C’est l’heure de la rentrée de tous côtés. Scolaire. Politique.Economique. Littéraire aussi. Avec, déboulant, arrivés d’on ne saitquelles étranges planètes, une constellation de livres comme des crisjetés à la mer. Des futiles (beaucoup) ; des mélancoliques ;des rassérénés ; des exaspérés ; des formatés (lamajorité) ; des essentiels : quelques-uns à peine et dont,peut-être, on ne recevra la lumière que bien plus tard, quand leursauteurs ne seront plus là… Livres de l’heure la plus silencieuse qu'évoque Zarathoustra :"Alors l'Autre me dit encore comme en un murmure: "Ce sont lesparoles les plus silencieuses qui apportent la tempête. Ce sont lespensées qui viennent comme portées sur des pattes de colombes quidirigent le monde." (Nietzsche)
Paradoxe : le monde de l’édition ne se porte globalement pastrès bien et jamais on a autant publié. 727 livres etromans dans le colimateur pour la rentrée ! Presque dix pour centd’augmentation par rapport à l’an passé… Parmi eux, les valeursconsacrées, les «marques» – les Nothomb, Darrieusecq, Modianoand co – les découvertes, les programmés (le livre de Réza sur Sarkozy,celui de Mazarine Pingeot sur les bébés congelés), les déjà oubliés etla cohorte des viennent-ensuite. De quoi donner le tournis à tous lescritiques, orpailleurs pressés, qui, d’année en année, doivent passerau crible une production devenue pléthorique.
En attendant d’y voir plus clair, de distinguer, dans la brume, lesphrases qui dessineront des possiblités de vie, qui révèleront, non pasdes personnages plus ou moins convenus, des histoires de triangulation ou de recherche des origines, maisdes paysages, des événements, des durées, je reviens sur un petit livrepublié en 2004 chez Laurence Teper et que j’ai découvert par un étrangehasard : Dans le temps qu’il marchait de Michèle Desbordes,un auteur récemment disparu et dont l’œuvre, singulière, forte, restera… Quelques titres : L’Habituée, Artemisia et autres proses,La Robe Bleue, La Demande, Le Commandement, Le Lit de la Mer etfinalement, plus intime, autobiographique, interrompupar la disparition de Michèle Desbordes en janvier 2006, l’Emprise.
J’ai croisé un jour le chemin de cette écriture et j’ai été sidéré… J’écrivais un chapitre consacré àdeux écrivains marcheurs, Rimbaud et Robert Walser. Ce chapitre s'intitulait Aux marches du temps. C'est à ce moment-là que j'ai découvert Dans le tempsqu’il marchait de Michèle Desbordes, que je ne connaissais pas.
Ce recueil est composé de deux textes consacrés àHölderlin. Le premier, très court, consiste en une évocationsaisissante de l'existence d’Hölderlin, de sa vie intérieure, écrite àl’imparfait. Lente trace calcinée dans le sillon des mots.
"Bien des fois il parla du feu du ciel et du silence des hommes. De ceque, disait-il, c'était qu'écrire. Il disait qu'il n'était rien encoreet que peut-être il ne serait jamais rien. Il parlait de rêve et deferveur, de cet emportement qui le prenait par quoi il en venait àoublier le monde, au plus froid des sommeils il disait qu'il rêvaitencore" (p. 16)
Le second texte de Michèle Desbordes évoque en une forme de poèmenarratif la longue marche de Hölderlin de Bordeaux à Nürtigen, de mai àjuillet 1802. Suzette Gontard, la Diotima de l’Hyperion, vient dedécéder. Que se passe-t-il au long ces cinq mois, durant ce lent retourau pays natal, jusqu’à Nürtigen où vit la mère d'Hölderlin, sèche et menue(«d’elle il dit qu’elle avait conclu un pacte avec ladouleur ») ?
Ce retour est un voyage vers l’ailleurs. Fixer l’errance ? Plus leterme du voyage se rapproche, plus Hölderlin s’éloigne de lui-même. Ason arrivée, sa propre mère ne le reconnaît pas :Hölderlin a sombré dans la folie.
Dans une écriture lumineuse et troublante, sans ponctuation mais avecdes vides, des silences, des respirations qui sont comme deshalètements, le poème de Desbordes dit ce voyage intérieur, la douleur lancinante, cette lente descente à l’intérieur de soi-même, au pointincandescent où tout feint de s’éclairer, de prendre consistance, avantde perdre pied. Définitivement.
"Il hâtait le pas marchait comme il n’avait jamais marché se disantqu’il ne s’arrêterait plus ne pourrait plus s’arrêter Entendait-on comme la terre bruissait et mêmepassé minuit ce frémissement par dessus les toits Comme parfois encore Le chagrin comme l’oiseaudans le ciel Ivre Immobile Il n’yavait plus il n’y aurait jamais plus autant de bleu chaque fois il faudrait avancer dans le gris dans ce qui parfoisne se laissait pas dire commeavancent ceux qui n’en finissent pas de marcher et personne ne peutsavoir où ils vont ni d’où ils viennent"
Heidegger, lors d'une promenade :"Wozu Dichter in düftiger Zeit ?" A partir de 1946, le philosophe allemand a fait écho à la question fondamentale posée par Hölderlin, oui, pourquoi des poètes en ces temps de détresse ?
(p. 45)
2 Comments
J’adore la citation de Nietzsche. Et suis également intrigué par la référence au livre de Michèle Desbordes, mais pas au point d’avoir envie de le lire plutôt que de lire Hölderlin lui-même, quoique…
Lisez les trois ! Emotions garanties !
[…] Perrin, Jacques. De Nothomb à Hölderlin. Mille plateaux : le blog de Jacques Perrin, 26 août 2007. https://www.cavesa.ch/blog/de-nothomb-a-holderlin/ […]
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