Ecrivain fécond, prolixe (soixante livres au compteur tout de même !), polymorphe, Sollers, aime séduire autant qu’expérimenter, vrai libertin, tel l’ « oiseau de proie qui s’écarte et ne revient pas ». Ce qui après tout, le rappelle-t-il, est la plus belle et plus lettrée définition du libertin !
Expérimenter quoi ? Tout : le temps, la parole, le sexe, la connaissance comme libération ou comme salut :
« Dans nos vies, nous comprenons, dès l’enfance, que si nous voulons être libres, nous sommes en guerre, plus ou moins. Dans la plupart des cas, les enfants sont tout de suite ravagés par des parents infernaux, des mères dévastatrices… J’ai écrit comme j’ai vécu, en créant des possibilités de prendre la tangente. »
Sur BATAILLE : "Je revois Georges Bataille entrant, autrefois, dans le petit bureau de la revue Tel Quel, et s’asseyant dans un coin. Je suis peu enclin au respect. Mais là, en effet, silence. Sans fin."
Et revoilà la gnose ! Hermès Trismégiste avec son Discours Parfait où il dialogue avec Asclépius. Hermétique, tout ça ? Oui, forcément. Nécessaire en tout cas pour comprendre et le titre et la portée du livre. Pour le reste, chacun fera son miel comme il l’entend. Chacune tracera sa piste à travers les thèmes, modulations et figures de penseurs et d’écrivains qui jalonnent ce livre rare, frondeur, inactuel (par rapport aux canons du prêt à penser littéraire et philosophique).
Benjamin Péret (à gauche) et André Breton à la chasse au papillon.
Sur BRETON : "Tout semblait plat et perdu, le conformisme était à son comble, le mensonge traînait partout, comme aujourd’hui, la vie humaine semblait promise à l’étroitesse et à la contrainte, et Breton, lui, n’avait pas cédé, il était la poésie, dans ce qu’elle a de plus libre et de plus magique."
On ne se refait pas : certains, épidermiques et frivoles, jugeront peut-être insupportable le Sollers glosant Sollers, ou l’ »aimé des fées » pratiquant avec allégresse le grand écart entre M. de Sade et Martin Heidegger dans sa clairière de l’Etre.
Sur ARTAUD : "Un poète ? Oui, très grand, mais ce mot couvre de petits commerces. Un penseur ? Oui, fondamental, mais qu’aucun philosophe ne saurait mesurer."
Gnose ou pas, entrez dans ce Discours Parfait. Pénétrez dans cette galerie, lâchez tout ! Partez sur les aires et les traces de Céline, Stendhal, Verlaine, Rimbaud, Claudel, Mauriac, Fitzgerald, Cecilia Bartoli, Cioran, Michaux, Joyce, Artaud, Martha Argerich, Chateaubriand, Blanchot, Rousseau, Buffon, Goethe, Saint-Simon, Bataille, Poe, Hugo, Van Gogh et, of course, Nietzsche, grand inspirateur de Sollers, lecteur parfait…
Sur NIETZSCHE : "Ce qu’a toujours souhaité être Nietzsche physiologiquement, c’est avant tout un marcheur, un coureur, un danseur, un musicien. Il a passé sa vie dans des sauts, des embardées, des pérégrinations incessantes, dans la montagne, dans des cavernes."
Ce millier de pages, adossées au babil des bibliothèques en feu, pétille, crépite d’intelligence, vibrionne de jouissances, traverse des continents abrupts, des déserts inouïs, des fêtes sombres, des déchirures, des stratégies actives. Le tout servi par une écriture nerveuse, musicale, incisive comme l’aguzeda, le mot de Gracian, qui, note Sollers, évoque la pointe de l’épée et le piqué de l’aigle.
Un livre foisonnant, corrodant, éclairé !
Sur PROUST : "Proust a cette phrase extraordinaire : »Il nous semble d’autant plus difficile de mourir que nous sommes plus de choses. » C’est vrai : les grands écrivains ne devraient pas mourir. D’ailleurs, ils ne meurent pas, ils se prolongent les uns les autres, ils viennent au secours de celui qui respire encore dans ce monde de fou."
Le livre Philippe Sollers, Discours Parfait, 918 p., Gallimard. Sur le même ouvrage, voir également ici l'article de Jean-Louis Kuffer.
2 Comments
Trivial :
la 203 ! Il y avait un bouton "d’avance à l’allumage".
Jamais su à quoi ça servait. Première voiture de la famille : toute une époque…
OK, je sors… ©
"je sors" …
Ah, d’accord ! 🙂