Ce drame suscite évidemment un légitime émotion dans les journaux et dans le public. Tous les ingrédients sont réunis : le nombre d’abord, six jeunes réunis dans un même destin inique, liés par une même corde, emportés vers le vide ; le cadre, la Jungfrau, sublime montagne des Alpes bernoises, dont il est inutile de traduire ici le nom et qui a désormais pour eux le visage médusant d’Atropos.
Six jeunes soldats, chacun une vingtaine d’années tout au plus, tant de promesses en allées et la question qui revient, sur toutes les lèvres, sans réponse : pourquoi ? Le fait que l’accident se soit produit alors que ces derniers étaient « sous les drapeaux » confère encore à cet événement la dimension d’un véritable drame national.
L’accident surgit toujours du dehors. Comme la mort. Pour ceux qui n’y étaient pas, difficile de savoir, de comprendre, d’entrer véritablement dans cet événement. Alors, les hypothèses vont bon train, les questions, les mises en accusation dissimulées. Tous les donneurs de leçons, les exégètes du dimanche, les herméneutes du destin sortent des arbres. Et les journalistes, qui se sentent investis de la mission d’expliquer, de donner du sens à ce qui n’en a pas, ne sont pas les plus modestes dans cet exercice. Avec toutes les questions qu’ils déroulent, à longueur de pages, on réécrit l’histoire de l’alpinisme. A l’envers. C’est oublier que si elle est une gestion permanente du danger, l’activité qui consiste à aller en montagne, même pour le plus expérimenté et le plus prudent des professionnels, comportera toujours sa part de risque. Alors, imprudence ou fatalité ? Peut-on, même avec l’assurance que nous confère le sentiment d’être dans notre bon droit, désigner des coupables à la vindicte ? Toute mort est injustifiable. En montagne, au bord d’une route dans le fracas des tôles ou, par désespoir apparent, sous un train lancé à toute allure. ! Faut-il rappeler ici la tragédie de l’Aiguille Verte, le 7 juillet 1964 où 14 futurs guides de Chamonix (parmi lesquels Charles Bozon, champion du monde de ski en 1962), perdirent la vie : c’était la dernière course de leur stage de guide !
Il y a un an, deux de mes amis ont failli connaître la même infortune. Emportés par une avalanche dans le massif du Mt-Blanc, ils ont dévalé la pente sur près de trois-cents mètres, sautant des barres de séracs hautes de plusieurs dizaines de mètres. Le miracle exista ce jour pour eux : arrivés au bas de la pente, ils se sont relevés, quasiment sans aucune contusion. Une autre cordée, emportée parallèlement, dans la même coulée, ne s’est pas relevée. On peut croire à des lignes de forces, à une forme de volonté supérieure ou, au contraire, au simple jeu du hasard, à l’imprévisible qui constitue la surprise et le tragique de la vie. Sa beauté également. On peut rêver d’un monde où respirer même ne serait plus dangereux, de destins calmes et linéaires, de décisions toujours justifiées.
Je comprends cette douleur, celle et ceux qui pleurent les disparus, elle est inscrite en moi, chevillée au corps. Je voulais leur dire que je suis avec eux, de tout cœur, et que la montagne continue d’être belle !
Comment
C’est les premiers mots sensés que je lis sur ce drame. Ils résument également mon état d’esprit à son sujet. Merci !