« Dix-huit ans c’est un bel âge pour un grand vin, c’est le moment où tous les descripteurs du gourmet sont au beau fixe » a rappelé en préambule Jacky Rigaux.
Le millésime 1995 : un temps froid durant la fleur a provoqué coulure et surtout millerandage. Si juillet et août ont favorisé une bonne maturation du raisin, septembre, en revanche, a fait défaut avec un déficit au niveau de l’ensoleillement de 77 heures par rapport à la moyenne et des pluies éparses. Pourtant la vendange sembla arriver à maturité, sans attaques notables de botrytis. Ceux qui, comme le rappelait Henri Jayer à Jacky Rigaux, étaient équipés d’une table de tri et n’ont pas hésité à opérer un tri drastique de la vendange à cause de l’hétérogénéité de la maturation et, aussi de blocage de maturité dus à un été très chaud, réussirent de grands vins.
La dégustation
Chambolle-Musigny « Les Fremières » 1995 Ce climat est situé à côté des Beaux-Bruns. « On est dans une climatologie type Bonnes-Mares. Dans ce coin-là, il faut être très méticuleux quant à la date de vendange ». Notes de ronce, fruits rouges, un peu de végétal ; le fruit est encore présent en bouche, portée par une vivacité. Très jolie texture. Les tanins sont légèrement sur la constriction. Notes épicées sur la finale. Il offre une présence aromatique accrue en bouche. J’aime la pureté et la droiture de sa finale, sur la fraîcheur mais avec de la tenue.
Nuits St-Georges « Aux Lavières » 1995 Notes balsamiques, un peu plus d’empreinte de bois, en passe de se fondre. « Concentrez-vous bien sur les descripteurs de bouche. Surtout, ne vous privez pas du premier nez, c’est souvent le plus délicat. » rappelle, fidèle à ses principes, Jacky. C’est un vin plus structuré, avec davantage de trame, que le précédent. Un vin avec de l’énergie qui offre une belle finale. On devine ici un terroir plus calcaire.
Volnay-Santenots 1er Cru 1995 L’étage qualitatif entre les premiers crus et les Villages est parfaitement respecté. Nez intense, mais pas complètement ouvert. On a les notes de fleurs séchées, d’épices orientales, minérales. Très belle bouche, fine, incisive, superbe forme, élancée, grande race. Il finit sur la tension et une dynamique des saveurs très belle. Finale très sapide, d’une grande longueur. Ce vin est issu d’une petite vigne de 35 ares qui a toujours donné du fil à retordre à Lalou – une vigne que Lalou a failli arracher (voir interview ci-dessous) mais qui donne, très régulièrement, un vin sublime, comme c’est le cas ici.
Nuits St-Georges « Aux Boudots » 1er Cru 1995 Un peu marqué par un léger réduit de bois. Belle bouche ronde, sphérique, avec une finale légèrement racinaire, très fraîche.
Clos de Vougeot Grand Cru 1995 Avec 1ha90 en trois parcelles différentes, le domaine Leroy est bien nanti sur ce grand cru. C’est la robe la plus évoluée des trois grands crus présentés ce soir. Notes superbes de havane, sous-bois, épices, café, truffe. Corps splendide. Grande texture, caressante et finale terrienne.
Romanée St-Vivant Grand Cru 1995 (99 a) Un chef-d’œuvre ! Superbe nez, floral, épicée, complexe, mystérieux même. Corps imposant, d’une fraîcheur et d’une énergie incroyables, avec le côté floral (violette) et le raffinement de texture des grandes Romanée St-Vivant.
Lalou Bize-Leroy, vendanges 2012 :
"Il y a des gens qui trouvent que mes vins ne sont pas très bons et que moi, je suis folle…"
Interview de Lalou Bize-Leroy parue dans Vinifera no 23 – Février 2011
• Lalou Bize-Leroy comment vous êtes-vous passionnée pour le vin ?
J’ai été élevée dans l’amour du vin par mon père et ma mère et, depuis toute petite, j’ai un grand respect pour le vin. Ce qui est enfermé dans la bouteille, c’est le trésor de la terre et le travail des hommes. Ce sont beaucoup de peines, beaucoup de joies aussi…Quand on ouvre une très vieille bouteille, on se demande: est-ce que ça sera comme elle était ? Parce que ça change, ça évolue et l’on ne peut qu’éprouver un respect infini pour ceux qui ont cultivé la vigne cette année-là et ceux qui ont fait le vin.
• Qu'est-ce qui est fondamental pour vous dans le vin ?
Pour moi, c’est un message assez fort … Dela terre, du village, des hommes …
• Et le rapport du vin au temps ?
C’est forcément dans le temps ! La vie d’un vin est très semblable à la vie d’un homme. Si le vin a été fait convenablement, si l’on a mis en œuvre tout ce qu’on a pu, je crois qu’un vin peut durer très longtemps et se révéler intéressant à tous les stades. Tenez, l’autre jour, à San Francisco, on nous a offert une bouteille de Meursault-Charmes 1932 ! Et bien, je vous assure que ce vin était plus jeune que moi, il n’avait pas une ride… 1932, c’est mon âge, c’est pour cela que je peux comparer… Ce vin était somptueux, un vin blanc, pourtant pas issu d’ungrand millésime… C’est ça le vin, c’est le miracle de la vie.
• Etes-vous sensible au côté mystique du vin ?
Oh oui ! Le vin, c’est un symbole de vie éternelle, il ne faut pas l’oublier. C’est la leçon du vin et chaque fois, devant une grande bouteille, on se pose les mêmes questions, c’est la vie, c’est un constat. Il y a une énergie, il y a une évolution qui va vers la complexification… Il devrait en aller de même pour nous ! Normalement, nous devrions évoluer vers le mieux. Un retraité, dans le bon sens du terme, c’est quelqu’un qui fait sa retraite, qui vit intensément, qui arrête de se disperser, pour se concentrer. Le vin, c’est pareil.
• Comment avez-vous découvert la bio-dynamie ?
Je ne savais pas que cela existait. C’est un article que Patrice Pottier avait écrit dans La Tribune de Genève sur Nicolas Joly qui m’amis la puce à l’oreille. Je me suis dit, c’est ce que tu cherches…. J’avais déjà essayé la biologie, mais ce n’était pas ça. Nous sommes allésMarcel et moi voir Nicolas Joly, nous avons visité son domaine, ses vignes, et nous sommes revenus convaincus, ou convertis. Je voulais surtout ne pas avoir à arracher mes vieilles vignes qui étaient en très mauvais état même si tout le monde me disait : il faut arracher ceci, il faut arracher cela… Quand j’ai compris que, en biodynamie, on pouvait redonner la force, la vie, j’ai commencé tout de suite, sur l’ensemble du domaine.
• Comment cela se passe au niveau des vignes ?
J’ai une équipe qui s’occupe du domaine Leroy et une équipe qui s’occupe d’Auvenay. Je vais très souvent dans les vignes. J’aime bien y aller seule car il faut être tranquille.
• Pour visiter toutes vos vignes il vous faut du temps…
Ah oui, il me faut plus d’une journée pour les voir toutes …
• Quelles sont vos vignes préférées ?
Je les aime toutes. Ça dépend des moments. J’aime bien me retrouver en Mazis. J’adore également être dans la St-Vivant ou dans les Criots mais je ne suis pas objective car plus une vigne me donne de soucis, plus je l’aime, surtout quand elle commence à redevenir belle …
• Comment procédez-vous sur un domaine aussi morcelé pour positionner vos traitements d’une façon précise ?
Par exemple, pour la 501, nous n’avons qu’une solution, c’est l’hélicoptère parce que sur 45 km on ne peut pas faire autrement et c’est impératif de le faire avant qu’il fasse chaud, il faut qu’à 8 heures tout soit fini. Moi je crois beaucoup à la biodynamie mais il faut qu’on travaille beaucoup, on a beaucoup de choses à essayer. Cela dit, il faut répéter que c’est pas parce qu’on fait de la biodynamie que l’on fait nécessairement des grands vins ! Actuellement les gens n’ont qu’une chose à faire, c’est de tout mettre en oeuvre pour faire bon. Maintenant, il y a des gens qui manquent de discernement, qui ne savent pas dire que c’est mauvais…
• C’est la raison pour laquelle il faudrait convier vos voisins à venir goûter vos vins …
Je n’ai de leçons à donner à personne et puis vous savez je suis très discutée en Bourgogne.
• Faites-vous partie de ceux qui pensent que les gens sont en train de perdre le goût du grand bourgogne ?
Parfois, je me le demande. Je me dis: tu es toute seule à ramer comme ça. Il y a des déjà des gens qui disent, sans doute par jalousie, “ce qu’elle fait, ce n’est plus du pinot tellement c'est concentré…”
• Avez-vous des doutes ?
Oh oui ! Même tout le temps… Je suis assez pénible. Je pense toujours, tiens, si tu avais fait cela, ce serait peut-être mieux…
Sur le domaine Leroy et Lalou Bize-Leroy, voir également ici !
Pour lire cet article en anglais, c'est ici !
Comment
Madame :
"je suis très discutée en Bourgogne"
Personne ne discute la qualité de ses vins, bien au contraire.
Si discussion il y a, c’est au sujet de sa politique tarifaire que, par ailleurs, on peut comprendre pour quelqu’un qui veut éviter le marché gris.
Bu, offert par LPV chez Georges Blanc, son Narbantons 2007 : rien que ça, de quoi donner des boutons à des producteurs de grands crus.
Mais, s’il est permis, probablement l’exemple unique d’une personnalité à l’opposée de ses vins. Mais bon, c’est un autre débat.