Celle du Cornalin Antica et Cœur de Clos de Corbassières du domaine Cornulus à Savièse. Puis, en fin d’après-midi, celle de l’Ermitage Grain d’Or de Marie-Thérèse Chappaz à Fully.
Cette approche est passionnante : elle permet de prendre le pouls, de mieux comprendre l’aptitude au vieillissement de certains vins issus des meilleurs domaines du Valais.
Stéphane Reynard l’a souligné : on ne fait pas ce genre de verticale tous les jours. Marie-Thérèse Chappaz et lui avaient, pour chaque verticale, convié quelques autres personnes, amis, producteurs, journalistes pour partager ces moments privilégiés.
Domaine Cornulus, verticale de Cornalin
Cornalin Antica 2007 (pas de Cœur de Clos dans ce millésime).
Le vin est encore en élevage. Quelle pulpe, quel naturel d’expression. Etonnant, malgré les limites du millésime…
Cornalin Antica 2002
Cornalin Cœur de Clos des Corbassières 2001
Millésime historique car c’est le premier ! Deux fûts produits : chaque bouteille est désormais entrée dans la catégorie « collector »… Essai transformé par les deux cousins ! Superbe matière. De l’amplitude et de la sève. La seule limite de ce vin est l’élevage.
Cornalin 2003 « pirate »
Fruits noirs, crémeux, tannins un peu abrupts. On ne dit jamais le nom des pirates, sinon ils vous trucident…
Cornalin Antica 2003
A l’aveugle, je le préfère au « pirate » : meilleure construction en bouche et finale plus stylée.
Cornalin Cœur de Clos des Corbassières 2004
C’est le vin que j’avais fait découvrir à Michel Bettane et qui, l’an passé, a triomphé au Grand Tasting à Paris. Dense, droit, d’une noble austérité, il termine fuselé. Anthologique pour le Cornalin en Valais.
Cornalin Cœur de Clos des Corbassières 2005
Sublime de raffinement aromatique et quelle perfection formelle. Texture veloutée, encadrée par une trame tannique exemplaire. A ce stade, la finale, un peu chaude, a toutefois moins de classe peut-être que sur le 2004 mais cela viendra !
Cornalin 2000 pirate no 2
On ne prononce toujours pas le nom des pirates, même lorsqu’ils sont aussi beaux que celui-ci !
D’une certaine manière il est un peu la synthèse du 2004 et 2005 et se trouve donc au même niveau qualitatif. Donc au-dessus du « pirate » !
Deux fûts produits hélas : encore un vin en passe de devenir légendaire. Si quelqu’un peut me dire dans quel restaurant on peut encore le trouver, je suis disposé à faire le voyage.
Cornalin Antica 2006
A la fin de cette verticale, Marie-Thérèse Chappaz était visiblement heureuse, et nous avec, d’avoir pu accomplir ce voyage. L’Ermitage est un des ses vins préférés et elle sait le défendre avec passion et conviction.
Elle a de qui tenir : c’est son grand-oncle, le Conseiller d’Etat Maurice Troillet qui a introduit ce cépage en Valais au début des années vingt et l’a planté sur les Claives. La vieille vigne originelle de marsanne, taillée en gobelet, est donc âgée aujourd’hui de plus de 80 ans. Les mêmes vignes donnent naissance au Grain d’Or et, si l’année est favorable, au Grain Noble : outre la partie originelle, les autres vignes de marsanne sont âgées d’une quarantaine d’années. A noter que l’assemblage comprend environ 5 % de roussanne.
Grain D’Or Ermitage 2006
Superbe expression, texture crémeuse, bouche ascendante : mirabelle, massepain, acacia. Finale irradiante.
Grain D’Or Ermitage 2005
Il est sur la fraîcheur, écorces d’agrumes et fleur d’oranger. Une réussite également.
Grain d’Or Ermitage 2004
A l’instar du Cornalin Cœur de Clos 2004 dégusté ce matin, on se trouve ici en présence d'une autre réussite absolue du millésime : cannelle, écorce de mandarine, coriandre fraîche, ce vin carafé deux heures avant livre une partie de ses promesse. Cristallin, complexe, il résout l’équation de la finesse et de la puissance. Gardez-le précieusement encore quelques années !
Grain d’Or Ermitage 2003
Il est sur des notes truffées et iodées. On y trouve aussi les notes de rhum archétypiques. Déjà très épanoui, c’est un grand vin de gastronomie. Je lui associerais volontiers au homard à la mangue et au poivre. Avec le 1996, c’est un des Ermitage les plus truffés.
Grain d’Or Ermitage 2001
Un style à part, très tendu, dynamique avec un brin de mystère, voire de "mysticisme", dans l’expression aromatique (notes d’encens).
Grain d’Or Ermitage 2000
C’est le premier millésime en biodynamie.
Grain d’Or Ermitage 1999
Un vin étonnant que même Marie-Thérèse avait oublié et qu’elle redécouvre avec grand plaisir. C’est le jus de goutte du Grain Noble. Exotique et truffé avec des notes de pralin, café grillé, gingembre confit, thé de Chine, il finit sur des notes suaves avec une sucrosité parfaitement intégrée.
Grain d’Or Ermitage 1997
Incroyable explosion truffée. Il réalise la quadrature du cercle au niveau aromatique. Le plat qui l’accompagnerait ? Un risotto au parmesan, citron, et… truffe, suggère Marie-Thérèse.
La bouche n’est pas totalement unie. On peut lui faire confiance et l’attendre encore un peu. Il va s’épanouir gentiment et s’unir avec le temps. Disons, dans 10 ans ?
Grain d’Or Ermitage 1995
Grain d’Or Ermitage 1994
Waou, l’extrait sec sur ce vin : il possède une énergie, une présence minérale incroyable. Proche d’un grand riesling. De l'essence de terroir !
« il me semble que je faisais mieux avant, j’adore ça ! Pourtant, à l’époque, il n’était pas aussi beau que ça… On n'a jamais fantasmé avec ce vin. » (MTC)
Grain d’Or Ermitage 1993
Grain d’Or Ermitage 1993 mi-flétri
Deux Grains d’Or différents ont été produits en 1993. Celui-ci, plus gras, avec la mention "mi-flétri" sur l'étiquette, titrait 125 Oe. Il finit sur des notes d’amertume, de quinquina, d’infusion. Un vin strict, un peu austère.
Grain d’Or Ermitage 1992
Une année calamiteuse pour les vendanges tardives et le Grain Noble. Le vin est souple, sans milieu de bouche mais encore jeune dans ses notes aromatiques. Il est un peu fluide peut-être mais son acidité l’a tenu. Certains entendent rassurer Marie-Thérèse. Elle leur rétorque :
« Je m’en fous parce que j’ai toujours su déguster mes vins, je te dis que ce vin est un peu aqueux. »
La messe est (presque) dite.
Ermitage Président Troillet 1991
Une bouteille rare, amenée par Stefano Delitroz ou Stéphane Gay ? Belle matière mais il finit lourd, sans grâce. A boire.
« A l’époque je m’occupais moins bien des vins, je laissais le vin se faire et je priais pour que ça se passe bien.« (MTC)
Ermitage Président Troillet 1990
Superbe expression. Il est resté très frais au niveau aromatique, très ciselé.
"Tu attends un royaume ?"
Avant d’avoir connu Marie-Thérèse, j’avais rencontré son oncle, Maurice, le poète, que j’admire. Au milieu des années cinquante, Maurice Chappaz fut le « régisseur » du domaine des Claives qui appartenait à son oncle Maurice Troillet. Il y a même planté une vigne d’humagne blanche qui donne aujourd’hui un des vins les plus rares signés par Marie-Thérèse.
On trouve dans le recueil A rire et à mourir, ce texte intitulé « deux gouttes d’ombre ». Comme un double trait d’union. Entre le passé et le présent. D'un vin à un lieu. D'un ermitage à l'autre…
"Leur double cri bleu annonce la nuée aux quatre coins du vallon aux clairières brunâtres, tapi dans sa moiteur d’après la neige.
Semaines d’eau et de rouille.
Les arbres quittent les chemins, guillotinés par les coucous.
Mon ermitage s’est fondu dans le brouillard. Il y a des gouttes d’oiseaux dans le ciel. Je n’ai pas mangé. Je ne bougerai pas.
Toute vie s’écoule comme de la pluie.
– Tu attends un royaume ?"
6 Comments
Un seul peut ainsi associer poésie et fine description de grands crus : toutes nos félicitations au Grand Jacques !
Mais est-ce raisonnable de travailler ainsi le dimanche ?
C’est peut-être davantage indispensable que raisonnable.
Merci,
Laurent
Voyons François, quand on aime on ne compte pas. Je sens que si je continue à lire ce blog, je vais finir par m’installer en Suisse.
C’est super ! comme dit naïvement Marie-Thérèse.
Et dire que le ravissant azulejo à droite de l’entrée de sa cave en Liaudisaz (5ème photo) a été offert à la Vigneronne par un de ses ouvriers portugais doué et attentionné.
«Je suis physique comme la vigne et le vin. Lui, il se trouble, moi je prie. Et ma prière c’est peut-être de me soûler jusqu’à ce que je sois ivre mort. Eh bien, c’est une prière comme une autre ! Jusqu’à ce que je clarifie mon regard, jusqu’à ce que je distingue Celui qui m’a offert le monde.»
Maurice Chappaz, Le vin appelle sa mère.
Je ne vous surprendrai pas en vous confiant que j’ai eu de grandes émotions avec les vins de Marie-Thérèse Chappaz (et pas qu’en petite arvine grain noble).
Sublimes grands liquoreux.
Laurent/Alain : on y va fin novembre ?
Je suis partant. T’enverrai mes disponibilités en privé rapidement.
amicalement,
Laurent