bande à Lapierre, chacun avait sa place, son surnom, ses quartiers d'été et d'hiver, ses jardins secrets, ses humeurs, son goût pour l’insolite et le naturel. Jacques Néauport, c’était selon les circonstances Bidasse ou Grenouille. Alain Braik, L’ingénieur Liberté. Le plus grand de tous, le modèle, la figure tutélaire s’appelait Monsieur Chauvet ! Certains lui donnaient parfois, en secret, du Panoramix. Allez savoir pourquoi !
Etre chez soi…
Et Lapierre, c’était Marcel, un monde à lui tout seul, avec sa barbe fleurie au fil du temps, son regard de barde celtique, son style inimitable. En fait, Marcel avait aussi un surnom, officieux, qui lui allait bien : Raminagrobis, le prince des chats cher à Rabelais. C’est celui que lui avait choisi Jacques Néauport. Ce côté chat, solitaire et fédérateur, gourmand et philosophe, presque patelin parfois, convenait parfaitement à Marcel, à qui l’ingénieur Liberté Braik écrivait un jour :
"Cher Marcel,
La philosophie – c’est-à-dire la vraie liberté – c’est d’être chez soi.
Donc, plus tu réussiras à être "aux Chênes" réellement chez toi, plus tu seras réellement libre et donc heureux et peinard."
Marcel Lapierre, tu as su être chez toi, libre et (presque) peinard. Tu nous a quittés. Nous sommes morgon de toi. Tu auras la vie des chats, plurielle. Merci !
Le livre Alain Braik, Les raisins de la raison, préface de Marcel Lapierre, Jean-Paul Rocher, éditeur
3 Comments
Eh merde !!
Moi qui, heureux, ouvre votre blog de bon matin, je tombe sur cette sale nouvelle pour tous les hédonistes de la planète.
D’heureux, je passe farouchement triste, j’avais bien envie de goûter ses 2009 avec lui, moi !
On s’était rencontré, chez lui, alors que je devai passer l’aprem avec le fils. En retard, j’avais finalement passé une fin de journée joliement échevelée avec lui, à même le Morgon, à boire la différence entre ses vins sans souffre et ceux très légerement protégés.
Ca à l’air bête comme ça, surtout sur un "blog de professionnels", vous qui vivez des milliers de moments comme celui-ci, mais pour moi ça compte ces 3-4 hrs partagés avec lui, cela fait partie intégrante de ma culture épicurienne, à la vie, à la mort.
Ciao Mr Lapierre.
On connait tous ce proverbe africain:
"Chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle".
Alors, un vigneron…
Marcel était un homme complexe et parfois contradictoire, donc un homme.
Marcel a été le premier vigneron indépendant du beaujolais à réussir à faire de son nom une quasi marque, par la notoriété qu’il a acquise au fil du temps.
Marcel a connu de son vivant une réussite commerciale quasi sans précédent, exportant ses vins partout dans le monde, avec un réel savoir-faire.
Marcel a aidé à faire connaître le beaujolais au delà du sans soufre.
Marcel avait du charisme, et il manquera à de nombreux vignerons du secteur.
Marcel aura marqué son époque, que l’on ait été "fan" ou pas.
Paix à son âme.