– Ce que tu es dur, René ! Ce que tu es dur ! furent les premiers mots de Devouassoux à Desmaison…
Serge Gousseault et René Desmaison avaient attaqué la face nord des Grandes Jorasses le jeudi 11 février avec l’intention d’y tracer une voie nouvelle, une directissime de l’éperon Walker, la plus complète, la plus engagée et la plus belle des voies du massif.
Deux ans après le drame, accompagné de Michel Claret et de Giorgio Bertone, René Desmaison revient sur la paroi, affronter ses démons et, surtout, parachever la voie en sortant au sommet. Les quatre-vingts derniers mètres, de loin la plus partie la plus facile, sont gravis au cœur d’une tempête furieuse et dans le souvenir encore lancinant de la fin de Serge Gousseault dont la voie porte désormais le nom et qui ne sera que très rarement répétée (4 ou 5 fois) tant elle place très loin la barre en terme d’engagement.
Petite anecdote personnelle : j’ai rencontré René Desmaison en 1968 ou 1969, je crois. Il venait présenter le film qu’il avait réalisé sur l’ascension du pilier central du Frêney en hivernale avec Robert Flematti. Je me souviens de sa voix chantante, de son accent périgourdin, des extraits du Tannhäuser qui venaient, un peu pompeusement, souligner la dramatisation de l’ascension, la Chandelle sommitale, les pieds dans les étriers, et ce souvenir de l’autre drame qui s’était joué ici avec Bonatti, autre "héros mythique", qui l'avait précédé sur ces lieux et s'était juré de n'y revenir jamais après avoir perdu trois de ses compagnons. Desmaison était simple, affable, avec de grande mains burinées, la clope au bec, l’œil malicieux. Nous étions quelques jeunes passionnés de montagne, venus l’écouter comme on écoute une épopée. Sûr qu’il compta pour beaucoup dans cette passion qui irradia à ce moment-là nos existences.
L’homme qui a bravé tant de dangers, franchi les abîmes, tutoyé la foudre, tenté maintes fois d’apprivoiser la langue silencieuse du gel, est décédé le 28 septembre à Marseille à l’âge de 77 ans. Presque un paradoxe de mourir ainsi, dans son lit. Trois ans après «le Grec », Georges Livanos, autre grand de l’escalade ! René Desmaison fut un des fers de lance d’une nouvelle génération qui, début des années soixante, après la résolution des grands problèmes classiques des Alpes (Eiger, Cervin, Grandes Jorasses, Badile par la face nord), ont jeté les bases de l’alpinisme contemporain, rapide, audacieux, technique, très novateur dans sa recherche d’itinéraire et d’enchaînements. L’autre grand de cette époque vit toujours. Il s’appelle Walter Bonatti et son nom sonne comme une légende. Ce dernier doit se sentir bien seul aujourd’hui…
3 Comments
Seul Jacques pouvait écrire cet épitaphe au grand Desmaison.
Merci
C’est vrai que c’était un géant de l’alpinisme. Un rebelle aussi. Exclu de la Compagnie des Guides de Chamonix (qui ne l’aimait pas et réciproquement) après le sauvetage des Allemands aux Drus avec Hemmings. Il a compris avant les autres l’importance de la médiatisation.
Sur la photo du blog, on dirait qu’il est au bivouac, et qu’il a vu les diables !