Jacky Rigaux a commencé la soirée par un prolégomène (rien à voir avec la lutte des classes vineuses chère à M. Slurp, voire Ségo !) dont il est friand.
Evoquant la demande de classement de la Côte bourguignonne au patrimoine culturel mondial de l’UNESCO, sous le libellé « vignobles et climats de Bourgogne », Jacky Rigaux a souligné l’importance de la notion de « climat » : » la notion de climat est plus importante encore que la notion de terroir », a-t-il rappelé. « Lorsque les appellations se sont mises en place en 1937, seule la Bourgogne a exigé que l’on respecte les climats et la hiérarchie qui l’accompagne. »
Pas étonnant dès lors que Jacky soit fasciné par les moines-vignerons bénédictins dont il a rappelé le rôle fondamental dans la naissance du vitrail bourguignon.
Ce sont eux qui, à la chute de l’Empire Romain, mandatés par les évêques de Langres et d’Autun, ont classifié, hiérarchisé, défini les formes des grands climats bourguignons. Quand ? A partir du VIème siècle, au moment de la première Renaissance qui coïncide (déjà !) avec un retour à la rationalité. Ce retour n’est pas anodin. Aristotéliciens dans l’âme (si j’ose dire…), les bénédictins sont convaincus que le réel peut être délimité avec des outils rationnels. De cette intuition prédictive naîtrons les crus tels que nous les connaissons aujourd’hui. A quelques extensions près. Comme les Echezeaux par exemple.
La dégustation
Meursault 1er Cru 1992, Genevrières, Domaine des Comtes Lafon
En guise de mise en bouche. Grand millésime en blanc dans un style qui l’apparente au 1964, voire au 1953. Pendant longtemps ce vin a été très fermé. Aujourd’hui encore, il ne se livre pas immédiatement. Après une heure dans le verre, quel éclat, quelle noblesse d’expression. Aucune trace d’usure, un vin joyeux, floral, miellé, légèrement balsamique, avec des notes pâtissières (frangipane), florales aussi et une bouche qui associe d’une façon remarquable opulence et tranchant.
Issu de la réunion, en 1937, de 11 lieux-dits, le grand cru les Echezeaux (37 ha 99 et 22 ca) a été considérablement agrandi à cette époque par rapport au climat d’origine, Echezeaux Haut dans lequel se situe la vigne de la DRC. Nous goûtons là l’Echezeaux originel.
Beaucoup de finesse au nez, même si le boisé (c’est normal) est encore présent. « Un nuage de violette qui nous séduit » (JR). Très jolie texture, avenante, déliée, « d’une noble consistance » comme aime à la dire Jacky Rigaux. On évite ici les notes végétales, le côté gentiane, très fréquent sur les vins du millésime. On goûte évidemment ce vin un peu trop jeune pour apprécier toute la complexité de son retour en bouche.
9 ha 14 a 45 ca pour ce climat qui fut la propriété des cisterciens, superbement installé sur une dalle calcaire du Bajocien avec de belles argiles. Sans doute un des climats qui, comme le souligne Jacky Rigaux, génère une des plus belles consistances de la Côte.
Superbe vin qui, à l’ouverture (goûté sur plus de deux heures) révèle une gamme aromatique éblouissante, d’un raffinement d’anthologie : cerise sauvage, fruits à noyau, fleur d’églantier, touche épicée, cèdre, mine de crayon, notes orientales, poivre blanc « cette touche qui, si l’on insiste un peu au niveau de l’olfaction, peut nous amener jusqu’à l’éternuement. » Bouche remarquable par son développement, sa texture et sa finale aux tannins fuselés. Aucune notion de flétrissement ou d’usure dans le fruit que l’on peut trouver sur certains 2000.
Jacky Rigaux souligne la vivacité et l’impression minérale sur ce vin : » Pour que la vivacité soit radieuse, il faut que le raisin sont à bonne maturité et c’est cette vivacité qui donne le relief où transparaît la minéralité. Le couple vivacité/minéralité, c’est un des critères de la dégustation du gourmet que je veux réhabilier. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas foutu de nommer la minéralité en dégustant que cette dernière n’existe pas ! »
Domaine de la Romanée-Conti, Romanée-Saint-Vivant 1999
9 ha 43 a 74 ca. Sols profonds (90 cm), bruns calcaire à texture très argileuse (50 %). On trouve deux types de calcaires dans la roche-mère : du Bajocien terminal et, sur la partie basse, du calcaire à entroques. Il faut les deux, rappelle Jacky Rigaux, pour avoir une grande St-Vivant. On doit ce cru aux moines de l’Abbaye éponyme qui, traversant la France à la recherche d’un endroit où s’installer, les reliques de St-Vivant dans une urne, se sont arrêtés en Bourgogne et ont façonné ce cru.
Parmi les crus de la DRC, la St-Vivant a souvent été un peu un retrait. Depuis le millésime 2005, elle a retrouvé sa place, au firmament. Dans ce millésime, exceptionnel, elle nous restitue toutefois une grande partie de la magie de son noble terroir. Robe magistrale, profonde, encore très jeune. Nez exubérant, complexe, qui délivre des impressions quasi « tactiles », cerise noire, mûre, fumé. Corps dense, expressif. Texture veloutée, consistante. Très belle suite en bouche et finale expansive, complexe, aux nuances de violette fumée.
Domaine de la Romanée-Conti, Richebourg 1993
Le nom de Richebourg apparaît pour la première fois en 1512. Le cru actuel est la réunion du Richebourg 5 ha 05 a 18 ca et des Véroilles ou Richebourg : 2 ha 98 27 ca
Sol peu épais, avec beaucoup d’éboulis. On est sur ce fameux calcaire Bajocien qui est la signature de la plupart des grands crus bourguignons. « Comme aimait à le répéter mon professeur, le géologue Leneuf : c’est quand même sur le Bajocien terminal que le pinot noir chante le mieux ! »
Encore très fermé, sur une dynamique fraîche et épicée avec une touche évoquant le poivron que l’on associe d’ordinaire davantage à La Tâche en vin jeune, ce Richebourg a visiblement besoin d’un peu de temps encore. C’est d’ailleurs le seul vin de la soirée qui aurait mérité de passer en carafe (il a peu évolué entre le moment du service et la fin de la soirée). Limite austère. Cistercien peut-être ? Voire davantage…
Ce grand cru de 6 ha 6 a 20 c est, on le rappelle ici, un monopole de la DRC. Entre les Malconsorts au sud et la Grand Rue au nord, La Tâche présente une exposition parfaite. Elle regarde résolument vers l’est à une altitude allant de 250 à 300 mètres, rappelle J. Rigaux. Très faible rendement au domaine en 1991 sur ce cru. D’où une concentration époustouflante. La robe est d’une jeunesse insolente. « ça va tenir le siècle… » s’extasie Jacky. Nez de très grande race, complexe, mystérieux avec une minéralité florale et épicée d’une noblesse rare. « Ceux qui ne croient pas à la minéralité dans le vin, ça va les aider à mettre un nom dessus… » s’enflamme notre conférencier. La bouche est grandiose dans son développement, émouvante dans sa complétude, avec une finale réglissée et florale qui laisse l’assistance sans voix. Même le frère convers Régamey en a perdu son latin !
1 ha 80 a 50 ca, l’autre monopole du domaine. Plus qu’un symbole, le mythe fondateur de toute idée de terroir et de climat. Et dire qu’en 1241 une dizaine de moines du Prieuré St-Vivant se réunissent en conseil et décident de vendre le Cros des Cloux, cette parcelle qui constituait la parcelle ouest des Cloux de Saint-Vivant, connue aujourd’hui sous le nom de Romanée-Conti ! Cette parcelle regarde l’est à 260 m. Sol brun-calcaire, peu profond, carbonaté, ferrugineux, doté d’excellentes argiles. Substratum de calcaires durs du Jurassique moyen.
Nous dégustons ce vin dans son accomplissement. A son apogée. Presque quarante ans. C'est un vin au-delà du vin, une essence de vin. Qui marque un accomplissement. Difficile de mettre des mots là-dessus, de dépiauter des arômes, tel un parfumeur avec ses mouillettes. Certes, un nez et une rétro-olfaction de parfumeur (intéressant de noter que ces vins portent encore davantage leurs arômes au palais qu’au nez, comme s’ils les redoublaient) mais touche-t-on ici à l’ineffable ?
Pour le restant de nos jours, on a ce souvenir, inscrit à jamais, d’une rose idéale, épanouie. Elle peut-être perdu un peu de "sa vêprée » mais le corps, la saveur, tous les constituants du vin (aromatiques et tactiles) sont unis, aériens, présents. Ils ont la douceur d’un soir de la vie, quand la lumière descend. On sait seulement ceci : même si plus jamais nous sera offerte la chance d’y goûter, à ce vin, à cette lumière, nous continuerons d'en emporter le souvenir.
5 Comments
Chapeau pour ce magnifique reportage.
Avoir le frémissant Jacky pour animer une telle dégustation, c’est ajouter la truffe au caviar.
Archivage des commentaires nécessaire pour les futures dégustations de ces crus chez Christian qui se fera une douce violence en ouvrant ses propres flacons !
La vie est courte, ne jamais l’oublier !
Merci de ces notes de référence.
L’émotion à son plus haut niveau.. La DRC et ses vins donne une impression de rigueur et de savoir-faire unique. Alchimie parfaite entre le noirien et son terroir. Une leçon pour nous… Magnifique compte rendu.
Juste pour l’accompagnement:
http://www.dailymotion.com/relev...
Merci !
Dégusté au domaine un Echézeaux 1999 très marqué par ce millésime plantureux, ubiquiste en raison d’une richesse baroque (un aspect extraverti de de syrah, presque) heureusement équilibrée par une trame fraîche de confiance.
On dégustera dans la foulée, à titre instructif, un superbe Echézeaux 1989, plaidant pour une trajectoire satisfaisante d’un 1999 bien extravagant.
Bernard Noblet nous a confié qu’il aurait été judicieux de laisser un peu plus de rafle sur cet Echézeaux 1999.
Un lecteur sagace nous signale cette incroyable tentative de chantage dont la DRC a été victime. Merci Alfredo !
lci.tf1.fr/france/faits-d…
Faisait la Une de la presse locale encore hier… Ceci dit les vignes vont bien, on est allé "vérifier".
A noter un bout de Saint Vivant en jachère actuellement, et des surgreffages récents en Tâche.