Situé à Sainte-Colombe en Côtes de Castillon, le domaine de l’A est le joyau rêvé/imaginé/réalisé par Christine et Stéphane Derenoncourt. Un terrain d’expérimentation et de réflexion sur la viticulture et l’esthétique du vin, mais aussi un lieu de vie et de ressourcement.
Le domaine de l’A, pourquoi ? Pas seulement pour figurer en tête de l’abécédaire, mais parce que c’est l’initiale de mots essentiels pour Christine et Stéphane Derenoncourt : Amour, Amitié et, peut-être aussi, Aventure.
C’est en effet autour de ces trois pôles que s’articule l’histoire du domaine de l’A telle que nous l’a présentée Stéphane Derenoncourt. Juste avant une verticale aussi rare qu’excitante !
« Je suis autodidacte. Je n’ai aucun diplôme – je suis tourneur-fraiseur à la base – j’ai donc appris mon métier sur le tas. J’ai été ouvrier agricole pendant dix ans, puis, ce qu’on appelle pompeusement « directeur technique », c’est-à-dire un mec mal payé qui s’occupe de tout !
Christine est entrée dans ma vie en 1997 et on a décidé de faire quelque chose ensemble, car quand on travaille pour les autres, faire son propre vin, c’est une espèce de rêve. C’était un peu notre premier bébé. Et aussi, parce que je voulais faire du conseil selon ce que je savais faire. Ce qui m’a passionné dans ce métier, c’est que le raisin, selon l’endroit où il situé, doit exprimer des goûts différents. Et c’est dans ce sens-là que je voulais aller. Quand j’ai commencé le conseil en 1999, j’avais sept clients et je travaillais 80 heures par semaine, ce qui n’était pas possible. Donc, je me suis dit qu’il fallait que j’embauche des gens. J’ai commencé à rencontrer des jeunes œnologues. Or, un jeune œnologue à Bordeaux, après deux ans d’étude, il a passé deux demi-journées au total dans la vigne, il ne fait même pas la différence entre un merlot et un citronnier, en gros… Et donc on s’est dit avec Christine qu’avec son propre domaine, c’était aussi l’opportunité d’avoir un centre de formation et un laboratoire parce qu’on s’est très tôt intéressés à tout ce qui était « bio » et Dieu sait qu’au niveau des traitements et du suivi, Bordeaux, c’est l’endroit le pire au monde pour faire du « bio » puisqu’on n’a pas loin de chez nous un océan qui nous envoie constamment de l’humidité, donc les cryptogames se portent très bien chez nous.
On s’est mis à rechercher un domaine et ce fut très difficile : nous n’avions pas d’argent à l’époque et chez nous les banquiers – je ne sais pas si c’est la même chose en Suisse – prêtent de l’argent à ceux qui en ont. Et puis on est tombés amoureux d’un endroit, d’une petite parcelle qui faisait 2.5 ha. C’était une opportunité incroyable. C’était un type qui avait 40 ha dont 36 ha de m… dans les sables, en bas, à côté de la rivière, et 4 ha magnifiquement situés. Il était en pleine crise de la cinquantaine. Il était en train de lâcher bobonne pour une ravissante jeune femme qui lui faisait tourner la tête et qui voulait des bijoux et des voyages. Donc, il s’est dit, je vais vendre ça… C’était parfait pour nous !
On a fait un truc qui était une première en France. On est allés voir un banquier, on lui a expliqué notre projet et ça n’a pas passé. Nous avons alors imaginé de nous adresser à nos clients. Nous leur demandions un apport par tranche de 5000 FF et nous leur avons proposé un contrat où nous nous engagions à leur rembourser la somme investie en vin de la nouvelle propriété sur quatre millésimes. Nous avons eu 200 réponses positives et nous avons ainsi pu lever un million de FF. Quand on a fini de payé nos 2.5 ha, il nous restait de quoi acheter une brouette. On n’avait pas de tracteur, on n’avait rien du tout. Heureusement qu’on avait près de nous des gens qui nous ont beaucoup aidés comme Stefan von Neipperg et Nicolas Thienpont.
Aujourd’hui, c’est un domaine qui s’est étendu. On a eu la chance de pouvoir acheter des parcelles contiguës très bien situées. On a 7 ha d’un seul tenant, tous exposés sud, sur une côte argilo-calcaire. On est des grands amoureux du calcaire : c’est mon terroir de prédilection. Le calcaire, c’est la roche la plus magique, pour la région bordelaise en tout cas. Et on s’est agrandi ensuite avec 3 ha de plus sur le plateau. Nous avons donc dix ha au total. Nous étions contents, car les vignes situées sur le plateau donnent des vins un peu plus tendus et c’est ce qu’on recherche. Jusqu’en 2005, nous avons fait le vin dans une petite cabane où chaque cm2 était utilisé. Et nous avons enfin pu construire notre cave.
Au niveau de la viticulture, nous travaillons en biodynamie, car c’est mon école de pensée et ma conviction. Nous ne sommes pas certifiés. On est très observateur au printemps, car c’est là que notre ennemi principal, le botrytis, s’inocule. Nos rendements sont minuscules. Nous avons beaucoup de vieilles vignes. On est dans une moyenne de 15 hl/ha. C’est trop faible au niveau de la rentabilité. Les Côtes de Castillon, c’est une grande appellation qui n’a jamais trouvé son identité. Elle date de 89 et fait 3500 ha. Encore aujourd’hui, il y a environ 60 % des vins qui sont déclassés en Bordeaux parce que pour les négociants, c’est beaucoup plus facile de vendre un Bordeaux que du Castillon. Au niveau de la cave, c’était très important. On l’a construite nous-mêmes. On est sur un modèle bourguignon, avec une cave voûtée.
En ce qui concerne la dégustation verticale, on a voulu faire quelque chose de plus ludique plutôt que de prendre le modèle habituel où l’on part du plus jeune pour aller vers le plus vieux. Nous allons goûter à l’aveugle par thématique de millésimes ».
Première série
Domaine de l’A 2007
Il est expressif, notes de cassis, fruits noirs, puis il truffe à l’ouverture. Belle fraîcheur en bouche avec une ligne finement mentholée et un très joli équilibre. Seul le grain du tanin, in fine, laisse apparaître les limites du millésime.
Comme le fait remarquer Stéphane : « lorsque le merlot se trouve sur des sols calcaires, il présente des notes florales, épicées et acquiert une fraîcheur supplémentaire avec des notes presque salines et une forme en bouche différente du merlot sur argile ».
Domaine de l’A 2006
Belle expression au nez en dépit d’un léger côté « métallique » de prime abord. Il est davantage orienté sur les épices, moins en fruit. Trame souple et tanin ferme, un peu statique. Christine Derenoncourt rappelle que les vendanges furent précédées par une pluie abondante et Stéphane, très critique, relève les défauts de « construction » sur ce vin : il est large à l’attaque, mais n’a pas de relief…
Domaine de l’A 2002
La robe la plus soutenue de la série. Végétal, menthol au premier nez. Puis fève de cacao.Entrée en bouche souple ave un très joli volume et une finale où apparaît une note crayeuse. Le tanin, un peu rigide, trahit un millésime plus difficile, mais l’ensemble est plutôt réussi. Rendement de 12 hl/ha à peine !
Stéphane rappelle que les vins du domaine ne sont jamais collés mais filtrés. « le collage appartient à une époque où l’on ramassait moins mûr » précise-t-il.
Deuxième série
Domaine de l’A 2011
La robe est encore jeune (on goûte à l’aveugle). Nez complexe, intense, cerise, violette, belle aromatique, fine, précise. C’est un vin svelte, élégant, avec beaucoup de dynamisme. Stéphane : » c’est un vin de maturité de septembre, un vrai millésime de vigneron.»
Domaine de l’A 2008
Belle robe sombre. Nez intense, gorgé de fruits rouges. Corps superbe, parfaitement articulé et finale soutenue, complexe. Une grande réussite !
Domaine de l’A 2004
Stéphane rappelle son credo : »pour moi le vin est une recherche esthétique mais pour y arriver il faut ramasser à une maturité suffisante ». Nez très fin, sur des notes de cèdre, d’épices. Corps nuancé, très fin, avec une vraie dimension de sapidité et finale admirable par sa pureté.
Troisième série
Domaine de l’A 2009
Robe sombre. Le nez offre une vraie dimension de complexité. « Là, on était dans l’exotisme, se souvient Stéphane, et quand on est dans l’exotisme, la vitesse de vieillissement est plus rapide ! »
A ce stade, ce 2009 affiche pourtant une forme éblouissante. Il est uni, ascendant, avec des tanins longs et séveux et une finale de grand caractère.
Domaine de l’A 2003
La robe présente quelques notes d’évolution. Nez assez solaire, généreux, qui manque un peu de raffinement par rapport aux deux précédents. Confirmation avec la bouche, un peu baroque, mais moins précise et un tanin un peu moins patiné.
Domaine de l’A 2000
Nez sur les tabac, les épices, la truffe, le cuir, avec un léger côté gouache. Le vin est déjà en phase d’évolution. C’est bon, mais il faut le boire. Dans ce millésime généreux, les vins étaient très séduisants jeunes « mais un peu surcotés » comme le rappelle SD, lequel ajoute encore : » Ceux qui achètent des côtes de Castillon et qui attendent 40 ans pour le boire ils ne sont pas encore nés.
« De toute façon, aujourd’hui les gens boivent les vins de plus en plus jeunes. Ils ont arrêté de gérer des caves, car si vous voulez un vin aujourd’hui, en 2 ou3 clics et en 48 heures, vous l’avez ».
Quatrième série
Stéphane : »C’est une série où on est à la fois dans l’aromatique et dans le classicisme aussi, avec une définition de la deuxième partie plus cristalline, plus précise, dixit SD. Alors que dans la série précédente, on était davantage tourné vers l’exotisme. »
Domaine de l’A 2010
Couleur très soutenue. Nez magique. Le fruit est idéalement mûr. Corps ample, généreux. Texture veloutée avec un dynamisme superbe. Superbe développement, on a une reprise en bouche remarquable. Le plus grand domaine de l’A à ce jour. Collector !
Domaine de l’A 2005
Encore un nez superbe, sur la mûre, les fruits noirs. Le corps est au diapason, sur un profil légèrement mentholé. Très belle assise tanique, mais la finale ne paraît pas avoir toute l’ampleur et la profondeur du 2010.
Domaine de l’A 2001
Notes d’épices, d’herbes sèches, de truffe, de violette avec une évocation balsamique en arrière-fond. Très beau volume, élancé finale sur les épices avec une empreinte boisée. Jusqu’en 2007, les vins étaient élevés dans 70 % de bois neuf, puis le pourcentage a baissé. Il fait plus que figure honorable dans cette série.
Après cette verticale, Stéphane a relevé que, depuis le premier millésime, une construction s’est faite. Un approfondissement s’est opéré au vignoble, avec des meilleurs sols, plus vivants, de meilleurs enracinements, une expression du terroir plus originale.
Merci à Christine et Stéphane qui, malgré un agenda hyper chargé, ont trouvé le temps de venir partager cette soirée dans le cadre de l’Ecole du Vin avec, parmi les dégustateurs présents, plusieurs vignerons de la région.
3 Comments
Excellente cette aventure…bravo! Il me semble qu’il y a une belle âme derrière ce Monsieur Derenoncourt.JB.
Merci superbe article. J’aimais déjà le vin et maintenant J’aime le vin, son histoire et la personne qui est derrière ! très beau billet merci !
J’étais curieux de ce vin, depuis quelques semaines. Envie d’acheter quelques bouteilles de 2016 pour la garde…Ce billet m’a séduit et convaincu. Merci de m’avoir fait découvrir les Derenoncourt producteurs.